22 mars 2024

Temps de lecture : 5 min

Netflix et Spotify, pionniers du streaming, doivent se réinventer

D’un côté Netflix, créé en Californie en 1997. De l’autre Spotify, lancé à Stockholm en 2008. L’un a démocratisé la SVOD – pour « Subscription Video On Demand » – l’autre le streaming musical. Tous deux ont mis fin à un fléau pour le secteur du divertissement : le piratage, né avec Internet. Retour sur deux destins croisés dont le modèle subit les aléas de la vie… réelle.  

Ils sont 19 916 000 visiteurs mensuels pour Netflix ; 19 601 000 pour Spotify. En France, Netflix et Spotify font jeu égal, selon les chiffres de Médiamétrie de septembre 2023. Ils se hissent ainsi respectivement aux 30e et 31e places des « Groupes » les plus visités par les internautes français, devant Radio France (35e sur la période) ou TF1 (38e), notamment. La France n’est pas une exception : partout dans le monde, les deux géants du streaming sont entrés dans les usages des internautes en proposant une alternative crédible au piratage, chacun dans son domaine.

Sous le capot, les ingrédients de leur succès semblent très proches : une offre d’abonnement simple et abordable, un large catalogue de contenus enrichi régulièrement, une expérience utilisateur fluide, une capacité à faire parler les « datas »…

Lorsqu’on soulève le capot, les ingrédients de leur succès semblent très proches : une offre d’abonnement simple et abordable, un large catalogue de contenus enrichi régulièrement, une expérience utilisateur fluide, une capacité à faire parler les « datas »… Les deux gros pourvoyeurs d’entertainment partagent beaucoup de points communs, y compris dans leurs faiblesses, alors que le contexte de marché est en train de changer radicalement.

 

Netflix : du DVD à la SVOD

Avant de devenir le géant mondial de la SVOD, Netflix a commencé par distribuer des DVD, livrés par la poste. Le pivot décisif n’a lieu que dix ans après sa création, en 2007, quand son cofondateur et PDG, Reed Hastings, fait un pari risqué : faire évoluer l’entreprise vers la vidéo à la demande, s’affranchissant ainsi du support physique. Le début des années 2010 marque le point de départ de l’internationalisation de l’entreprise. Celle-ci est d’abord progressive, puis très rapide : en janvier 2016, le service est lancé d’un coup dans 130 pays ! Résultat : fin 2023, Netflix était disponible dans 190 pays et comptait plus de 247 millions d’abonnés.

Non content de diffuser des films, séries et documentaires, Netflix est aussi devenu producteur de contenu, après un virage initié en 2013 avec le lancement de House of Cards, première série Netflix Originals. Depuis, Stranger Things, The Crown, Narcos, Lupin et beaucoup d’autres sont venus étoffer l’index aux côtés de nombreux films, émissions de télé-réalité et documentaires exclusifs.

 

« Netflix a su adapter son service d’abonnement du DVD au numérique, et par la même occasion a profondément transformé la consommation de contenus audiovisuels », résumait Fabernovel en 2022 dans son étude « Netflixisation : vers une généralisation de l’économie de l’abonnement pour toutes les industries ? »* Cette transformation des usages a permis le développement de tout le secteur de la SVOD et encouragé l’émergence de concurrents de poids pour Netflix, dont Disney+, HBO Max ou Amazon Prime Video, qui essayent à leur tour de reproduire les recettes alléchantes du pionnier.

Malgré cette concurrence de plus en plus féroce, « dans le streaming vidéo, Netflix est une exception : c’est le seul à être rentable », rappelle Jérôme Colin, managing director au sein du cabinet de conseil Fifty-five, qui y voit l’effet d’une prime au premier entrant. « Netflix a été le premier à se lancer, les studios n’avaient pas encore bien appréhendé le modèle : ils lui ont confié leur catalogue à moindre coût, ce qui lui a permis de se constituer rapidement une large base d’utilisateurs. »

 

Spotify : la startup en hyper-croissance

De son côté, Spotify a un parcours plus classique. Imaginé par un serial entrepreneur suédois, Daniel Ek, l’application musicale arrive dans les Appstores à partir de 2008, après deux ans de développement et de négociation avec les maisons de disque. Le modèle repose sur une offre « freemium » – un service ouvert à tous mais entrecoupé de publicités – qui doit inciter les utilisateurs à basculer vers l’offre « premium » – accessible moyennant un abonnement, mais sans publicité. Dix ans après ce lancement, l’entreprise suédoise entre en Bourse à New York (elle est alors valorisée 29,5 milliards de dollars) et poursuit la feuille de route des startups en « hyper-croissance ».

Comme Netflix, Spotify investit dans des productions exclusives, dans l’espoir de capter de nouveaux abonnés à son offre premium…

Comme Netflix, Spotify se déploie en effet très rapidement à l’international pour prendre de vitesse ses concurrents locaux, comme Deezer en France ; à l’automne 2023, le service de streaming musical comptait 226 millions d’abonnés et 574 millions d’utilisateurs, dans 184 pays. Il a aussi élargi sa proposition pour inclure les podcasts (à partir de 2018) et plus récemment les livres audio. Comme Netflix encore, Spotify investit également dans des productions exclusives, dans l’espoir de capter de nouveaux abonnés à son offre premium, tout en réduisant sa dépendance vis-à-vis de l’industrie musicale : un milliard de dollars ont été investis pour racheter des studios de podcast et attirer des stars comme Kim Kardashian, Barack et Michelle Obama, le Prince Harry et Meghan Markle…

 

La fin d’une époque ?

Si tout semble sourire jusqu’à présent à ces deux acteurs majeurs du divertissement mondial, le contexte de 2024 est bien différent. L’argent qui coulait à flots dans le monde des startups et des contenus s’est tari avec la hausse des taux d’intérêts. Dans la vidéo comme dans la musique, la concurrence s’est intensifiée, alors même que le pouvoir d’achat des consommateurs se trouve pénalisé par l’inflation. « Aux États-Unis, beaucoup de téléspectateurs ont renoncé au câble, qui coûtait une fortune, pour aller vers la SVOD, en cumulant plusieurs abonnements. Or, aujourd’hui, ces abonnements deviennent aussi chers », explique Jérôme Colin, qui ajoute que l’équation économique n’est pas plus simple chez Spotify.

Face au contexte de 2024, la course effrénée à la croissance n’est plus d’actualité à Stockholm comme à Los Gatos. C’est désormais la rentabilité qui prime.

« En 2022, le revenu moyen par abonné payant était de moins de 5 euros. La plateforme en reverse 70% aux ayants droit. Il lui reste très peu pour assurer les coûts marketing et faire tourner les serveurs… Ce modèle-là est en train de montrer ses limites », estime-t-il. Face à ce nouveau contexte, la course effrénée à la croissance n’est donc plus d’actualité à Stockholm comme à Los Gatos – le siège de Netflix. C’est désormais la rentabilité qui prime. Quitte pour cela à se mettre à dos certains utilisateurs, comme lorsque Netflix a entrepris de mettre fin au partage des comptes ou lorsque Spotify a augmenté ses tarifs pour la première fois en France pendant l’été 2023.

 

Vers de nouveaux territoires

Au-delà des coupes budgétaires et de l’augmentation de l’ARPU (le revenu moyen par utilisateur), la recherche de nouveaux relais de croissance est également au cœur de toutes les préoccupations. Si Spotify modère désormais ses coûteux investissements dans les podcasts, il développe en parallèle son offre dans les livres audio : 200000 titres sont ainsi disponibles pour les abonnés premium américains depuis novembre 2023.

Pour sa part, Netflix explore aussi de nouveaux territoires : les jeux vidéo, le merchandising autour de ses séries ou encore les expériences « live ». L’ouverture de « Netflix Houses » a par exemple été annoncée pour 2025. Présentées comme des lieux à mi-chemin entre concept-store, exposition immersive et restaurant, elles devraient permettre à Netflix de toucher les fans au-delà des écrans, comme le fait déjà Disney avec ses parcs. Le géant californien s’inspire également de l’exemple de Spotify en développant une offre avec publicité, mais payante. Lancée en novembre 2022, celle-ci a attiré en un an 15 millions d’utilisateurs dans le monde. Un premier chiffre encourageant, mais bien loin des 40 millions visés à l’origine. Netflix ne rend pas les armes pour autant, qui continue à développer son offre publicitaire avec l’arrivée progressive de nouvelles capacités de ciblage pour les annonceurs et le lancement de nouveaux formats.

Parmi ces nouveaux formats figure The Netflix Cup, une improbable compétition sportive en direct, diffusée à l’automne 2023, mêlant golfeurs et pilotes de Formule 1. Le tout sponsorisé par des marques comme Nespresso… Une chose est sûre : les géants du streaming vont continuer à nous surprendre.

 

*Pour Zuora, disponible sur le Net.

 

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