INfluencia : L’argent ne coule plus à flot pour la French Tech. Comment expliquez-vous ce revirement subi des fonds de capital-risque ?
Franck Sebag : Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Si la baisse des financements a été importante l’année dernière, les premiers ralentissements ont commencé à apparaître dès 2022. La sortie du Covid, la hausse de l’inflation, la guerre en Ukraine qui a provoqué une crise énergétique et la montée des taux d’intérêt ont encouragé les fonds à détourner leurs actifs des actions pour acheter de la dette. Les financeurs souhaitent aussi que les startups se concentrent sur leur profitabilité. Dès juillet 2022, on a entendu des fonds demander aux sociétés d’être plus parcimonieuses et de faire bon usage de l’argent qu’elles avaient afin d’accroître leur rentabilité.
IN : Ce « serrage de boulon » ne montre-t-il pas que les startups avaient été surévaluées ces dernières années ?
F. S. : La naissance de la French Tech remonte à 2003. L’apogée de ce phénomène a été atteint à la fin de l’année 2021. Je travaille sur ce secteur depuis 25 ans. Cette expérience me permet de dire que la croissance de ce marché n’est en rien comparable à la première bulle internet. Les 26 licornes françaises génèrent toutes de réels chiffres d’affaires même si leurs résultats financiers ne sont pas toujours positifs. Ce n’était pas le cas au début des années 2000. La monnaie virtuelle Bean, dont la valorisation boursière avait atteint des sommets, s’est effondrée car elle n’avait aucun revenu. Nos licornes ont, elles, développé de véritables business models et certaines ont le potentiel de devenir des leaders mondiaux sur leurs segments. Blablacar a réinventé l’usage de la voiture partagée et Doctolib a changé nos interfaces avec les médecins. Il ne faut pas non plus oublier que les valorisations de ces startups étaient corrélées aux marchés financiers de l’époque. Le ralentissement actuel est donc assez logique. Lorsqu’un hors-bord freine brutalement, il est normal qu’il se prenne une vague de face.
IN : Les baisses de financement enregistrées l’an dernier en France sont-elles comparables à celles d’autres pays ?
F. S. : Tout à fait. Si, en France, la baisse des financements a atteint 38% en 2023, elle a approché 34% en Allemagne et 39% au Royaume-Uni. Des chiffres comparables ont été enregistrés aux États-Unis. Notre pays est parvenu, l’an dernier, à conserver sa 1ère position au sein des membres de l’Union européenne, creusant même l’écart avec son principal prétendant l’Allemagne où les montants levés n’ont pas dépassé 6,6 milliards d’euros.
IN : Quels ont été les tours de table les plus difficiles à boucler l’an dernier ?
F. S. : L’année dernière, les tours de table supérieurs à 50 millions d’euros ont baissé à la fois en valeur (3,8 milliards d’euros soit -53%) et en volume (31 opérations, soit -47%), alors que ceux inférieurs à 50 millions d’euros ont moins reculé en valeur (4,5 milliards d’euros, soit -15%) et ont même augmenté en volume (684 opérations, soit +1%). Le nombre d’opérations supérieures à 100 millions d’euros (13 pour un montant total de 2,6 milliards d’euros) s’est, quant à lui, effondré de 57% en valeur et de 55% en volume par rapport à 2022.
Personne ne s’attendait à voir les greentechs progresser aussi rapidement
IN : Quels sont les secteurs qui ont davantage attiré les investisseurs ?
F. S. : Concernant les secteurs les plus actifs, on observe une période de profonde transformation avec, pour la première fois, la très belle performance des technologies vertes qui performent avec 2,7 milliards d’euros (+30% vs 2022) et 105 opérations (+44% vs 2022). Personne ne s’attendait à voir les greentechs progresser aussi rapidement mais l’urgence climatique et la transition écologique sont devenus des sujets au cœur de toutes les préoccupations aujourd’hui. L’arrivée récente de nouvelles réglementations contraignantes a également donné un coup d’accélérateur à ce marché. Sur la deuxième marche du podium 2023, on retrouve le secteur des logiciels et des services informatiques avec 2,1 milliards d’euros (baisse de 10% en volume et de 40% en valeur) puis les Life Sciences avec 1 milliard d’euros (hausse du volume de 1% et baisse de valeur de 29%).
IN : Pouvez-vous nous citer quelques opérations notables ?
F. S. : Verkor, une société grenobloise fondée en 2020 qui produit des batteries de véhicules électriques, a levé, à elle seule, 850 millions d’euros. Driveco, le pionnier français de la recharge électrique, a obtenu une enveloppe de 250 millions d’euros. Les start-ups de l’agroalimentaire qui proposent des solutions environnementalement moins impactes ont aussi le vent en poupe. C’est le cas notamment du fabricant d’ingrédients à base d’insectes Ynsect qui a levé 160 millions d’euros. L’IA générative rencontre, elle aussi, un franc succès. Mistral AI, qui a été fondé en mai 2023, a déjà trouvé des financements à hauteur de 490 millions d’euros et Poolside AI a levé 126 millions d’euros en septembre dernier.
IN : 2024 pourrait-elle devenir l’année de la relance pour les startups de la French Tech ?
F. S. : Près de 700 millions d’euros ont déjà été investis dans ces start-ups durant les deux premières semaines du mois de janvier. L’argent est là. En France, les fonds ont des liquidités à investir. La montée en puissance des drivers de croissance sectoriels (IA, Greentech) et la baisse annoncée des taux devraient aussi garantir une accélération des investissements dans la French Tech. Les Américains, qu’on ne voyait plus beaucoup depuis quelque temps, commencent, par ailleurs, à revenir dans notre pays. Même si nous ne sommes jamais à l’abri d’une mauvaise surprise, nous pensons que le premier semestre 2024 serait au moins aussi bon que celui de l’année dernière dans ce secteur.