À quoi bon ? A quoi bon être intelligent « dans son coin » ? A quoi bon passer des jours et des nuits à découvrir, décortiquer, fouiller, maîtriser, faire avancer un sujet si c’est pour être bien incapable de le communiquer ?
On a coutume de dire que les gens intelligents ne sont pas toujours très intelligibles. Je pense l’inverse : les gens inintelligibles ne sont pas très intelligents. Ils complexent par leur pensée complexe. Ils lévitent toujours plus haut dans leur tour d’ivoire du savoir et scotchent au sol ceux qui auraient aimé comprendre. Ils frustrent au mieux. Ils humilient au pire.
“Ils complexent par leur pensée complexe.”
Alors qu’ils pourraient valoriser. En étant intelligible, on rend l’autre intelligent. C’est gagnant-gagnant : gratifiant pour celui qui fait comprendre et gratifiant pour celui qui comprend. N’est-ce pas à Louis Germain, l’instituteur de son enfance en Algérie, qu’Albert Camus a dédié son discours lors de la remise de son Prix Nobel en 1957 ?
Comme beaucoup de Françaises et de Français de ma génération, j’ai regardé C’est pas sorcier quand j’étais enfant. J’ai aimé Jamy et Fred. Non pas parce qu’ils étaient sympathiques. Les Musclés de Dorothée l’étaient aussi. Mais parce qu’ils m’ont permis de conceptualiser le système solaire, la tectonique des plaques ou comment se fabrique un bébé. Rien que ça.
Reconnaissante (à vie) de toutes les épiphanies qu’il a suscitées, c’est toute émue que j’ai pu interviewer Jamy Gourmaud. Il raconte « ne jamais avoir considéré ses téléspectateurs comme des enfants mais comme des néophytes ». Respectueuse façon de faire de la vulgarisation. Non pas en s’abaissant à celui qui ne sait pas. Mais en se mettant au même niveau.
L’intelligibilité est donc affaire d’empathie. D’efforts aussi.
L’intelligibilité est donc affaire d’empathie. D’efforts aussi. Parce que oui : c’est compliqué de faire simple. De renoncer à tout dire. De distinguer l’essentiel du détail. De synthétiser une thèse en 180 secondes, une annonce en 140 caractères, un dossier en brève. Jamy Gourmaud le rappelle : « c’est la première chose qu’on demande à un journaliste de savoir faire ». Preuve s’il en faut de l’importance de pouvoir simplifier quand on veut informer.
OK mais… concrètement, on fait comment ? Selon Jamy, « on commence par bien savoir à qui on s’adresse. » Eurêka : on ne parle pas de la même façon du cœur à une assemblée de médecins qu’à une classe de CE1. « On veille ensuite à bien déterminer les contours du sujet » : où commence et où finit l’histoire qu’on veut raconter ? Enfin, on a l’honnêteté intellectuelle de bien maîtriser son sujet. Jamy Gourmaud considère par exemple qu’il « n’a pas compris un sujet tant qu’il n’est pas modélisé dans [sa] tête ». On comprend mieux d’où viennent tous ses schémas.
Si on a la flemme, on peut bien sûr continuer à faire long et compliqué. Mais pour citer Bernard Werber, quand on sait qu’« entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous avez envie d’entendre, ce que vous entendez, ce que vous comprenez… il y a dix possibilités qu’on ait des difficultés à communiquer. » autant se forcer un peu à être intelligible avant d’être intelligent.