Cela fait écho à l’ambition européenne d’éradiquer totalement cette expansion d’ici 2030 avec des règles strictes sur la conception de vêtements durables by design et l’interdiction de détruire les invendus. Présente depuis les années 90 en Europe, avec l’arrivée de Zara et H&M, l’engouement pour cette mode accessible, inspirée des plus grands, aux collections courtes produites massivement avec des matériaux de moindre qualité, ne s’est jamais démentie pour un marché global évalué aujourd’hui à 200 milliards d’euros et déjà 11% des revenus de l’e-commerce (BCG, 2023).
À tel point que la production textile a doublé dans le monde entre 2000 et 2015, selon le Ministère de la Transition écologique, plaçant cette industrie au 2ème rang des secteurs les plus polluants (tant en pré qu’en post-production : utilisation massive et pollution de l’eau, rejet de microparticules plastiques, pollution de l’air, impact sur la biodiversité…). En France, alors que nous ne portons que 30% de notre garde-robe, nous achetons pourtant 9,2 kilos de vêtements et de chaussures en moyenne par personne en un an, dont plus des 2/3 sont importés, pour finalement les délaisser au bout de 7 utilisations, essentiellement pour le plaisir de changer à moindre frais (Adetem).
Si les Français s’autorisent cette frénésie, c’est qu’ils ont finalement bonne conscience en participant de plus en plus activement à l’économie circulaire par le don ou la revente. Ils y sont encouragés par les plateformes de seconde main (
Vinted, Le Bon Coin,
Vestiaire Collective, …) désormais totalement installées dans notre quotidien, avec la mode comme premier moteur du marché (1,6 milliard pour le textile sur les 7 milliards du marché français, selon BPI France 2022). Déjà, aux Etats-Unis, le marché secondaire de l’habillement croit 8 fois plus vite que le marché global (Fevad/KPMG). Motivé autant par les prix que pour le geste écologique, cet engouement permet aux experts de prédire 13% de croissances annuelles du marché jusqu’à 2030 pour atteindre 14 milliards d’euros et 29% du secteur de la mode et du luxe (Fevad/KPMG). De quoi encourager les marques à s’y intéresser pour profiter de cette nouvelle dynamique, en phase avec la quête de sens des consommateurs. Même les enseignes pointées du doigt de l’ultra fast-fashion tentent de s’amender sur le sujet en organisant elles-mêmes la collecte et le recyclage des invendus, comme Shein avec Queen of Raw, éditeur de logiciels de l’économie circulaire.
Mais la réalité est tout autre !
En Europe, 4 millions de tonnes de déchets vestimentaires sont jetés par an et seulement 20% sont véritablement recyclés (Novethic, 2022). Les autres sont enfouis ou brulés dans des décharges à ciel ouvert dans des pays tiers qui ne peuvent même pas profiter de cette manne de trop mauvaise qualité. Et c’est sans compter les 200 millions de tonnes de déchets textiles qui sont jetés directement dans les océans par la Chine chaque année, faute de pouvoir les incinérer ou stocker les retours gratuits qui ne sont même pas remis dans le circuit.
Et si le remède était pire que le mal ?
Cette douce illusion éco-circulaire de la fast fashion berce nos contemporains qui n’ont pas toujours conscience que leur consommation compulsive de vêtements a pour corolaire la croissance des déchets textiles la plus rapide de l’histoire. D’aucuns parlent même de blanchiment écologique ! La seule chose qui semble se recycler ici, ce sont les paradoxes de notre époque où l’individualisme en appelle à la distinction identitaire par l’apparence, là où la conscience humaine impose de réduire son empreinte environnementale.
Un seul chiffre pourrait résumer ce paradoxe : près d’1 client de Vinted sur deux (47%) est aussi client de Shein (LSA/Joko, 2023). Une éthique somme toute élastique.
L’émergence de la slow fashion (aux circuits de production et de distribution traçables et courts, à la valorisation de fibres naturelles moins polluantes ou la location de vêtements) est évidemment clé pour endiguer l’augmentation du volume d’articles mis sur le marché chaque année. Comme le fait de repenser le nombre de collections des maisons qui inspirent cette filière, à l’image de Phoebe Philo qui a renoncé à une approche saisonnière pour une collection signature et des séries limitées en petite quantité, conçues pour durer. Ces initiatives ne remplaceront pas une législation contraignante ou des décisions radicales, comme celle de Vestiaire Collective de bannir de son site les marques de l’ultra fast-fashion, pour guider un consommateur qui pense sincèrement faire sa part.
Si la pédagogie autour des 3R (réemploi, réparation, recyclage) est donc essentielle pour mieux sensibiliser les consommateurs, il est crucial que l’alternative soit financièrement rentable pour inciter chacun à acheter moins mais mieux. Or, 70% des produits mis sur le marché, qualifiés d’entrée de gamme, ont un prix d’acquisition inférieur au coût de leur réparation (Accenture/ Fédération de la Mode Circulaire). C’est donc un enjeu pour les entreprises qui doivent identifier de nouveaux leviers de croissance pour rendre cette sobriété vestimentaire véritablement désirable, seule condition à la limitation des déchets.
Et c’est bien la seule chose ici qui devrait être rapide !