INfluencia : le 21 mars 2024, L’Obs fait évoluer son offre print et web et adopte une nouvelle marque Le nouvel Obs. Vous avez pris la direction générale en janvier 2022. Qu’est-ce qui vous a amenée à lancer ce chantier ?
Julie Joly : plus qu’une évolution, c’est une véritable transformation de notre offre éditoriale, qui a d’ailleurs commencé par le numérique puisque le journal papier avait déjà beaucoup évolué depuis l’arrivée de Cécile Prieur à la direction de la rédaction fin 2020 et, avant elle, avec Dominique Nora (directrice de la rédaction entre 2018 et 2020, ndlr). Cela fait deux ans que nous travaillons à cette transformation avec Cécile Prieur et Asmahane Souissi, directrice du numérique. Quand je suis arrivée à L’Obs, le journal avait dégagé des bénéfices depuis deux ans (1,6 M€ d’Ebitda en 2020, 1,8 M€ en 2021 puis 1,6 M€ en 2022, ndlr). On aurait pu se dire que l’on avait trouvé un modèle mais nous étions conscients de la santé de la presse et du marché des hebdomadaires, des habitudes de lecture qui évoluent… L’Obs avait connu un très fort développement numérique au début des années 2000 mais son site était peut-être resté inscrit dans une logique numérique quotidienne. Même si les audiences restent fortes, il ne correspondait plus à ce qu’était devenu le journal, ni à sa valeur ajoutée. Il s’agissait aussi de répondre à une expérience digitale. Nous avons donc décidé d’investir la trésorerie disponible dans la transformation de l’offre numérique et print. La stratégie posée dès 2022 s’est développée fin 2022 et en 2023 pour aboutir en 2024, l’année de nos 60 ans. C’est intéressant de voir à l’occasion de cet anniversaire le chemin parcouru, de réaffirmer les valeurs de L’Obs et aussi d’apporter de la nouveauté.
Le site proposera une lecture magazine de l’actualité avec des modularités « actu-magazine », en fonction de l’heure dans la journée, du jour de la semaine et de l’approche du weekend
IN : comment avez-vous procédé ?
J.J. : un travail a été mené avec la rédaction, les équipes numériques et abonnement sur ce qu’était L’Obs – ses valeurs, ses principes, son écriture, son traitement de l’actualité – avant de réfléchir à ce qu’il devait être sur le digital. Nous avons ensuite inventé une nouvelle manière de lire l’actualité magazine sur le numérique, travaillé sur la notion de temporalité, sur les sujets qu’un hebdomadaire propose tous les jours, la place des sujets magazine sur le numérique, de l’actualité chaude dans ce traitement magazine… Cette réflexion a été très intéressante et va permettre de lancer enfin, le 21 mars 2024, un site qui proposera réellement une lecture magazine de l’actualité avec des modularités « actu-magazine », en fonction de l’heure dans la journée, du jour de la semaine et de l’approche du weekend. L’offre tiendra aussi compte du rapport à l’information de nos lecteurs. Nous avons voulu cultiver le plaisir de lecture mais aussi un état d’esprit dans le rapport à l’information – presque une humeur – qui sont spécifiques à la presse magazine.
IN : pourquoi avoir décidé de changer d’identité pour devenir Le Nouvel Obs ?
J.J. : Le Nouvel Obs est une nouvelle manière de raconter L’Obs en gardant une référence au Nouvel Observateur des débuts. Nous ne sommes plus Le Nouvel Observateur d’il y a 60 ans ni L’Obs d’il y a 10 ans. Nous sommes dans une conquête d’audience et d’abonnés qui n’ont rien à voir avec le passé, avec un parti-pris de prix tout à fait assumé car faire un journalisme tel qu’on le fait avec 135 journalistes – la première rédaction news-magazine – a une énorme valeur. En revanche, les valeurs progressistes et les combats que défend L’Obs depuis sa création restent totalement et plus que jamais d’actualité : des valeurs humanistes, universalistes, féministes et écologiques. Le magazine combat le pessimisme ambiant et le sentiment d’impuissance, refuse le déclinisme, la fragmentation, préfèrera toujours le débat à la polémique… Nous voulons aussi capter les nouvelles tendances, exposer des alternatives et des moyens d’actions. Il s’agit donc de rappeler nos fondamentaux, de les mettre davantage en lumière mais aussi en valeur sur le numérique.
Au moment où tout se polarise, y compris les médias, nous faisons le pari d’être un média qui va à l’encontre du buzz permanent… Ce n’est pas qu’une résistance, c’est une affirmation car nous pensons qu’il y a de la place pour un espace de compréhension et de dialogue
IN : ces combats se livrent désormais dans une société qui se cherche, fragmentée, archipélisée…
J.J. : c’est ce que nous appelons un « contexte paradoxalement porteur ». Cette fragmentation et cette anxiété sociale rappellent que certains combats ont toujours besoin d’être abordés sur le fond, par exemple quand on parle des femmes et de l’écologie. Au moment où tout se polarise, y compris les médias, nous faisons le pari d’être un média non polarisé et qui va à l’encontre du buzz permanent… Ce n’est pas qu’une résistance, c’est une affirmation car nous pensons qu’il y a de la place pour un espace de compréhension et de dialogue. Beaucoup sont aujourd’hui orphelins de ce dialogue. A nous d’occuper cette place et d’être à la hauteur de ces enjeux. Si on peut être utile à quelque chose, c’est peut-être à réveiller le débat de fond. Nous avons déjà commencé à rouvrir le débat à gauche autour des valeurs. Nous voulons anticiper, défricher et mettre en perspective les enjeux réels qui relèvent davantage de la science politique que de la politique.
IN : les quotidiens ont pris beaucoup d’avance sur leur transition numérique et leurs formats longs fonctionnent aussi très bien sur le numérique. Comment se singulariser alors en tant que news-magazine ?
J.J. : cela fait partie des mutations récentes du marché : les quotidiens se sont « magazinés ». Il fallait en tenir compte. La bonne nouvelle, c’est que les gens sont capables de lire sur leur portable de longs papiers bien anglés, bien édités, bien illustrés. Ce qu’on ne faisait pas bien avant. Nous nous appuyons sur une rédaction qui ne fait que du magazine. Nous avons aussi une liberté de ton liée aux valeurs qu’on défend, que n’ont pas toujours les quotidiens et c’est bien normal. On attend d’un quotidien qu’il nous informe quand un magazine est plus affinitaire et peut se permettre des séries, de l’humour, un rapport à la culture beaucoup plus subjectif, des engagements profonds et forts, qui sont en plus très anciens pour L’Obs. C’est là-dessus qu’il faut faire la preuve de notre légitimité. L’écriture magazine se prête à tous les sujets. C’est d’abord une question de point de vue et c’est aussi ce qui nous différenciera toujours le plus. Il faut qu’on l’assume et qu’il se voie.
L’Obs est à la fois un « news mag » et un « life mag »
IN : de quelle manière les innovations vont-elles se traduire sur le print ?
J.J. : il y aura dans le déroulé du journal et dans la maquette une clarification entre ce qui relève de la partie news et de la partie magazine. Tous ceux qui s’informent ont besoin d’avancer sur ces deux jambes pour comprendre les choses et, tout simplement, pour vivre. L’Obs est donc à la fois un « news mag » et un « life mag ». La moitié du journal était déjà consacrée à des sujets culture, idées et tendances, qui étaient un peu noyés dans l’actualité, les grands formats et, sur la une, écrasés par les crises. Nous avons travaillé sur une meilleure scénarisation pour rendre plus visible la richesse des contenus, récréer un équilibre et des respirations pour le lecteur, donner davantage matière à espérer… Nous voulons aussi que cette dualité entre actualité et magazine se voit sur la une. Quand l’actualité prime, il faut pouvoir montrer la diversité des sujets magazine. Et inversement. Le nouveau logo sera positionné plus haut et laissera davantage de place à la photo. Nous allons pouvoir affirmer beaucoup plus notre singularité et mieux mettre en avant les sujets tendances, société et culture qui constituent la moitié du journal.
On espère que Le Nouvel Obs va répondre à une attente. C’est aussi un pari sur le soutien des lecteurs et des annonceurs
IN : en 2023, L’Obs a connu des pertes. A quelle échéance comptez-vous retrouver le chemin de la profitabilité ?
J.J. : les pertes de l’an dernier étaient relativement mesurées (-1,9 M€ d’Ebitda et -2,4 M€ pour le résultat d’exploitation, ndlr) et nous n’avons d’ailleurs pas eu besoin de faire appel à notre actionnaire pour payer nos PGE, nos emprunts et nos comptes courants. On ne dit pas assez que beaucoup de titres sont actuellement perfusés par leurs actionnaires, ce qui n’est pas du tout notre cas. L’autofinancement est depuis toujours notre objectif. Il faut donc renouer avec la croissance de nos audiences et de nos revenus afin de maintenir cet autofinancement et renouer ensuite avec un résultat positif. Notre gestion est saine mais ce ne sera pas immédiat. On parle d’information, d’usages de lecture, d’une rédaction massive que l’on ne compte pas réduire, d’un journal sur lequel on n’a pas réduit la pagination ni le grammage… Il faut pouvoir financer tout cela dans les années qui viennent avec un plan de croissance. Les investissements dans la presse mettent toujours longtemps à payer et il n’y a que ceux qui n’y sont pas qui ne le savent pas. On est très heureux de proposer l’offre de L’Obs et on espère que Le Nouvel Obs va répondre à une attente. C’est aussi un pari sur le soutien des lecteurs et des annonceurs. On ne pourra pas le faire sans moyens.
IN : tous les leviers sont à remonter. Quels sont les objectifs en ce qui concerne les abonnements numériques ?
J.J. : depuis deux ans, un peu à rebours de nos concurrents, nous avons apuré notre diffusion payante en plafonnant notre diffusion numérique par tiers pour avoir une vraie diffusion payante. Nous sommes sortis du kiosque numérique Cafeyn en janvier 2023 et renoncé à 6000 abonnés individuels payants mais qui étaient pour nous des abonnés « plateforme » pas forcément identifiés. On a aussi arrêté tous les comptes gratuits – les comptes filleuls – qui représentaient 9 à 10 000 comptes. Désormais, notre diffusion numérique est réelle. Nous sommes à 18 300 abonnements individuels payants stricts. D’ici à 2025, il faudrait en avoir au moins 20 à 25 % de plus. Nous le ferons avec une stratégie de prix assez vertueuse. On a une ou deux fois par an des opérations fortes de recrutement, mais c’est très sporadique. Nos recrutements les plus forts se font surtout sur des contenus, notamment le weekend et l’été grâce à nos séries numériques.
Nous sommes à 18 300 abonnements individuels payants stricts. D’ici à 2025, il faudrait en avoir au moins 20 à 25 % de plus
IN : qu’attendez-vous sur la publicité ?
J.J. : c’est un enjeu essentiel. Comme pour toute la presse écrite, nos recettes publicitaires sont en repli alors qu’elles étaient relativement stabilisées après le Covid. Nous avons besoin de présenter aux annonceurs l’offre telle qu’elle a évolué depuis deux ans et nos ambitions pour la suite. Nous voulons leur redire à quel point ils trouvent dans L’Obs un espace avec un vrai ton éditorial, porteur de changement et positif. Et leur rappeler que notre audience s’est beaucoup rajeunie depuis deux ans. 30 % de nos lecteurs ont moins de 30 ans, ce que l’on n’imagine pas forcément. La marque progresse aussi sur les moins de 35 ans (+3 %) et moins de 49 ans (+10 %), sur les populations Affaires et cadres (+6 %), sur les hauts revenus (+7 %). Notre audience numérique est plus jeune que celle du print mais pas tellement – seulement une différence de deux ans d’âge moyen – autour de la cinquantaine. Alors que les newsmagazines ont une audience plutôt masculine, L’Obs est presque à égalité hommes-femmes.
Nous voulons redire aux annonceurs à quel point ils trouvent dans L’Obs un espace avec un vrai ton éditorial, porteur de changement et positif. Et leur rappeler que notre audience s’est beaucoup rajeunie depuis deux ans
IN : les projections des études menées par l’Arcom et la DGMIC, ou encore les résultats de l’Observatoire e-pub 2023 ne sont pourtant pas très optimistes sur les évolutions de la publicité pour la presse…
J.J. : ce sont des tendances que j’anticipe depuis mon arrivée il y a deux ans et c’est pour cela que nous travaillons la relation sur la durée, l’abonnement, l’adéquation entre les annonceurs et nos valeurs. Nous ne pouvons pas dépendre de stratégies aléatoires des plateformes. Pour l’instant, la stratégie de long terme que nous avons mise en place paie en termes de maintien des abonnements. Il faut que les annonceurs nous rejoignent sur ce point.
J.J. : Nous sommes peu nombreux et nous devrions être assez simples à décoder avec chacun des lignes éditoriales, des actionnaires et des stratégies de diversification un peu différentes. Mais il y a quand même un gros travail à faire pour reraconter aux annonceurs, dans chacun des cas, notre stratégie de développement de la marque. Celles de L’Obs, du Point et de L’Express n’ont rien à voir. Notre stratégie – qui est aussi celle du groupe Le Monde – consiste à investir dans la rédaction, dans la qualité des produits numériques, dans une diversification très éditoriale, sur nos valeurs. Il faut en plus réexpliquer ce qu’est un hebdomadaire d’actualité car certains ne le savent plus très bien, rappeler que nous répondons à un besoin et que nous pouvons d’ailleurs être profitables parce qu’il y a un marché. Les pays étrangers ont su le faire. La puissance des hebdomadaires allemands est remarquable et très intéressante parce qu’elle est partie de leurs investissements. Il y a d’autres exemples aux Etats-Unis mais avec des modèles de financement un peu différents.
En savoir plus
L’Obs affichait en 2023 une diffusion France payée de 190 405 ex. (-7,36 %), dont 123 913 abonnés papier (postés et portés), selon l’ACPM, et 8,5 millions de lecteurs chaque semaine.
C’est le newsmagazine le plus lu chez les jeunes avec 18 millions de visiteurs uniques par mois et une communauté de 4,8 M de socionautes (source OneNext S2 2023 / ACPM).
La refonte numérique a mobilisé un budget total de 600 000 euros, financé pour moitié grâce au Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP).
L’année 2024 sera marqué par plusieurs temps forts :
21 mars : nouvelle marque, refonte digitale du site et nouvelle formule du magazine
Septembre : lancement de la nouvelle application
23 et 24 novembre : Les rencontres du Nouvel Obs organisées pour les 60 ans du titre au Théâtre de la Concorde