INfluencia : Votre coup de cœur ?
Pascal Demurger : le dernier livre de Marc Dugain « Tsunami »** que j’ai lu cet été. Ce n’est pas Proust certes, mais je l’ai trouvé extrêmement instructif et hyper documenté. Ce sont les mémoires d’un président de la République, le successeur d’Emmanuel Macron, qui gouverne une France de plus en plus agitée. L’auteur nous plonge dans le quotidien du chef de l’état, avec tous les ennuis énormes qui lui tombent dessus et dans lesquels il essaie de se débattre. C’est intéressant car on touche du doigt le quotidien de l’Elysée et c’est un tel tsunami que cela nous rend plus compréhensifs et indulgents à l’égard de la fonction, là où nous avons tendance à ne pas beaucoup l’être…
IN. : Et votre coup de colère ?
P.D. : il est contre l’échec du débat politique sur ce qui se passe aujourd’hui dans les territoires occupés et en Israël. Je trouve affligeant le fait que l’émotion, ou l’idéologie d’ailleurs, prenne autant le pas sur la raison et la retenue. Et je mettrais bien un carton jaune à certains politiques qui ont pris des positions assez étonnantes.
« Pascal ça suffit, tu ne peux pas continuer comme cela à gâcher ta vie ».
IN. : la personne ou l’événement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?
P.D. : je vais retenir un épisode positif. Adolescent, je suis très mauvais élève, une espèce de cancre, un peu plus que dissipé, je ne fréquente pas les bonnes personnes. J’appartiens à une bande un peu limite, qui fréquente une bande encore plus limite, qui est presque de la petite délinquance. Je porte zéro intérêt à mes études et je suis dans une impasse. Il se passe alors deux choses concomitantes qui ont complètement modifié ma trajectoire. Un dimanche midi, des amis de ma famille viennent déjeuner et mon père interroge : « que devient votre plus jeune fils ? », un garçon qui était lui-même assez cancre et qui un jour s’était ressaisi, était rentré en prépa et avait fait une école d’ingénieur. Et je prends conscience dans le regard de mon père de tout le dépit et de son découragement à mon égard. Quelques jours plus tard je lui demande : « quelle est l’école la plus prestigieuse en France ? ». Il hésite et me répond : « l’ENA ». Très peu de temps après, un de mes profs de BTS – j’avais fait un bac technique – m’invite chez lui à diner, ce qui était quand même un événement très rare, et il me dit : « Pascal ça suffit, tu ne peux pas continuer comme cela à gâcher ta vie. Tu vaux tellement mieux et tu as les moyens de faire tellement mieux ». Et il m’explique – c’était il y a 40 ans, donc bien avant tous les sujets de l’inclusion dans l’éducation – : « Je viens de recevoir une circulaire de l’Education nationale qui propose une prépa ENA pour des gens comme toi, qui sont un peu dans un corner. Vas-y ». Je l’ai écouté, j’ai commencé à travailler et quelques années plus tard je suis rentré à l’ENA. Je dois une fière chandelle à cet homme.
Me faire embaucher par la MAIF était le fruit du hasard et a failli ne pas se faire
IN. : si c’était à refaire?
PD. : Si c’était à refaire, en fait je referais le même parcours professionnel, alors que me faire embaucher par la MAIF était vraiment le fruit du hasard. Et d’ailleurs cela a failli ne pas se faire. Mais cela m’a permis d’une certaine manière de me réaliser professionnellement, d’accéder à quelque chose que je ne percevais pas mais que j’avais en moi et que j’ai pu mettre en œuvre ensuite. A la sortie de l’ENA je suis parti dans le public. J’étais à Bercy à la direction du Budget, quand la MAIF est venue me chercher. Cela s’est fait bizarrement, j’ai été contacté pour un poste de DRH pour lequel je n’avais pas particulièrement de compétences. Malgré tout, je suis allé aux entretiens. On m’a fait une proposition d’embauche, que j’ai fini par décliner en expliquant qu’il y avait maldonne. Mais un mois plus tard ils m’ont rappelé en m’expliquant qu’ils avaient envie que je les rejoigne et qu’ils m’organiseraient un parcours professionnel. J’ai donc rejoint l’entreprise en 2002, occupant plusieurs fonctions qui m’ont vraiment appris le cœur du métier. Sept ans plus tard, en 2009, j’en ai pris la tête.
J’ai réussi à créer chez nos quelque 10 000 salariés une fierté formidable de travailler à la MAIF
IN.: votre plus grande réussite (en dehors de la famille bien sûr)
P.D. : de très loin, ce dont je suis le plus fier c’est d’avoir réussi à créer chez nos quelque 10 000 salariés un attachement, un sentiment d’appartenance, une fierté formidable de travailler à la MAIF. J’en rencontre beaucoup chaque jour, quelles que soient leurs métiers, leurs responsabilités ou fonctions, et je suis toujours très impressionné et très ému par leurs témoignages qui sont toujours extrêmement positifs. C’est ma plus grande fierté car il faut beaucoup de temps, d’énergie et de constance pour arriver à ce résultat. On arrive à aligner à la fois sa responsabilité de chef d’entreprise tourné vers la performance – et c’est le cas car ils sont hyper motivés – et en même temps le sentiment – et c’est une réalité – de créer les conditions pour que les collaborateurs s’épanouissent dans leur travail. Et cela devient rare aujourd’hui.
Je suis d’une maladresse totale
IN. : et votre plus grand échec dans la vie
P.D. : c’est plutôt un regret. J’aurais beaucoup aimé avoir un métier manuel, produire de mes mains. Quoi ? Je ne sais pas, mais il y a une satisfaction énorme pour l’esprit à créer. Or, je suis d’une maladresse totale…
IN. : quel souvenir aimeriez-vous laisser ?
P.D. : peut-être celui d’un homme attentif à l’autre. Je pense que le souvenir le plus fort qu’a laissé mon père et que j’ai conservé de lui, pardonnez l’expression peut-être un peu niaise, est celui d’être tout simplement un homme bon. Et il était unanimement reconnu comme tel, indépendamment de son parcours.
IN. : le talent que vous auriez aimé avoir
P.D. : chanter. Je regrette beaucoup de ne pas avoir de qualités artistiques. Je sais à peu près écrire, encore que…, mais c’est tout. Je n’ai aucune oreille musicale, je chante très mal. Mes enfants m’interdisent d’ailleurs de chanter. Je suis le barde dans Astérix. Je n’ai non plus aucun talent de dessin ou de peinture.
IN. : sur une ile déserte, quel objet aimeriez-vous emporter ?
P.D. : Ce serait forcément un livre. Pourquoi pas « A la recherche du temps perdu » ou « l’Odyssée ». Ça laisse le temps à des bateaux de venir me sauver. Mais pas trop vite non plus car j’aimerais aller jusqu’au bout de mes lectures…
** l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’A la recherche du temps perdu
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