INfluencia : Votre coup de cœur en ce moment ?
Stéphane Martin : il date de cet été. Tout est parti du « Dictionnaire amoureux de la radio » de Franck Lanoux. En me promenant à Paris Plages et en flânant sur les quais près des bouquinistes, je suis tombé sur « Le dictionnaire amoureux du rock » d’Antoine de Caunes, un livre qui date de 2010 mais que je ne connaissais pas. J’y ai retrouvé cette belle écriture et cette auto-dérision qui nous manque. Je suis certain qu’il pourrait l’actualiser. Quand on voit notre Mick Jagger virevolter à Versailles, on réalise que le rock est bien vivant. Comme quoi, les bouquinistes apportent énormément de choses aux Parisiens !
La jeune génération reproduit des schémas qui peuvent remonter jusqu’à Bourdieu, avec tous ces poncifs de manipulation
INf. : Et votre coup de colère ?
S.M. : ceux qui me connaissent savent que j’en ai peu. Mais ce qui m’insupporte sur le long terme, c’est cette défiance qu’il y a sur nos métiers de communication au sens très large et encore plus la communication publicitaire, et qui traduit une sorte de paresse intellectuelle ambiante, peut-être même un peu élitiste. On a affaire à une sorte de doxa. Cela fait bien de critiquer la communication sans voir, et surtout sans vouloir voir que c’est un secteur économique où il y a de nombreux talents, qui créé des emplois et ne fait appel à aucune subvention publique, ce qu’on devrait à l’inverse saluer. Même la jeune génération reproduit des schémas qui peuvent remonter jusqu’à Bourdieu, qu’ils n’ont évidemment pas connu, avec tous ces poncifs de manipulation qui ne sont absolument pas prouvés depuis des décennies et qu’ils ne remettent pas en question. Cela devient un acquis, une vérité et cela ne s’arrange pas avec le temps
La Thaïlande est mon deuxième pays
INf. : La personne ou l’événement qui a le plus compté pour vous
S.M. : si je suis là, c’est grâce à des personnes et pas une seule personne, d’abord celui qui a pris le risque de me permettre de commencer, à moins de 15 ans, à faire de la radio, Eric Hauville, puis entre autres, Philippe Hutinel, Marc Duteil, Philippe Santini, Claude Cohen, Martine Hollinger, et tous les présidents et administrateurs de l’ARPP. Je mesure la chance que j’ai eue d’être soutenu dans ma vie professionnelle par des bonnes fées.
Quant à l’événement personnel qui m’a marqué et a structuré d’autres parties de ma vie, c’est la découverte en 1990 de la Thaïlande, où j’ai une maison. C’est mon deuxième pays.
INf. : Votre plus grande réussite…
S.M. : Réussir sa vie ce n’est pas quelque chose de matériel pour moi, ma plus grande réussite est avoir essayé de rester conforme à des valeurs de respect, d’élégance de vie. Je pense – et j’espère – dans ma vie privée ou professionnelle, n’avoir heurté, blessé, ou trahi la confiance de personne.
« No regrets. They don’t work, No regrets now, They only hurt ».
INf. : Et votre plus grand échec
S.M. : A date je n’ai pas eu de grands échecs. Je me retrouve très bien dans les paroles de cette vieille chanson de Robbie Williams : « No regrets. They don’t work, No regrets now, They only hurt ». Je ne regarde pas en arrière, je vois plutôt le côté rose des choses.
Petit bémol : comme je ne suis pas de la génération des Erasmus, j’aurais aimé avoir pu partir faire des études à l’étranger. Mais je me suis largement rattrapé plus tard dans ma carrière, alors là encore, je n’ai finalement pas de vrais regrets.
Déjà dans tous les bulletins les maîtres répétaient que j’étais bavard…
INf : Si vous aviez suivi vos rêves d’enfant
S.M. : En fait, je les ai suivis… J’ai eu la chance de faire très jeune, à l’âge de 14 ans, ce qui était ma passion de gamin : parler. Je n‘étais pas mauvais à l’école, mais déjà dans tous les bulletins les maîtres répétaient que j’étais bavard…
J’ai démarré dans la radio en 1981, au moment de l’arrivée des radios libres, – c’était les start-up de ma génération – dans une radio à Rouen qui s’appelait RVS (elle a plus tard été rachetée par le groupe NRJ pour devenir Rire & Chansons). Moi qui étais timide, je me suis fait violence pour, dans le dos des parents, écrire une lettre de motivation et j’ai été pris. J’étais à la fois animateur et directeur des programmes. Il faut rappeler qu’à l’époque il y avait très peu de radios et, si les artistes n’étaient pas programmés sur Europe1, RTL, le service public ou éventuellement RMC dans le Sud, personne ne pouvait les écouter. Donc c’était une bouffée d’oxygène pour eux.
J’ai aussi participé à des concerts qu’on avait montés avec Goldman, Gainsbourg, Lavilliers… On allait dîner avec eux jusque très tard. Je faisais également les voix dans les pubs et j’étais aussi DJ (pour mémoire j’étais mineur !). J’ai connu très jeune le côté entertainment, showbiz, ce qui m’a permis finalement d’être à l’aise plus tard face aux mirages des paillettes. Je suis resté jusqu’en 1984 dans cette station, avant de devenir animateur à Radio Porte Océane au Havre. Pendant ce temps-là j’étais au lycée et passais mon bac. Alors certes je n’ai pas eu les mêmes expériences d’adolescent que d’autres, après les cours je ne retrouvais pas mes camarades, je filais à la radio. Mais c’était tellement passionnant et foisonnant par rapport au morne lycée.
Comme j’ai fait cela très tôt, j’ai épuisé ce rêve d’enfant très jeune, mais cela m’a fait grandir. En fait mon rêve était d’être communicant. Je me suis alors dit qu’il y avait d’autres moyens de faire de la communication et je suis passé à la régie publicitaire.
Être un chat pourrait me permettre d’avoir une deuxième vie, plus calme
INf. : Si vous deviez vous réincarner
S.M. : je suis furieusement agnostique, même si je vis avec un bouddhiste, et ne crois pas en la réincarnation. Mais si je me projette éventuellement, ce serait dans un animal et plus particulièrement un chat. Je suis ravi de ma vie bien remplie, et être un chat pourrait me permettre d’avoir une deuxième vie, plus calme. Une vie de chat indépendant et en même temps toujours proche, aimé et dorloté dans une bonne maison.
Je n’adhère pas à cet adage « toute vérité est bonne à dire ».
INf. : A quelle occasion mentez-vous ?
S.M. : si je suis amené à mentir personnellement, à faire un peu l’anguille, c’est par omission – ce qui n’est pas forcément un mensonge – pour ne pas blesser. Je n’adhère pas à cet adage « toute vérité est bonne à dire ». Il n’est pas nécessaire d’appuyer là où cela fait mal.
Professionnellement, on est moins amené à le faire a fortiori quand on est en charge de l’éthique. A un moment il faut dire des vérités. Mais nous ne mentons pas. On peut ne pas tout dire, notamment quand on est avec d’autres parties prenantes. Il faut toujours être vigilant sur cette dictature de la transparence, les réseaux sociaux montrent les effets que cela peut avoir. Parfois c’est une question de temporalité, on n’est pas obligé de tout dire à ce moment-là.
INf. : quelle personne emmèneriez-vous sur une île déserte ?
S.M. : une chose est certaine : surtout pas un ermite qui ne parlerait pas… J’ai fait du piano dans ma jeunesse, et je suis en admiration devant les pianistes virtuoses. Alors, j’en choisirais un avec, en plus, une dimension interculturelle pour partager et s’enrichir mutuellement.
** l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’A la recherche du temps perdu
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