A sa nomination en 2019, il est le premier grand chef d’entreprise à débarquer dans l’univers feutré et policé de la Commission européenne. Très présent dans les médias, habile sur les réseaux sociaux, le commissaire français cherche la lumière et soigne son image de disrupteur qui fait bouger les lignes.
Deuxième choix du président Emmanuel Macron, après l’échec de Sylvie Goulard retoquée pour des questions éthiques, l’ancien ministre des Finances de Jacques Chirac joue les premiers rôles au sein du collège des 27 commissaires où il a l’oreille de la présidente Ursula von der Leyen.
A la tête d’un vaste portefeuille, qui inclut le numérique, l’industrie et le marché intérieur, il a été omniprésent ces derniers jours pour lancer les premières enquêtes visant X (ex-Twitter), Meta (Facebook, Instagram) et TikTok, pour la diffusion présumée de « fausses informations » et de « discours de haine » dans le contexte du conflit Israël-Hamas.
Sur les réseaux sociaux, il interpelle directement Elon Musk qui lui répond du tac au tac, comme la semaine dernière, quand une lettre de mise en garde au patron de X a donné lieu à un duel à fleurets mouchetés entre les deux hommes qui se sont déjà rencontrés à plusieurs reprises.
A San Francisco avec Musk
Au printemps 2022, Thierry Breton s’était rendu à San Francisco pour expliquer à Elon Musk, nouveau propriétaire de Twitter (rebaptisé X), les règles qu’il devra respecter en Europe. « Nous sommes sur la même longueur d’onde », avait lancé le milliardaire américain, au côté du commissaire, tout sourire. La scène filmée était devenue virale.
Les législations (DSA et DMA) pour mettre au pas les géants du numérique Amazon, Apple, Google ou Meta sont l’un des principaux faits d’armes de Thierry Breton.
Il est l’artisan de ces deux textes qui imposent de nouvelles obligations et interdictions pour en finir avec les abus de position dominante et le laisser-faire dans la diffusion de contenus illégaux. « L’internet ne peut rester un Far West », explique l’ancien patron en nouveau shérif du web.
Avocat d’une Europe souveraine, il incarne l’ambition du Vieux continent de mieux défendre ses intérêts face à la Chine et aux Etats-Unis. Une idée française qui monte, sur fond de désordre géopolitique mondial.
L’ingénieur de 68 ans n’est pas le meilleur des orateurs. Le commissaire à la chevelure frisonnante est parfois raillé pour la longueur de ses prises de parole durant lesquelles des idées nombreuses peuvent se bousculer de façon désordonnée.
Mais l’ancien patron de grands groupes français de la tech (Bull, Thomson Multimédia, France Telecom, Atos) est dans son élément quand il parle de numérique et d’industrie. Une galette de matériau semi-conducteurs à la main, il peut se lancer dans de longues explications techniques sur les puces électroniques.
Goût pour les plateaux télé
L’ancien professeur de gouvernance des entreprises à Harvard, auteur de plusieurs romans d’anticipation et essais de sciences-fictions, enchaîne les plateaux télé.
Il sait aussi se rendre indispensable.
En février 2021, en pleine crise du Covid, l’Europe est vilipendée. Elle attend toujours ses vaccins quand les Etats-Unis et le Royaume-Uni, post-Brexit, réussissent à se faire livrer. Une aubaine pour les eurosceptiques.
Parmi les 27, on s’impatiente et certains sont tentés d’abandonner la solidarité européenne pour faire cavalier seul. Ursula von der Leyen nomme Breton à la tête d’une « task force » chargée de déminer le dossier.
Sa connaissance de l’entreprise s’avère alors précieuse. Visites d’usines, dialogue avec les patrons de l’industrie pharmaceutique… Face aux Américains qui bloquent des composants clé, il brandit la menace de rétorsion malgré les réticences des Atlantistes.
En quelques mois, la production monte en puissance, l’UE s’extirpe de la crise et le commissaire au Marché intérieur en sort grandi.
Farouche défenseur du nucléaire, le responsable français a par ailleurs contribué à réhabiliter à Bruxelles cette filière que l’influence allemande avait réussi à marginaliser.
Comment voit-il la suite? Se verrait-il succéder à Ursula von der Leyen après les élections européennes de 2024? « Je suis devenu commissaire par accident », répondait-il fin 2022 à Politico, évoquant avec auto-dérision la façon dont il avait été nommé.
« Toute ma vie, j’ai été informé de mon prochain poste potentiel 15 minutes avant… Je pourrais envisager une nouvelle mission, si je suis de nouveau un plan B… ».