INfluencia : le projet de La Tribune Dimanche, lancé le 8 octobre, était en gestation bien avant la crise au Journal du dimanche du début de l’été. Comment s’inscrit-il dans le développement de la marque La Tribune ?
Tatiana de Francqueville : ce que nous faisons aujourd’hui est en lien très fort avec ce que les fondateurs de La Tribune voulaient faire – un média économique qui parlent de ceux qui vivent l’économie et est en proximité avec tous les acteurs économiques – et ce que fait Jean-Christophe Tortora depuis qu’il a repris le titre il y a dix ans. La Tribune est devenue le média économique des transformations et des territoires, ce qui est assez classique aujourd’hui mais était très novateur à l’époque. C’est aussi un média vivant qui, au-delà de sa mission d’information, rassemble les acteurs économiques puis sociétaux pour débattre des grands sujets de transformation dans des événements portés par la rédaction. Il manquait pourtant une corde à notre arc…
IN : laquelle ?
T. de F. : Notre revue T avait posé les prémices de La Tribune Dimanche par sa volonté d’aborder les sujets de société qui impactent la vie économique : « Dois-je croire au progrès ? », « Est-ce que travailler est bien raisonnable ? », « Comment accélérer sur le climat ? »… On voulait aussi accompagner nos lecteurs sur une offre du weekend, qui est un moment où les acteurs économiques prennent le temps de la hauteur de vue, se reposent et se divertissent, ce qui en fait de meilleurs managers le reste de la semaine. C’est d’ailleurs dans l’idée de faire une interview politique le dimanche que nous avions recruté Bruno Jeudy, qui nous a rejoint au printemps. Finalement, on s’est calés sur le jeudi, qui faisait davantage sens avec son nom. Quand La Tribune a changé d’actionnariat le 27 juillet dernier (pour entrer dans le groupe CMA CGM, ndlr), ce projet du weekend a pris fond et forme et a été accéléré par notre propre contexte.
Quand La Tribune a changé d’actionnariat le 27 juillet dernier, ce projet du weekend a pris fond et forme et a été accéléré par notre propre contexte
IN : Avec quel type d’offre arrivez-vous sur ce marché de la presse dominicale et qu’est-il ressorti de la tournée autour des « Cafés de La Tribune Dimanche » ?
T. de F. : ces cafés ouverts à tous ont été lancés avec l’idée d’être proches de nos lecteurs, comme on le fait chaque semaine avec la quarantaine d’événements organisés chaque année dans tous les territoires. Ils ont été organisés avant le lancement dans les cinq plus grandes métropoles de France mais nous allons les poursuivre une fois par mois dans d’autres régions. Ils nous ont permis de nous rendre compte qu’il y avait une véritable attente pour un journal ouvert, nuancé… On veut que la Tribune Dimanche soit le journal qui rassemble les Français autour de ce qui les intéresse ce jour-là de la semaine. Ce sera un seul journal avec deux grandes parties : « Le monde » et « Mon monde ». La première racontera l’actualité dans une vision de temps long et en détectant les signaux faibles. Ce ne sera donc pas un journal de la semaine passée mais plutôt de la semaine à venir, un journal qui nous sort de notre quotidien. Une place importante sera accordée à toutes les initiatives qui émergent et l’énergie entrepreneuriale française qui se déploie partout sur le territoire et qui montrent que la France va quand même plutôt bien. Tout en gardant à l’esprit les grandes manœuvres géopolitiques qui pilotent le monde. La deuxième partie sera consacrée à ce qui nous rassemble le dimanche : la culture, la gastronomie, le cinéma, les écrans… Il y aura même un peu de sport. C’est d’ailleurs un des changements que l’on a opérés à la suite des « Cafés ».
Il y a une véritable attente pour un journal ouvert, nuancé, qui rassemble les Français autour de ce qui les intéresse ce jour-là de la semaine
IN : ce positionnement généraliste vous a amené à recruter et vous avez été rejoints par des journalistes de renom avec, au-delà de Bruno Jeudy, Soazig Quéméner, Anna Cabana… Vont-ils aussi participer à la notoriété de la nouvelle marque ?
T. de F. : il s’agissait d’abord de pouvoir parler de thématiques qui ne sont absolument pas couvertes par La Tribune aujourd’hui. La rédaction va contribuer à ce nouveau titre dans ses pages Economie et International mais pour tout le reste, c’est un savoir-faire journalistique différent. Une quinzaine de journalistes nous ont rejoints. Il y a plein de belles signatures qui sont aussi des gens qui savent écrire pour le lecteur du dimanche, qui a envie de lire et de temps long, qui a besoin d’être interpelé… Ce niveau de qualité éditoriale est aussi ce qui nous a guidés vers le choix d’un format berlinois au lieu du tabloïd et d’une maquette soignée, que nous avons travaillée avec Jean-François Labour et les équipes d’ETX.
La Tribune Dimanche se positionne davantage contre la manière dont se déroulent les débats sur les réseaux sociaux que contre le JDD
IN : même si La Tribune Dimanche n’est pas une réponse à la crise du JDD, le public fera obligatoirement le lien entre ces deux événements. Est-ce qu’il faudra aussi y voir deux propositions : un journal qui se veut « ouvert » et un autre plus « segmentant » ?
T. de F. : un projet qui se fait contre quelque chose ne peut avoir de viabilité. Pour autant, on défend une vision de la société et une manière de couvrir l’information qui est plus nuancée, pluraliste. Nuancé ne veut pas dire tiède ! Le débat est dans l’ADN de La Tribune pour permettre à nos lecteurs de se faire une idée ou une opinion sur un sujet. On veut être le journal qui rassemble nos lecteurs le dimanche. On se met davantage contre la manière dont se déroulent les débats sur les réseaux sociaux que contre le JDD. Les réseaux sociaux conduisent à des débats très polarisés « pour ou contre ». Or, la nuance existe et, sur un tas de sujets, la vérité est dans la nuance. On s’inscrit plutôt contre l’ère de l’émotion et de l’immédiateté. On ne va pas utiliser une information pour faire de l’audience mais pour apporter de la contextualisation. De la même manière, on va essayer d’apporter des codes du print dans nos supports digitaux. D’amener de beaux sommaires dans nos newsletters, alors qu’actuellement les newsletters sont toujours pensées pour faire du clic.
IN : quid de la publicité ?
T. de F. : beaucoup d’annonceurs ont envie de soutenir cette démarche, qui reste un défi industriel et entrepreneurial. C’est courageux de lancer un quotidien en France en 2023. On cherche aussi des annonceurs qui sont aussi dans cette logique d’engagement. Ils cherchent à s’associer à une démarche éditoriale riche, à un temps de lecture plus long et plus soigné.
C’est courageux de lancer un quotidien en France en 2023. On cherche aussi des annonceurs qui sont aussi dans cette logique d’engagement.
IN : le dimanche est une journée particulière pour l’accès et la lecture de la presse. Quels sont les atouts et les inconvénients ?
T. de F. : le dimanche est le jour de la semaine où il y a le plus de lecteurs et où il y a le moins d’offre. Il était assez naturel de prendre cette place du dimanche. Celle du samedi est beaucoup plus difficile… Il y a certes moitié moins de marchands de journaux ouverts le dimanche, mais c’est aussi un marché où la diffusion sur le digital est importante. Elle représente près de la moitié des lectures chez nos confrères. C’est aussi le jour où on achète de plus de titre. Le lecteur qui va chez son marchand de journaux le dimanche est plus âgé, par exemple un titre de PQR et un titre national.
IN : Cela reste aussi un pari industriel et de distribution…
T. de F. : il n’y avait pas eu de nouveau quotidien en France depuis dix ans. Il a fallu rassembler les acteurs de l’imprimerie, les marchands de journaux, les dépositaires… On travaille à la fois avec un imprimeur national et un imprimeur régional avec l’imprimerie de La Provence. C’est à la fois dans l’ADN de La Tribune que de travailler avec des acteurs des territoires et aussi une innovation qui a été saluée par beaucoup d’acteurs. Sur le volet distribution, La Tribune Dimanche sera mis en place de 120 000 ex. pour la partie papier et sera disponible en digital chez tous les kiosquiers numériques et chez tous ceux qui proposent d’accéder à un journal en numérique (Air France Play, sur le portail de la SNCF…). Tout ce qui pourra être proposé pour faire sortir La Tribune de sa sphère économique et développer la notoriété de la marque sera important. Une campagne sur la marque a démarré sur les réseaux et en affichage. Elle va se déployer aussi en radio. A ce stade, elle met l’accent sur deux messages : « on lance un rendez-vous le dimanche » et « on lance un rendez-vous généraliste ». Très vite, on ira sur des ressorts plus traditionnels pour la presse.
IN : cela peut-il brouiller un peu le message sur le positionnement de La Tribune ?
T. de F. : La Tribune va rester un média économique mais on ne peut plus penser l’économie sans y associer la société. Il était indispensable de continuer à renforcer notre offre éditoriale le weekend mais, en 2024, on continuera aussi à la renforcer sur les territoires, sur les grands sujets de transformation économiques. Beaucoup de sujets sont en train d’émerger comme l’IA. Il y a encore beaucoup de choses à dire sur le climat, le biodiversité… Tous les sujets qui feront l’actualité économique et de de la transformation économique seront renforcés au sein de La Tribune. L’offre plus généraliste du weekend vient accompagner nos lecteurs différemment en leur donnant ce souffle dont ils ont besoin. On le faisait déjà dans nos événements et on le traduit désormais au niveau éditorial dans nos formats papier.