L’intelligence artificielle, recette miracle contre l’évasion fiscale ?
Brandi comme une solution miracle à toutes les grandes problématiques sociétales de notre temps, l’Intelligence Artificielle est en passe de se faire de nouveaux adeptes du côté du Ministère de l’Économie et des Finances. Les dispositifs à base d'IA pour lutter contre la fraude fiscale s'enchainent... et déchainent les passions.
Dans un entretien au Parisien le 23 février dernier, le ministre des Comptes publics Gabriel Attal dévoilait les montants de la fraude fiscale en 2022. Quand on considère les cas les plus graves, « à savoir les sous déclarations de bénéfices fiscaux pour les entreprises, les sous-déclarations de revenus ou même les fraudes au crédit d’impôt pour les particuliers, ces chiffres représentent 5,5 milliards d’euros ». M. le ministre en a profité pour se « féliciter » d’un recouvrement « historique » de la fraude fiscale de 14,6 milliards d’euros en 2022. En 2021, le contrôle fiscal avait déjà permis de rapporter 10,7 milliards d’euros à l’État, selon le rapport « Fraude et évasion fiscales : faire les comptes et intensifier la lutte », remis au Sénat par la Commission des Finances en octobre 2022.
Un document un peu plus complet nous apprenait que les montants recouvrés avaient ainsi augmenté de près de 37,5 pour cent depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. Celle-là même qui avait permis la création d’une « police fiscale » rattachée au ministère de l’action des comptes publics –.
Si d’indéniables progrès ont été accomplis, la pleine effectivité de notre arsenal normatif en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est loin d’être atteinte. Jean François Husson, sénateurLes Républicainset rapporteur de la Commission des Finances, précise même que « si certains dispositifs récents, tels que l’introduction d’un principe de responsabilité solidaire des plateformes en ligne et l’assouplissement du « verrou de Bercy », ont joué leur rôle, une révolution fiscale est toujours aussi nécessaire à mettre en place ».
L’IA nous sauvera tous
Un sentiment de manque à gagner qui fait sens, selon Anne Guyot-Welke, secrétaire générale du syndicat Solidaires Finances publiques, quand on réalise que face à ces dizaines de milliards d’euros recouvrés par les autorités fiscales, on estime que, « tout impôt confondu, la fraude fiscale en France représenteentre 80 et 100 milliards d’euros ». Des chiffres qu’il convient de tempérer . Ce que le ministère de l’Économie et des Finances itself ne se prive pas de faire… Tant la France souffre d’un manque d’outils solides pour évaluer la fraude fiscale, contrairement à d’autres pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis, ou encore l’Australie, dont les systèmes reposent sur des contrôles aléatoires ou ciblés.
Ça tombe bien, l’IA semble être la dernière solution miracle à tous nos problèmes. Un techno-positivisme ambiant que partage aussi la DGFIP – la Direction Générale des FInances Publiques – puisqu’elle peut compter depuis le début de l’année sur un logiciel informatique de traitement automatisé des données des contribuables d’un nouveau genre appelé Galaxy.
Approuvée le 11 mars par la CNIL – la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés –, cette nouvelle arme anti fraudeur est « un outil de visualisation, au niveau national, d’une part des liens existant entre des entités professionnelles (liens de participation), entités professionnelles et personnes physiques (liens de dirigeant, d’associé ou d’actionnaire), et d’autre part, des éléments de contexte sur la situation patrimoniale et fiscale de ces personnes ». Il permet, en somme, d’agréger des données comme le revenu fiscal de référence, l’identité du conjoint ou encore les obligations fiscales pour les particuliers. Mais aussi le numéro de Siren, le statut juridique, la catégorie de chiffre d’affaires ainsi que les impôts et taxes auxquels sont assujetties les personnes morales. On comprend que sont observés en priorité les contribuables français à « fort enjeu » et à la tête de petites comme grandes sociétés, au regard notamment des corrélations entre leurs situations financière, personnelle et entrepreneuriale. Une initiative qui émane directement du projet Pilat – Pilotage et analyse du contrôle – lancé par le ministère de l’Économie et des Finances en 2019 pour rajeunir et actualiser les méthodes consacrées au contrôle fiscal.
Une équipe hybride
Bien plus qu’un simple dispositif expérimental, Galaxy est le symbole des mutations qu’a opéré la DGFIP ces dernières années pour se moderniser. L’an dernier, elle signait un partenariat avecGoogle pour récupérer et exploiter ses images satellites de biens non déclarés aux services des impôts, et en priorité les piscines et les vérandas… De quoi mettre les classes moyennes supérieurs pavillonnaires en PLS. L’administration fiscale vient également de recevoir les autorisations dans le cadre d’expérimentations pilotes, pour vérifier les informations issues des réseaux sociaux de certains contribuables français. En 2021, l’IA était à l’origine de près d’un contrôle sur deux et avait généré 1,2 milliard d’euros de recettes. Cela ne représentait que 9% du total, mais l’augmentation était de 51% sur un an.
Selon StéphaneCréange, sous-directeur du contrôle fiscal, le service réunit aujourd’hui, au sein d’une seule et même équipe, « des fiscalistes purs et durs, des informaticiens et des data scientists. Chacun a une mission très précise, mais ne peut avancer sans les autres. Les informaticiens font du code et nettoient les fichiers de données, pour qu’ils délivrent l’information la plus pertinente possible. Les six data scientists dialoguent en permanence avec les inspecteurs des impôts et modélisent l’expérience de ces derniers : à quel moment, par exemple, peut-on dire qu’il y a anomalie entre un certain niveau de revenus et un certain niveau de patrimoine ». Avant de rappeler, et sûrement de rassurer ses collègues humanoïdes : « Pour croiser des fichiers et dénicher les bizarreries, il faut bien déterminer un seuil au-delà ou au-dessus duquel la fraude est probable, une mission impossible dans l’expérience des « vrais » contrôleurs des impôts ».
Expérimenter pour mieux s’adapter
Mais pour Julien Briot-Hadar, économiste spécialiste de la fraude fiscale, la France « doit aller beaucoup plus loin. Ce que je préconise, c’est la création d’une blockchain, un registre numérique mondial accessible à l’ensemble des administrations fiscales nationales qui répertorie l’ensemble des transactions financières ». Un outil dopé par l’intelligence artificielle détecterait ensuite dans cette base de données les opérations atypiques sur le système du machine learning. De quoi récupérer une grande partie des milliards évadés chaque année, selon l’auteur de Dans les méandres de la fraude fiscale. Une phase d’expérimentation globale de l’IA que la France est loin d’être la seule à conduire… à commencer par les États-Unis. Un article publié dans le New York Times le 8 septembre dernier précise même que l’IRS – Internal Revenue Service – y a recours pour auditer 75 des plus grands partenariats du pays d’ici à la fin du mois de septembre, y compris ceux entre fonds spéculatifs, investisseurs immobiliers, entreprises cotées en Bourse et grands cabinets d’avocats.
Daniel Werfel, commissaire de l’IRS précise que « l’IA nous aide à reconnaître des motifs et des tendances que nous ne pouvions pas voir auparavant. Elle nous permet d’identifier les partenariats majeurs qui cachent des revenus et de savoir où les chercher ». Pourtant, alors que l’autorité américaine accompagne son développement technologique par une augmentation de son personnel à temps plein à un niveau « qui n’avait pas été observé depuis plus d’une décennie », la DGFIP en a profité, elle, pour réduire ses affectifs, puisqu’ils étaient 105.000 en 2017, et 94.669 en 2021. La technologie c’est bien… A condition de ne pas oublier l’accompagnement humain…
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