INfluencia : Votre coup de cœur ?
Caroline Fontaine : comme c’est le début d’année, je vais m’autoriser un peu de légèreté. J’adore la mode et je trouve que ce n’est pas du tout un secteur superficiel. Mon coup de cœur c’est : « Phoebe Philo is back ». (ndlr : ex-star de la maison Céline, qu’elle avait quittée en 2017, la créatrice britannique Phoebe Philo a présenté cet automne la première collection de son label). La collection de cette styliste est sublime, elle est à la hauteur de sa réputation et des années d’attente. C’est une bonne nouvelle pour la mode et pour les femmes, même si ce n’est pas le cas pour notre carte bleue (rires)…
Je ne supporte pas la lâcheté et d’autant moins quand elle vient de ceux qui sont dépositaires du pouvoir
IN : Et votre coup de colère ?
C.F. : j’en ai plein, mais celui dont j’ai du mal à me remettre même s’il date déjà de quelques semaines, concerne les auditions le 5 décembre devant le Congrès des présidentes des trois grandes universités américaines : Harvard, l’Université de Pennsylvanie et le Massachusetts Institute of Technology (ndlr : la représentante républicaine de l’État de New York leur avait demandé si l’appel au génocide des Juifs violait le code de conduite des établissements en matière de harcèlement et d’intimidation. Les trois femmes avaient répondu que cela « dépendait du contexte »).
Je ne supporte pas la lâcheté et je la supporte d’autant moins quand elle vient des personnes qui sont dépositaires du pouvoir. Toutes les trois ont utilisé exactement les mêmes phrases qui venaient de leur avocat. Je trouve vraiment honteux de vouloir juste protéger ses arrières, quand on a le pouvoir, la culture et la connaissance du savoir, et qu’on dirige des institutions qui sont censées être les plus extraordinaires au monde. Ce couple pouvoir lâcheté est terrible.
Mikhaïl Gorbatchev était aussi un homme d’une incroyable douceur
IN. : la personne ou l’événement qui vous a le plus marqué ?
CF : j’ai démarré ma carrière auprès du Maire de Lille Pierre Mauroy comme interprète anglais-russe – et chargée des relations publiques – et j’ai eu la chance, petit bébé de 24/25 ans d’interpréter la rencontre, suivie d’un déjeuner, entre Pierre Mauroy et Mikhaïl Gorbatchev qui venait en France en 1997 à l’occasion de la publication de ses mémoires. C’était une chance inouïe d’approcher de si près ce monument de l’histoire contemporaine, qui était aussi un homme d’une incroyable douceur. Il a été extrêmement délicat avec moi, parce qu’évidemment j’étais au-delà du stress, je n‘avais pas dormi pendant plusieurs nuits, ni avant ni après, le temps de redescendre. Sa femme Raïssa était là également et je traduisais également ses paroles. C’est un événement magnifique, que je n’oublierai jamais. J’ai eu le sentiment de participer à un tout petit moment de l’histoire.
Quand j’éteignais la lumière le soir, si je rallumais au milieu de la nuit, les murs étaient noirs de cafards…
IN. : Votre plus grande réussite
C.F. : Ma plus grande réussite est peut-être d’avoir réussi à apprendre le russe dans des conditions pas évidentes. Je ne parlais pas un mot de russe quand j’ai commencé mes études d’interprète en Belgique. Il m’a fallu quatre années intensives pour apprendre la langue à un haut niveau. Je n’ai jamais autant travaillé, je m’endormais sur mes cours à 4 heures du matin, j’étais assommée de travail… Pendant mes études, je suis allée à Moscou quatre mois, je vivais chez l’habitant. C’était à une époque agitée, sous Eltsine. Je me souviens du Parlement qui était en feu quand je suis partie. Et puis, on rigolait moyen, moyen. Tout était différent, les magasins, les rues, les gens… Je me souviens que la première fois que j’ai voulu rentrer dans mon immeuble, la babouchka qui surveillait l’immeuble ne voulait pas me laisser passer. J’étais terrorisée, il faisait déjà moins 10… Et puis je vivais dans un tout petit appartement d’à peine 30 mètres carrés, que je partageais avec une mère célibataire et son fils, qui, comme beaucoup d’autres en Russie, louaient une pièce pour se faire de l’argent. Pour l’anecdote, si je rallumais la lumière au milieu de la nuit, les murs étaient noirs de cafards… Je me souviens que je les écrasais.
C’était vraiment un monde incroyable et, quand j’y pense, c’est peut-être de cette expérience dont je suis la plus fière. Franchement, j’ai une fille qui a 17 ans, je ne la laisserais jamais faire ce que j’ai fait… Elle ne survivrait pas à ce que j’ai vécu (rires). Mais au demeurant, j’ai gardé des très bons souvenirs de ces mois, j’ai appris à découvrir un peuple, sa manière de vivre. Ce qui m’avait impressionné, c’était à quel point la culture – et c’était peut-être le seul truc bien du communisme – était présente chez les Russes. J’étais pourtant une littéraire mais ils me donnaient des grandes leçons sur la littérature française, Victor Hugo ou Proust.
IN. : Et votre plus grand échec ?
C.F. : je ne sais rien faire de mes dix doigts et ça m’énerve. On se sent totalement démuni. Ça nuit quand même à la créativité. C’est pathétique, mais je n’arrive pas par exemple à faire pousser quoi que ce soit. Je tue toutes les fleurs et les plantes, alors que je les adore.
Je pourrais devenir fleuriste
IN. : Quel est votre hobby
C.F. : mon hobby c’est la baie de Somme. J’adore aller là-bas, c’est une région bizarre, sauvage et authentique. Il y a une baie magnifique, ultra préservée avec des phoques, plein d’oiseaux incroyables, une mer qui n’est pas facile comme la Méditerranée mais avec des lumières somptueuses nuancées.
IN. : Que faut-il faire pour vous faire plaisir ?
C.F. : m’offrir des fleurs, j’ai une vraie passion pour les fleurs. Je pourrais devenir fleuriste. Cela embellit la vie de façon très simple. Pendant le confinement c’était affreux parce qu’il n’y avait pas de fleurs chez soi, alors qu’on était enfermé. Quand on a pu de nouveau sortir, j’ai acheté des bouquets et des bouquets, je ne m’arrêtais plus…
Créer un lieu de passage où les gens se sentiraient bien
IN. : et en dehors de fleuriste, qu’aimeriez-vous faire le jour où vous arrêterez votre vie professionnelle ?
C.F. : J’aime bien les gens en général et j’aimerais avoir un lieu de passage, où les gens se sentiraient bien, qui pourrait prendre plein de formes, avec quelques chambres pour dormir, des endroits où se restaurer, où lire, qui organiserait des rencontres, des expositions. Et où il y aurait bien sûr des fleurs partout…
IN.: si vous étiez sur une île déserte, quel livre aimeriez-vous emporter ?
C.F : Je ne peux pas dire un iBook, comme cela je les aurais tous ? J’ai toujours été une grande lectrice, je le suis toujours. Malheureusement, je lis un peu moins de romans et plus de l’info, mais c’est un peu le métier qui veut ça. J’aurais d’ailleurs adoré écrire un livre et avoir le talent de le faire, ce qui n’est pas malheureusement le cas. Les livres m’ont énormément construite. J’emmènerais « l’insoutenable légèreté de l’être » de Milan Kundera qui est tellement important pour moi d’un point de vue intime. C’est ce livre qui m’a, notamment, poussé à choisir d’apprendre le russe. Sinon, je pense que ce serait forcément un classique, Balzac sans doute.
*l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’« À la recherche du temps perdu »
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L’actualité de Caroline Fontaine
La nouvelle Déléguée Générale (elle a été nommée le 31 aout) de l’AACC (Association des Agences-Conseils en Communication)a pour objectif de « renforcer le leadership de l’AACC au sein des industries créatives en France, et de défendre plus fortement encore la valeur de la création française auprès du marché et des pouvoirs publics ainsi qu’à l’international ».
Le programme de l’AACC, sous la co-présidence de Bertille Toledano et David Leclabart vise à « renforcer les actions et positions de l’AACC autour de 4 chantiers structurants : la création d’une transition écologique désirable, la création de valeur et la valeur des créations, la relocalisation des productions en France, et enfin, l’ouverture des métiers à une plus grande diversité de talents ».