INfluencia : Votre coup de cœur ?
David Ken : c’est la rencontre que j’ai faite, dans le cadre du LOL Project, avec « Les Blouses Roses » (ndlr : des bénévoles qui interviennent principalement auprès des enfants hospitalisés et des personnes âgées en Ehpad). Je les ai aidées en 2019 lors de leur 60 ème anniversaire et j’ai rencontré des gens fantastiques, qui ont compris qu’il n’y a pas que soi dans la vie, qu’on s’enrichit en rencontrant d’autres personnes et en leur apportant un peu de bonheur.
Le lâcher prise, c’est aussi faire du bien à ceux qui regardent la photo. Le LOL Project, c’est l’anti-selfie
IN : Et votre coup de colère ?
D.K. : j’essaie de ne jamais être dans la colère, mais je trouve inquiétants le côté d’immédiateté et la place prise par les réseaux sociaux, où chacun s’improvise journaliste, photographe, penseur. On est dans cette « civilisation du prêt à jeter » dont parlait déjà Gilbert Cesbron, dans les années 70. Une photo chasse l’autre, on n’a plus le temps de consommer et d’apprécier. Et moi je n’aime pas la « con-sommation » dans cette société où le vainqueur est le roi selfie. Aujourd’hui, place au narcissisme, tout le monde veut tout contrôler. Le lâcher prise, c’est aussi faire du bien à ceux qui regardent la photo. Le LOL Project, c’est l’anti-selfie.
Depuis le début du LOL, j’ai retrouvé du sens et je me suis « re-senti » à ma place
IN : la personne ou l’événement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?
D.K. : c’est une rencontre, le 21 septembre 2009, avec Jonathan, un patient de l’hôpital de Garches, qui était atteint d’un cancer. C’était la première fois que j’amenais le LOL Project dans un établissement de ce type et je paniquais. Je pensais : « j’arrive à faire rire des gens qui vont bien, des influenceurs, des journalistes, etc. mais je ne peux pas me louper avec quelqu’un qui va mal ». J’ai commencé à flipper, surtout quand il m’a annoncé : « vous savez, je n’ai pas ri depuis deux ans ». Je l’ai pris par l’épaule et on s’est un peu apprivoisé. On a commencé la séance. Et là soudain, il a éclaté de rire. Au même moment, sa maman Joëlle éclatait en sanglots! Grâce au numérique il a vu tout de suite sa photo, il s’est senti mieux. J’ai créé de l’endorphine. Le rire est le meilleur médicament.
Cet instant a vraiment changé ma vie. C‘est pour cette raison que je viens d’écrire un livre intitulé « un éclat de rire a changé ma vie ». Avant, je faisais plein de belles photos de mode avec les plus grands mannequins, Gisele Bündchen, Linda Evangelista… sans me poser la question du « so what ? ». Depuis le début du LOL, j’ai retrouvé du sens et je me suis « re-senti » de nouveau à ma place.
IN : Si c’était à refaire ?
D.K. : petit, j’avais deux rêves : être architecte parce que j’étais fou des LEGO, je montais des immeubles et en plus j’imaginais la vie des gens à l’intérieur. Tout le monde était persuadé que j’allais devenir architecte. Et en même temps, je voulais être reporter de guerre…. C’est certainement parce que la Belgique est le pays de Tintin et j’étais tintinophile. Et un jour mon cousin, qui avait 7/8 ans de plus que moi m‘a montré l’appareil photo qu’il avait reçu et tout de suite cela a été un instant magique.
Dans ma cité on m’appelait « le professeur ».
Alors, si c’était à refaire, je ne sais pas. Je suis très adepte du kairos, les opportunités, on les créé. En fait j’ai eu beaucoup de chance, j’adore le film « itinéraire d’un enfant gâté » car le titre me va très bien. Je n’étais pas trop mauvais à l’école, dans ma cité on m’appelait « le professeur ». Je n’ai jamais fait de formation de photographe, j’étais ingénieur en informatique. J’ai été engagé par IBM en sortant de la fac – j’y suis resté deux jours. J’avais l’impression d‘être en prison et d’étouffer. Et j’ai rencontré une directrice d’une agence de mannequins qui m’a convaincu que j’avais du talent comme photographe. Elle m’a donné ma chance.
Le but du LOL était de faire du bien à des gens qui n’allaient pas bien. J’ai réussi et j’en suis fier.
IN : Votre plus grande réussite…
D.K. : sans aucun doute le LOL project que j’ai démarré il y a 15 ans. En 2009 c’était la crise des stock prime, tout s’arrêtait et il n’y avait plus de campagnes à shooter. Un ami à ce moment-là m’a demandé : « c’est quoi une grande photo ? ». Je lui ai répondu : « c’est une photo que je ne peux pas refaire ». Il a insisté : « Comme quoi ? ». « Comme un éclat de rire. Un vrai éclat de rire, sincère ; sonore… Comment on fait ? Je n’en sais rien mais j’ai envie d’essayer ». J’ai monté un studio et j’ai photographié et posté sur facebook plein de gens en train de rire, dont Grégory Pouy, qui pour m’aider m’a proposé de faire venir une vingtaine de blogueurs. Une semaine plus tard, la page Facebook du LOL Project a fait un bond énorme et le projet était vraiment lancé.
« A chaque fois que je passe devant ces photos, cela fait du bien de voir mes amis de galère »
Et puis il y a eu Garches. Tout le monde m’a dit : « mais l’hôpital, ce n’est pas un endroit pour rire, c’est un endroit grave » et j’ai rétorqué : « mais au contraire, il faut amener le rire ». C’est comme cela que j’ai démarré à Garches, puis j’y suis retourné, j’ai offert aux malades des tirages et ce sont eux qui ont fait des mosaïques sur les murs. Et quand je leur ai demandé « pourquoi n’avez-vous pas emmené ces photos chez vous ? », l’un d’entre eux m’a répondu : « parce que, à chaque fois que je passe devant elles, cela fait du bien de voir mes amis de galère, cela nous rappelle aussi chaque moment, passé avec toi et cela nous unit ». Ces mosaïques sont aujourd’hui présentes dans plus de 130 hôpitaux dans toute la France, sachant que chaque mosaïque c’est 80 à 100 personnes. Le tout est bien sûr bénévole mais j’ai trouvé des mécènes qui financent des actions dans les entreprises, dans les hôpitaux etc…Le but du LOL était de faire du bien à des gens qui n’allaient pas bien. Pari réussi.
J’ai demandé à Anne Hidalgo de faire une exposition dans Paris au moment des JO
IN : Votre rêve aujourd’hui ?
D.K. : ce serait d’exposer tous ces portraits – et il y en a plus de 35 000 aujourd’hui – au monde entier. Quand j’ai lancé ce projet, je pensais seulement en faire 1000 et passer à autre chose. Je n’aurais jamais pu imaginer faire une expo en 2016 vue par 12 millions de personnes dans le métro parisien ! Aujourd’hui, on m’appelle « Monsieur Lol », et j’en suis très fier. J’ai écrit des lettres ouvertes – sans réponse – pour demander à Anne Hidalgo de faire une énorme exposition de tous ces gens qui rient, c’est positif et cela ferait du bien à tout le monde. Les Jeux Olympiques seraient la meilleure tribune du monde. Mais je n’ai pas encore vu un grand patron d’un groupe de pub ou industriel me dire : « c’est génial votre idée, maintenant, comment fait-on » ? Or il faut se dépêcher, cela fait des années que j’en parle, les JO sont dans moins d’un an maintenant. C’est la plus grande galerie d’éclats de rires au monde. Il n’y a pas d’autre photographe assez fou pour avoir photographié 35 000 personnes en train de rire dans des studios, des entreprises et dans les hôpitaux !
La photo de mode cela devait être de l’amusement et à un certain moment je ne m’amusais plus
IN : Et votre plus grand échec
D.K. : ne pas avoir quitté plus tôt le système de la mode. La photo de mode cela devait être de l’amusement et à un certain moment je ne m’amusais plus. J’aime beaucoup cette phrase de Einstein : « la créativité c’est l’intelligence qui s’amuse ». On m’a poussé dans la mode un peu par hasard et j’y suis resté par facilité. En fait je faisais des photos depuis 8 ans et j’avais une petite amie qui était jolie. Les photos ont été vues par son agent qui m’a fait faire son book, les copines ont voulu plein de photos. On me payait en une journée ce que ma mère gagnait en un mois. Je m’amusais, c’était la fin des années 80, j’avais 23-25 ans, je n’allais pas dire non… Mon premier Vogue Italien je l’ai fait à 23 ans, j’avais 30 assistants… Mais à un certain moment, je travaillais trop, je voyageais trop. Je ne faisais que produire. A tel point que je ne voyais plus les photos que je shootais. Je ne me suis pas assez régénéré parce que la créativité c’est aussi prendre le temps d’aller au musée, de se promener, de ne rien faire. Mon plus grand échec est de ne pas l’avoir vu car je n’avais pas assez de maturité.
IN : la personne vivante que vous admirez le plus
D.K. : Steven Spielberg pour sa capacité à raconter des histoires de manière si immersive et émotionnelle. J’ai eu la chance de croiser sa route et de le photographier et cela reste un moment unique pour moi. Il sait comment utiliser la technologie cinématographique pour créer des mondes fantastiques et des personnages mémorables. De plus, c’est un humaniste engagé, utilisant souvent ses films pour aborder des questions importantes et sensibles. Son impact sur l’industrie du cinéma est indéniable et il continue à inspirer de nombreux cinéastes et spectateurs.
Quand on se retrouve à 30 mètres sous l’eau, on n’est que dans la contemplation et on se sent privilégié.
IN : un moment off, ce serait…
D.K. : la photo reste ma passion. J’adore me promener en ne pensant à rien, je déconnecte, il n’y pas d’obligation. Je sors toujours avec mon Leica et je regarde autour de moi. Je suis vraiment dans l’instant présent et à un moment je vois des choses que les autres ne voient pas. Il m’est arrivé de marcher 6 heures dans Paris et de n’avoir fait que 2 ou 3 images. Soudain j’arrive dans ma rue et, juste devant chez moi, il se passe quelque chose. J’appelle cela « les propositions du hasard », c’est le titre du livre de photos que je suis en train de faire.
L’autre moment off est quand je plonge. J’ai enfin vaincu ma peur de mettre ma tête sous l’eau à 40 ans, donc je fais de la plongée, j’ai obtenu mon PADI. Quand on se retrouve à 30 mètres sous l’eau et qu’on contrôle sa respiration, on n’est que dans la contemplation et on se sent privilégié.
IN : quel tableau emmèneriez-vous sur une île déserte ?
D.K. : J’irais au musée d’Orsay et je prendrais les « Raboteurs de parquet » de Gustave Caillebote, je peux rester des heures à regarder ce tableau. Je suis très impressionniste ; c’est un tableau dans lequel on peut s’évader.
* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’A la recherche du temps perdu
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L’actualité de David Ken
- La publication de son livre : « un éclat de rire a changé ma vie » en format papier
- Des masterclasses avec Leica
- Un livre en préparation sur la street photography, « Les propositions du hasard »
- Le développement de sa chaine Youtube
- L’équipe du LOL Project propose une animation Live collective