6 février 2024

Temps de lecture : 4 min

Roger Federer et son équipe sont-ils en train de plumer les clients de On Running ?

On Running, la marque de sneakers la plus hype du moment, semble engluée dans une tempête médiatique. Celle qui impressionnait par son succès commercial sans précédent et ses choix stratégiques bien sentis est aujourd’hui accusée d’arnaquer ses clients et de sous-payer ses prestataires vietnamiens pour garantir sa rentabilité record. Des accusations qui pourraient grandement impacter l’image de marque – jusque-là irréprochable – de Roger Federer, principal actionnaire de l’entreprise helvétique.
on running

Des tapis rouges de la fashion week aux pieds de nos athlètes, quelle que soit leur discipline, le marché de la sneaker est plus que jamais en ébullition. Une explosion culturelle, commerciale et même technologique qui permet à des marques, pourtant mortes et enterrées depuis des dizaines d’années, de signer un come-back fracassant – nous avions évoqué à ce propos l’incroyable revival de Salomon – et surtout à de nouvelles griffes de se forger une place de choix en un temps record. Le tout au détriment de l’hégémonie des figures historiques que sont Nike, Adidas, New Balance, Reebok et j’en passe.

Concernant ces marques qui affichent clairement l’ambition de devenir calife à la place du calife, peu d’entre elles se débrouillent aussi bien que On running. Née dans les Alpes suisses, cette marque de sneakers est à l’origine le fruit de la vision de l’ancien triathlète Olivier Bernhard qui, une fois sa retraite entérinée au début des années 2000, se fixe pour objectif de créer une chaussure qui offrirait la sensation de « courir sur les nuages ». En 2010, avec l’aide de ses associés Caspar Coppetti et David Allemann, On Running voit officiellement le jour et affiche directement l’ambition de révolutionner le monde de la basket. Un premier modèle voit le jour, les On Clouds, qui rencontre immédiatement le succès.

Le swiss master en tête de proue

Mais c’est surtout l’arrivée de Roger Federer en tant qu’actionnaire principal en 2019 qui va propulser la marque bien au-delà des frontières helvêtes. Avec son arrivée, On Running réussit le pari de renforcer son image de marque tout en séduisant davantage de sportifs professionnels… et notamment dans le tennis – quelle surprise – puisque la marque est aujourd’hui l’équipementier principal de la pépite américaine Ben Shelton et de la meilleure joueuse au monde Iga Swiatek. En bref, On Running a su s’imposer non seulement par ses innovations technologiques, mais aussi par ses collaborations stratégiques. La marque a, par exemple signé plusieurs partenariats ces dernières années avec des grands noms – plus installés – de la mode, comme Loewe par exemple, pour créer des collections capsules mêlant technicité et design.

Soit la même stratégie que celle de Salomon, une marque, à la base, ultra technique et dédiée aux sports de montagnes, qui, en s’associant épisodiquement à Palace ou encore à JJJJound, a réussi à s’imposer comme LA griffe de sneakers la plus hype du moment. Résultat, le chiffre d’affaires de On Holding a dépassé pour la première fois le milliard de francs suisses en 2022. Au 31 décembre 2023, On Running prévoyait même un chiffre d’affaires net de 1,76 milliard de francs et d’ici 2026, la direction table sur le double, soit 3,55 milliards. Un succès commercial incontestable… que n’avait d’ailleurs pas forcément anticipé le grand Federer.

Il expliquait ainsi à un journaliste de Complex en septembre 2023 que l’objectif au moment de signer était avant tout d’« aider une marque suisse et de créer quelque chose de cool. Je voulais faire quelque chose de différent d’une collaboration ou d’un partenariat classique en tant qu’ambassadeur. Faisons-en sorte que cela ait plus de sens. Les étoiles se sont alignées. Je n’aurais jamais imaginé une introduction en bourse ou une telle croissance. Je me suis simplement dit : « Créons des choses ensemble et voyons où le voyage nous mènera » ».

L’entreprise entend dépasser 60% de marge bénéficiaire mais surtout, elle vise la première place des marques mondiales de vêtements de sport haut de gamme d’ici les deux prochaines années. Elle est aujourd’hui la cinquième marque de sneakers la plus importante au monde en termes de capitalisation boursière. En bref, l’appétit de l’ogre helvête ne souffre d’aucune limite… son intégrité… déjà un peu plus.

 

 

Le succès mais à quel prix ?

Face à un tel succès, certains insiders ont commencé à se demander comment l’entreprise pouvait-elle croître aussi rapidement tout en restant aussi rentable ? Selon le magazine suisse Ktipp, On profiterait tout simplement des marges les plus élevés du marché entre les coûts de production et la vente de leurs chaussures. Dans cet article publié la semaine dernière, le journaliste Eric Breitinger rappelle qu’instaurer « des marges élevées est de nature courante dans l’industrie des chaussures de sports » mais que On « fait généralement payer les clients suisses encore plus que ses concurrents ».

Pour le prouver, il a ainsi analysé les données douanières – qui concernent la période juillet/octobre 2023 – de 30 modèles actuels de On et les a comparé à 20 autres de fabricants concurrents. Résultat, les baskets Roger Advantage de On, développées en partenariat avec Roger, se vendent 190 francs suisses alors qu’elles sont achetées au Vietnam pour seulement… 17,86 francs suisses. Si les calculs de Ktipp sont exacts, les clients casqueraient ainsi plus de dix fois le prix d’usine. Des marges qui explosent encore plus pour le modèle le plus cher de la marque, les Cloudtilt Loewe – dont on vous parlait précédemment –. Ktipp estime que On paie 20,80 francs suisses par paire pour s’approvisionner auprès de l’entreprise vietnamienne Freeview Industrial et les vend en Suisse au prix de 445 francs suisses, soit plus de 20 fois le prix d’usine.

Un appétit qui semble indécent

À ce jour, On nie officiellement – encore heureux – toute tentative d’arnaquer ses clients ou d’exploiter les travailleurs vietnamiens pour se garantir une rentabilité record. Comme l’a répété Alexandra Bini, porte-parole de la marque, au média swissinfo.ch : « Les chiffres publiés en début de semaine contenaient de fausses informations. Nous nous engageons à veiller à ce que nos partenaires de production paient un salaire équitable aux travailleurs et nous effectuons régulièrement des audits indépendants et des formations pour nous en assurer ».

Autre boule puante qui entache actuellement la réputation de l’entreprise : il est aujourd’hui de notoriété publique que ses dirigeants se sont octroyés des salaires anormalement élevés une fois l’exercice 2021 clôturé. Selon le journal économique suisse Finanz und Wirtschaft, les trois cofondateurs et les deux co-directeurs généraux ont engrangé ensemble 83 millions de francs suisses en 2021. Marc Maurer, le co-directeur général actuel, avait alors touché 16,9 millions de francs suisses, ce qui le plaçait à l’époque au troisième rang des dirigeants du secteur les mieux rémunérés après John Donahoe qui officie chez Nike et Robert Greenberg, le patron de Skechers. Suite à l’indignation publique qu’avaient suscité ces chiffres, les salaires des dirigeants avaient été revus à la baisse l’année suivante. À eux de trouver la recette pour se tirer, une nouvelle fois, du guêpier médiatique dans lequel ils se sont embourbés. Un indice : cela commence généralement par rémunérer correctement ses collaborateurs.

 

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