INfluencia : L’e-commerce est sous pression depuis plusieurs mois. La hausse de l’inflation et le marché immobilier atone compliquent le marché de la maison. Comment La Redoute gère cette période pour le moins compliquée?
Philippe Berlan : L’e-commerce est challengé actuellement par de nombreux facteurs extérieurs. En dehors des éléments que vous avez cités, nous faisons également face à une concurrence internationale accrue avec notamment des entrants chinois très menaçants. Nous devons nous adapter à ce contexte compliqué mais j’ai l’habitude de dire qu’il faut croire en ses forces et s’appuyer dessus. Le fonctionnement humain est clé pour traverser ces moments-là. Ce n’est pas la première fois que La Redoute traverse de telles périodes. Durant mes douze années dans le groupe, nous avons connu des paroxysmes encore bien supérieurs. Les équipes et les talents permettent de traverser ces crises. L’humain représente le premier capital à préserver.
IN : L’an dernier, la RSE était la principale priorité des e-commerçants selon la FEVAD mais on voit que ce thème est redescendu dans ce classement à la troisième place de leurs préoccupations. Le marketing et la communication sont aujourd’hui les éléments les plus importants de leur stratégie. Est-ce votre cas également?
P. B. : Oui et non. Dans le contexte actuel plutôt tendu, dans le business en particulier, prioriser le marketing et la publicité est un réflexe naturel de commerçants mais ce n’est pas incompatible avec la volonté d’améliorer sa RSE. Avoir le bon message autour de nos produits et de nos marques est ce qui va nous aider à traverser de la meilleure manière possible la période actuelle. Je ne crois plus à une différenciation uniquement axée autour du prix et du service. En revanche, parvenir à faire rêver dans un moment plutôt inquiétant peut être déterminant. Le marketing et la publicité, oui, mais pour raconter une histoire qui soit compatible avec les enjeux planétaires auxquels nous faisons face.
IN : Le thème de la conférence à laquelle vous participez est « L’écologie est-elle un problème de riche? ». Quelle est votre opinion à ce sujet?
P. B. : Je ne vais pas vous faire une réponse avec thèse, antithèse, synthèse mais il y a quelques éléments intéressants à mettre en avant pour répondre à cette question. Nous entendons des injonctions assez paradoxales. Il faut être à la fois moins cher et plus vertueux. Il faut raconter des histoires produit tout en cherchant des revenus dans le retail-media. Tout cela est difficile à combiner. Un dirigeant doit gérer ces transformations internes et cette urgence du business. Le consommateur doit, lui aussi, faire un grand écart en gérant ses fins de mois tout en pensant à la fin du monde. Nous devons tous faire des arbitrages qui donnent la priorité au court-terme.
Pour moi, l’écologie n’est pas un problème de riche car elle concerne tout le monde. Un dirigeant d’entreprise doit prendre ses responsabilités pour tenter de limiter ce qui est une menace collective. Les clients font les arbitrages qu’ils peuvent. Le troisième pilier est l’Etat qui doit mettre en place des réglementations visant à nous aider à accompagner ce mouvement qui vise à modifier des comportements qui ne vont pas dans le bon sens (cette interview a été réalisée à la veille de l’adoption à l’unanimité par les députés de la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile). Les entreprises étrangères doivent notamment être jugées pour s’assurer qu’elles se comportent de la même manière que nous. La responsabilité doit être bien répartie. Qu’on soit riche ou pauvre, les défis à relever sont à la hauteur de nos ressources. Tout le monde doit se soucier du sujet.
IN : Par rapport à la concurrence chinoise notamment, vous avez opéré cette année un virage vers la maison qui représente déjà 60% de votre chiffre d’affaires et qui devrait atteindre 75% dès la fin de cette année. Comment avez-vous lancé ce projet ?
P. B. : Nous préparons ce projet depuis dix ans et nous avançons pas à pas. Nous sommes issus de la mode et la mode fait toujours partie de notre identité. Nous allons continuer d’être présent sur ce marché mais de manière différente. Nous ne croyons pas que la fast-fashion, et d’autant plus l’ultra-fast-fashion, soit un exemple viable. C’est peut-être très rentable sur le très-court terme mais tellement destructeur de notre planète… Une partie de notre clientèle a, par ailleurs, changé ses modes de consommation et nous devons prendre en compte cela. Nous allons donc faire de la mode différemment en proposant nos propres collections de marques propres d’une manière plus durable, plus qualitative et en travaillant l’empreinte carbone de nos produits. Les partenaires externes avec lesquels nous allons collaborer devront suivre cette même logique. C’est une transformation très lourde.
La maison, c’est un marché qui se transforme aussi mais avec des cycles différents et qui cache un fort potentiel pour nous et notamment pour les marques propres que nous développons depuis une décennie. Dans des moments de tension comme ceux que nous traversons aujourd’hui, vous devez vous appuyer sur vos forces. Ce sont nos marques propres qui vont nous permettre de faire la différence.
IN : Quels sont les relais de croissance qui vont permettre à la maison de représenter 75% de votre chiffre d’affaires cette année?
P. B. : Nous allons nous développer sur tous nos marchés. L’international, qui représente déjà plus 35% de notre activité, a encore un fort potentiel de croissance. Nous avons ouvert dans le passé de nouveaux pays comme l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas. Aujourd’hui, notre priorité est de développer notre présence sur les marchés où nous sommes déjà présents et pousser notamment la maison dans ces pays. Sur ce secteur, nous sommes convaincus qu’il y a une belle place à prendre pour les marques émergentes qui proposent un mix intelligent RSE/qualité/prix.
IN : Concernant vos investissements, vous avez fait beaucoup d’efforts concernant notamment vos solutions de paiement. Quels sont les résultats de cette stratégie ?
P. B. : Nous avons investi une centaine de millions d’euros dans la technologie lors des six dernières années. Nos solutions de paiement font partie des chantiers engagés mais nous avons aussi changé de plateforme marketplace. Notre stratégie en tech consiste à utiliser les meilleures solutions du marché. À nous de bien les sélectionner. Historiquement, nous avions une culture très orientée vers le développement interne, nous avons totalement inversé cette tendance.
Depuis la fin du mois de février, 100% de nos flux de paiement passent par le nouveau PSP de Stripe qui s’est imposé comme le standard de ce marché. Cette solution est extrêmement performante. Elle a notamment amélioré notre taux d’acquisition et notre capacité d’analyse de nos datas. Elle a réduit les frictions au moment du paiement ainsi que les fraudes. Elle a augmenté également notre agilité et notre scalabilité. Il est aujourd’hui très facile d’ajouter des moyens de paiement par pays.
IN : Dans votre étude sur le comportement des consommateurs, qu’avez-vous appris concernant les attentes des Français de La Redoute?
P. B. : C’est toujours la question magique. Il y a une grande relation entre les Français et La Redoute. Notre entreprise a 190 ans même si la marque actuelle est un peu plus récente puisqu’elle date du début du siècle. C’est ce fort affect qui a encouragé avec Eric Courteille et Nathalie Balla et certains d’entre nous, à sauver l’entreprise il y a quelques années. Il y a beaucoup de sympathie pour notre marque mais nous devons être plus audibles et mieux faire comprendre nos actions actuelles. Beaucoup de Français pensent que La Redoute n’existe plus car ils ne reçoivent plus de catalogue. Il y a aussi ceux qui suivent notre conversion numérique. Et il y a ceux qui n’ont pas compris que notre offre ne se limite pas à la mode. C’est le travail que nous devons faire aujourd’hui. Nous devons expliquer que nous sommes toujours là, que nous sommes droits dans nos bottes mais que nous sommes aussi très créatifs en termes de produits et que nous sommes un acteur de la maison. Nous allons davantage le faire savoir à partir du mois d’avril.
IN : Les e-commerçants souhaitent aujourd’hui accroître leurs performances. On voit actuellement beaucoup de nouvelles initiatives en retail-média. Qu’en est-il vous concernant ?
P. B. : Nous avons lancé notre retail-media et notre marketplace il y a près de quinze ans. On fait donc figure de dinosaure. Et dans le Retail Media, nous avons déjà beaucoup fait. Nous sommes récemment passés sur la nouvelle plateforme Unlimitail de Publicis et Carrefour. Nous nous centrons sur une tech qui nous permet d’aller plus loin et plus vite afin de vendre plus d’espaces au bon prix. L’objectif est de valoriser notre trafic et la data de nos clients.
IN : 90% du chiffre d’affaires de La Redoute provient du commerce en ligne. Quelle est votre vision du magasin de demain pour un groupe comme le vôtre?
P. B. : Le magasin est, pour nous, indispensable. Quand vous voulez prendre pied sur le marché de la maison, lorsque vous souhaitez vendre un canapé ou un matelas, vous devez bien le raconter sur le digital mais il vous faut aussi proposer une expérience produit qui vous permette de poser vos fesses sur un sofa pour comprendre comment il vous enveloppe. Notre nouvel actionnaire qui contrôle 100% de notre capital, les Galeries Lafayette, nous a offert l’opportunité d’entrer dans les espaces maison de leurs magasins. Cela accroît la visibilité de notre marque tout en permettant aux consommateurs de tester nos produits. Ce sont des lieux d’expérience et de renforcement de la relation que nous entretenons avec nos clients. Pour nous, les magasins sont un élément de notre parcours multicanal absolument nécessaire.
Retrouver le replay de cette interview réalisée en direct en partenariat avec One to One Retail Ecommerce
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