Comme la plupart des mots en langage naturel, l’intelligence n’a pas de définition précise. Pourtant, lorsqu’on parle d’intelligence, chacun voit à peu près de quoi il s’agit : la capacité à faire des liens, à raisonner, utiliser la logique, à apprendre, à résoudre des problèmes, à anticiper… Il est tentant de réduire l’intelligence à un chiffre qui reflèterait une quantité standardisée, comme la mesure du célèbre quotient intellectuel (QI) ou le « facteur g ». Pourtant, dès que l’on essaye de simplifier une chose si complexe que la notion d’intelligence, ça se corse.
La mesure du QI, initialement conçue pour anticiper d’éventuels problèmes scolaires, a été élargie dès 1920 pour y incorporer des formes d’intelligences multiples (verbales, mathématiques, logiques). Le « facteur g » résulte quant à lui de l’observation empirique que les résultats à de nombreux tests cognitifs sont corrélés entre eux : un score élevé à un test cognitif va souvent de pair avec un score élevé à d’autres tests cognitifs. D’où l’idée que toutes les performances cognitives pourraient être regroupées sous un facteur unique d’habileté générale.
Des corrélations mais pas forcément de causalité
Quelle est la validité de ces mesures ? Capturent-elles vraiment « l’intelligence » de manière globale comme on l’entend parfois ? On pourrait croire que oui car le QI est statistiquement corrélé à la réussite scolaire, socio-professionnelle et même à la santé. Les recherches en neurosciences montrent, de plus, l’existence de différences cérébrales entre les personnes en fonction de leur QI. Enfin, les technologies de Genome Wide Association Studies (GWAS) ont montré qu’il existe des marqueurs génétiques de « l’intelligence » et que ceux-ci peuvent expliquer la réussite scolaire, professionnelle et financière.
Si l’on n’y prend pas garde, on risque de glisser vers une interprétation essentialiste et réductionniste de ces résultats : d’un côté il y aurait les riches, qui « méritent » d’être riches puisqu’ils sont plus intelligents, et de l’autre côté, les autres… Et pourtant, si ces scores corrèlent avec la réussite sociale, cet effet est bien inférieur à celui du milieu socio-culturel. Ce que confirme Samah Karaki, docteure en neurosciences : « Un enfant pauvre très favorisé génétiquement a moins de chance de réussir que l’enfant riche le plus défavorisé génétiquement », écrit-elle dans Le talent est une fiction : déconstruire les mythes de la réussite et du mérite, paru aux éditions JC LAttès.
Soyons précis sur ce que l’on mesure et dans quel but
Puisque l’intelligence ne peut pas être réduite à une définition précise et une mesure unique, mieux vaut alors préciser de quelle mesure on a besoin et pour atteindre quel but. On peut, par exemple, mesurer les traits cognitifs des personnes via des tests utilisés en recherche pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. Ces derniers sont depuis peu appliqués à l’évaluation des talents en entreprise. Ils constituent un bon moyen de mesurer, non pas l’intelligence globale, mais l’adéquation entre une personne et un poste. La mesure porte sur des traits bien identifiés comme la capacité à mémoriser, collaborer, comprendre les émotions des autres collaborateurs…
À l’usage, les tests cognitifs sont plus justes et précis que les CV (80 % vs 20 % de précision). Ils favorisent la diversité des candidates et candidats sélectionnés puisque l’on élimine une bonne partie des biais inhérents à la présélection sur CV. Gamifiés pour être administrés aux candidats d’une façon ludique, les jeux cognitifs évitent notamment les biais de réponses ou les biais de désirabilité des candidats, qui pourraient répondre dans le test « la bonne réponse » qu’ils imaginent attendue.
Si la tentation demeure de réduire l’intelligence à un chiffre dans une économie où la notion de performance est (sur)valorisée, il ne faut pas hésiter à cadrer plus spécifiquement les besoins et le contexte pour mieux révéler les compétences spécifiques recherchées dans un but donné.