INfluencia : Dans tout juste six mois sera donné le coup d’envoi de la Coupe Louis Vuitton qui désignera le challenger pour affronter les tenants du titre, Team New Zealand, lors de la Coupe de l’America. Le défi français est le dernier à s’être lancé après les italiens de Luna Rosa Prada Pirelli Team, les américains de NYYC America Magic, les anglais d’Ineos Britannia et les suisse d’Alinghi Red Bull Racing. Où en êtes-vous de votre préparation ?
Stephan Kandler : La construction lancée en avril dernier sur le chantier de Multiplast à Vannes de notre AC75, notre voilier pour la Coupe de l’America, est presque terminée. Nous allons commencer à nous entraîner dessus au mois de mai comme prévu. Nous sommes dans les temps ce qui n’était pas acquis d’avance car ces bateaux sont des avions de chasse qui volent au-dessus de l’eau. Ce sont des concentrés de technologie aérospatiale dans lesquels les bouts ont été remplacés par des vérins hydrauliques commandés par ordinateur.
Notre équipage mené par le skipper Quentin Delapierre continue, quant à lui, d’amasser de l’expérience en participant à SailGP. Cette compétition de catamarans à foils monotype regroupe la plupart des marins qui participeront cette année à la Coupe de l’America. On peut la comparer au championnat du monde de F1. C’est la Champion’s League du match-racing et la Coupe de l’America, la Coupe du monde.
IN : Votre structure K-Challenge Racing était déjà celle qui se cachait derrière le défi français Areva Challenge qui s’était classée 8ème de la Coupe Louis Vuitton des challengers à Valence en 2007. Pourquoi avez-vous décidé de vous relancer dans cette aventure ?
S.K. : Je me suis de nouveau remis dedans après la dernière Coupe de l’America en 2021. J’avais trouvé que les équipes à gros budget n’avaient pas performé au contraire de Team New Zealand, qui a toujours été mon benchmark, malgré ses moyens plus limités. Les nouveaux AC75 étaient, par ailleurs très intéressants. Véritables concentrés de technologie, leur allure proche des voitures sportives peuvent visuellement séduire le grand public.
IN : Beaucoup ont fait le même constat mais vous êtes le seul, en France, à avoir transformé une idée en projet sportif. Comment vous vous y êtes pris ?
S.K. : J’ai commencé par appeler Guillaume Verdier que nous avions recruté en 2004 pour devenir notre architecte en charge de la structure de notre Class America. Il a depuis notamment remporté deux Coupes de l’America avec Team New Zealand. Lorsque je lui ai demandé les raisons du succès des Néo-zélandais, il a notamment parlé de l’importance de leur simulateur numérique. Nous avons alors décidé de nous associer avec lui et avec Benjamin Muyl que nous avions embauché chez Areva Challenge et qui a ensuite collaboré avec BMW Oracle Racing, Emirates Team New Zealand et Ineos Team UK. Ensemble, nous avons créé un simulateur 100% français qui a prouvé son efficacité puisque notre équipage, qui l’avait utilisé, a terminé troisième en septembre dernier lors de la première compétition d’entraînement avec les autres défis à Vilanova en Espagne.
L’année 2021 a été celle du brainstorming et des prises de contact avec notamment des Français qui travaillaient pour d’autres équipes et qui m’ont approché lorsqu’ils ont appris que je pouvais lancer un défi tricolore. Bruno Dubois, qui a été de toutes mes campagnes et qui venait de remporter la Volvo Ocean Race, m’a aussi appelé. Je lui ai dit que je ne voulais pas lancer un projet seul mais qu’ensemble, nous pourrions y parvenir. Lui s’occupe du projet sportif et moi, de la recherche de partenaires.
IN : Vous avez financé ce projet sur vos propres deniers au départ ?
S.K. : Non, j’ai trouvé un bailleur de fonds privé qui nous a permis de recruter une vingtaine de personnes. Il s’est depuis retiré. Kway a été notre premier partenaire/entreprise. Notre première rencontre avec Accor remonte, elle, à l’automne 2022. Le groupe était en train de relancer sa marque Orient Express avec notamment la construction des deux plus grands voiliers au monde, les Silenseas. Tout est allé très, très vite avec eux. Leur soutien nous a permis d’acheter le carbone et de réserver des slots sur le chantier naval pour construire notre AC75.
IN : Vous avez signé d‘autres partenariats depuis…
S.K. : Tout s’est accéléré l’an dernier. La signature officielle d’Orient Express a prouvé que notre projet était devenu une réalité et nous avons notamment signé des partenariats avec L’Oréal et Alpine. Beaucoup de sponsors ont été séduits par le fait que la Coupe de l’America coïncidera avec l’organisation d’une compétition similaire destinée aux jeunes et une autre réservée aux femmes. Nous avons parié sur un changement de génération comme le prouve notre décision de nommer Quentin Delapierre au poste de skipper.
IN : Vos partenaires ont-ils décidé de vous soutenir après cette campagne ?
S.K. : Non. Le temps nous a manqué et nous avons été contraint de trouver une solution tampon. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de reconstruction. Nous partons de zéro. Nous avons conscience d’avoir une énorme responsabilité. Notre objectif est de remettre la France au cœur de la Coupe de l’America. Pour permettre aux ingénieurs de continuer à travailler entre deux coupes, nous avons créé le K-Challenge Lab qui se veut être un incubateur de talents et un creuset pour le développement d’innovations majeures.
IN : Vos ambitions ne sont-elles pas trop élevées pour un défi de votre taille ?
S.K. : Notre défi comprend 115 personnes, soit moitié moins que les grosses équipes. Notre budget, qui devrait atteindre entre 30 et 50 millions d’euros, est 50% inférieur à celui de Team New Zealand et il représente entre un tiers et un quart des revenus des Américains, des Italiens, des Suisses et des Britanniques. Nos récentes performances sur les plans d’eau montrent toutefois que nous sommes compétitifs.
IN : Qui sont vos favoris… hormis vous ?
S.K. : Les Néo-zélandais restent, selon moi, les principaux favoris. Les Américains ont, eux aussi, fait de bons choix. Les Italiens suivent également une belle démarche et ils naviguent beaucoup. Les Britanniques ont un parcours en dent de scie mais il ne faut pas non plus les ignorer. Les Suisses partent de loin en termes d’organisation, un peu comme nous, mais leur fraicheur ainsi que la nôtre peuvent faire toute la différence…