INfluencia : après avoir terminé la saison 2022-2023 à 2,4 % de part d’audience, en hausse de 0,9 point sur un an, LCI a lancé lundi 28 août sa nouvelle grille. Sur quelles bases a-t-elle été construite et avec quelles ambitions ?
Thierry Thuillier : il fallait cette année plus de stabilité que de mouvement dans la grille. On a cherché à consolider ce qui marchait en conservant nos meilleures valeurs, alors que plusieurs de nos incarnants – Darius Rochebin, Bénédicte Le Chatelier… – ont été chassés par la concurrence et travaillé sur le rythme de la grille. Depuis plusieurs années, LCI se cherche dans la matinale. Malgré de bons professionnels (François-Xavier Ménage, Pascale de la Tour du Pin, Stefan Etcheverry…), nous n’avons pas trouvé le bon format et cette case a progressé plus lentement que sur tout le reste de la grille. Elle a toujours été conçue de manière un peu académique avec des journaux toutes les demi-heures, des vidéos, des rubriques, des chroniques… On est arrivé à la conclusion que si on restait académique, on ne s’en sortirait pas. On s’est donc donné tous les atouts pour avoir une matinale qui ressemble exactement au reste de la grille, avec du temps pour traiter des sujets en profondeur.
IN : avec quels partis pris ?
T.T. : il fallait un nouvel incarnant et un nouvel élan. Jean-Baptiste Boursier s’est imposé car c’est un journaliste très agile qui maîtrise tous les sujets politiques, économique et internationaux, soit exactement les centres d’intérêt de l’information de LCI. Les journaux sont désormais courts et intégralement pris en charge par la présentatrice Kady Adoum Douass. Cela laisse de la place à l’équipe chorale avec François Clemenceau qui a rejoint la chaîne, Soizig Quéméner (directrice adjointe du futur Tribune Dimanche), et toujours Adrien Gindre, Pascal Perri, Virginie le Guay, Narjisse Hadji et Ange Noiret. On se rapproche ainsi de l’intention du reste de la journée, tout en gardant les ingrédients d’une matinale, la bonne humeur, la convivialité, le travail en équipe… C’est devenu un talk d’actualité car notre public apprécie que l’on prenne le temps de l’explication et de l’approfondissement.
On est arrivé à la conclusion que si la matinale de LCI restait académique, on ne s’en sortirait pas. Elle est devenue un talk d’actualité car notre public apprécie que l’on prenne le temps de l’explication et de l’approfondissement.
IN : la matinale est pourtant la case sur laquelle le format long est le plus difficile à installer…
T.T. : c’est en effet un sujet de réflexion sur une tranche d’info que l’on écoute parfois plus qu’on ne la regarde, mais on a constaté que le format court ne marchait pas davantage et surtout ne nous correspondait pas. Si LCI ne répond pas à ce besoin d’explication, le public ne viendra pas nous voir. La chaîne sera toujours battue par BFM TV si elle essaie les concurrencer sur la réactivité et les images, ne serait-ce que parce que nos équipes ne sont pas aussi nombreuses que les leurs, ni totalement dédiées à ce format. Il fallait proposer quelque chose de différent et le démarrage du 6-9 est très encourageant (les premiers jours, la matinale a franchi le cap des 100 000 téléspectateurs, ndlr).
IN : l’émission politique L’Evénement du dimanche est l’autre nouveauté de la rentrée…
T.T. : on a pris notre autonomie par rapport au partenariat de longue date que nous avions avec RTL et Le Figaro pour créer notre propre émission politique. Il y avait sur LCI des tranches avec des invités politiques mais paradoxalement pas d’émission politique dédiée, notamment le dimanche. Cette nouveauté, qui s’appuie sur nos propres talents, notamment la journaliste Marie Chantrait, accompagne le développement de la chaîne. LCI est désormais bien placée pour faire venir des personnalités politiques sur son antenne. Ce n’était pas forcément le cas il y a quelques années. Les scores du premier week-end nous confortent dans ce choix.
IN : depuis février 2022, la guerre en Ukraine est un axe fort du positionnement de LCI. En quoi cela participe aux performances d’audiences ?
T.T. : on a tendance à attribuer le succès de LCI à sa couverture à 100 % de la guerre. C’était vrai à une époque mais ce n’est plus exact aujourd’hui et ça ne le sera sans doute pas davantage en cette rentrée. La chaîne couvre plus précisément la guerre en Ukraine et ses conséquences. Même si la ligne de front est gelée, cette guerre continue d’avoir un impact sur nos vies quotidiennes, représente une menace sourde sur notre avenir et sur la paix que l’on connait dans l’Ouest de l’Europe. On veut donc éclairer les téléspectateurs sur toutes ses conséquences, qui passent aussi par la redistribution des cartes autour des Brics ou les conflits larvés que la France connait à divers endroits de la planète avec la Russie… Ce positionnement international avec une forte connotation Ukraine intéresse un public large et très éduqué, plutôt CSP++ et plus âgé que le public de TF1, mais il a aussi permis d’élargir le public sur les 25-49 ans sur lesquels nous étions très faibles, souvent 4e chaîne, derrière franceinfo bien que devant eux sur les 4 ans et plus. Aujourd’hui, LCI est clairement 3e chaîne d’information et challenge assez souvent CNews sur ce critère des 25-49 ans.
IN : comment les ressources du groupe permettent-elles de tenir ce positionnement sur la durée ?
T.T. : l’ensemble du pôle info est mobilisé. On raisonne « groupe » pour le dispositif mis en place autour de ce conflit, qui est d’ailleurs applicable à d’autres sujets. Sur le terrain, nous avons de longue date des journalistes en Ukraine et en Russie. Cela nous vaut parfois des tensions de la part des Ukrainiens mais il est important que nous travaillions des deux côtés. Aujourd’hui, Jérôme Garro, journaliste au service news de TF1 en poste à Moscou, travaille essentiellement pour LCI. En Ukraine, Charline Hurel, reporter pour LCI, intervient aussi sur TF1. Plus généralement, les journalistes de TF1 ont plaisir à développer leurs enquêtes et reportages sur LCI. Et ceux de LCI – souvent des femmes – ont acquis une telle expertise qu’elles ont très largement le niveau des reportages du 13h et du 20h de TF1. Les synergies groupe ne concernent pas que le terrain. Un service commun d’une trentaine de documentalistes fact checkers vérifie et valide chaque jour les vidéos et les images des réseaux sociaux, essentielles à la couverture du conflit ukrainien. Le process mis en place est valable pour les deux chaînes, pour l’Ukraine et n’importe quelle autre information (fait divers, intempérie…). LCI n’aurait jamais pu financer à elle seule un service aussi important pour la crédibilité des images que l’on diffuse. Les synergies se voient aussi avec un service commun sur les images internationales.
IN : les deux rédactions restent pourtant séparées…
T.T. : oui car ce n’est pas le même métier : du reportage sur TF1 et un travail très centré autour des éditions et du live sur LCI. Fabien Namias (DGA de LCI, ndlr) et moi-même nous parlons en permanence et travaillons main dans la main pour nous coordonner, décider notamment de qui se rend sur le terrain. Un groupe WhatsApp me permet de valider chaque mouvement de nos équipes de manière très légère. Quand on décide d’approcher une ligne de front, il faut que je sois informé et que je donne mon accord.
LCI a la durée d’écoute la plus importante et c’est une explication de l’envolée de l’audience. Les tranches info sont construites comme des émissions avec des éléments de rebond, des débats parfois vifs… qui permettent de garder les téléspectateurs en haleine.
IN : LCI affiche une durée d’écoute beaucoup plus longue que les autres chaînes d’info. D’où vient cette spécificité et en quoi a-t-elle contribué à la progression de l’audience ?
T.T. : au sein des chaînes d’info, LCI a la durée d’écoute la plus importante et c’est une explication de l’envolée de l’audience. Elle était déjà de 20 à 25 minutes avant la guerre en Ukraine et a atteint 41 minutes par jour en juin, quand BFM TV et CNews sont plutôt à 30 minutes et franceinfo loin derrière. LCI est 5e chaîne nationale sur la durée d’écoute, devant beaucoup de chaînes généralistes. Lors du passage en gratuit, en 2016, la chaîne ne pouvait pas faire de journaux toutes les demi-heures et cette contrainte nous a amenés à construire une grille différente des autres chaînes info. Le rendez-vous de David Pujadas entre 18h et 20h s’est avéré très porteur pour installer des débats. Au fur et à mesure, ce format d’abord imposé puis revendiqué a été dupliqué avec des tranches info construites comme des émissions avec des éléments de rebond, des débats parfois vifs… qui permettent de garder les téléspectateurs en haleine. L’audience se fait sur le nombre de personnes qui viennent voir la chaîne chaque jour – et sur ce point nous sommes très handicapés par notre canal 26 – et la durée d’écoute. Ces deux facteurs conjugués ont permis d’obtenir l’an dernier une audience en très forte progression (+0,9 point sur un an à 2,4 % de part d’audience en juin, ndlr). Sur l’été, on sera encore à 2 % de pda malgré l’absence de tous nos titulaires, en progression de 0,4 ou 0,5 point par rapport à 2022.
IN : ce succès d’audience est-il source de moyens supplémentaires pour la chaîne ? Quelles sont les perspectives sur l’équilibre économique ?
T.T. : le pôle info dispose d’un budget global de 150 millions d’euros par an, qui a permis de développer LCI. Des arbitrages sont faits chaque année avec Fabien Namias, qui pilote les dépenses de la chaîne, notamment liées aux chroniqueurs. Le coût de grille est stable et, grâce aux synergies, une partie du budget de LCI est assumée par TF1. Les recettes publicitaires progressent mais il faut rester prudent dans les investissements. Comme n’importe quelle chaîne, LCI doit trouver un jour son équilibre économique. Personne n’avait anticipé l’usage croissant des chaînes info en France, qui atteignent à elles quatre entre 7 et 9 % de part d’audience, avec parfois des pointes à 12 ou 14 %, alors qu’elles étaient à 3,5 % en 2016. On pensait qu’il y avait un plafond de verre mais je suis assez convaincu qu’il y a encore de la marge et que cette marge va permettre un jour à LCI de trouver son équilibre économique. On a su être patients, on saura encore l’être.
Les chaînes info atteignent à elles quatre entre 7 et 9 % de part d’audience. Il y a encore de la marge et cette marge va permettre un jour à LCI de trouver son équilibre économique. On a su être patients et on saura encore l’être
IN : comment le pôle info s’inscrit-il dans la stratégie sur le numérique et le streaming lancée par Rodolphe Belmer depuis son arrivée comme PDG du Groupe TF1 ?
T.T. : on continue à développer la marque TF1 Info sur le digital. Un studio créé il y a un an et demi fait un gros travail d’editing sur les reportages de la rédaction afin de les distribuer sur les réseaux sociaux. On est désormais présent sur Snapchat, TikTok… Sur YouTube, où on a deux chaînes TF1 Info et LCI, on a dépassé le million d’abonnés. Cela permet de toucher un autre public. En cette rentrée, Paul Larrouturou devient notre visage sur les réseaux sociaux et le digital. Il va faire du live sur TikTok et partout où il est possible d’en faire, développera des formats… Il n’y a aucune raison que l’on n’arrive pas à faire par nos propres moyens ce que Hugo Décrypte parvient à faire. A la demande de Rodolphe Belmer et Claire Basini, en charge du digital, on travaille aussi sur une offre d’information au sein de MyTF1. Les tests sur des fils info en direct autour de sujets du 20h ou du 13h proposés en home page de la plateforme ont rencontré un bon accueil. On réfléchit donc à des offres qui permettent de faire exister l’info et créer de nouveaux usages sur écran. On prépare par exemple pour la fin d’année à une série de 5 x 26’ sur Notre-Dame de Paris issue de tous les tournages réalisés pour nos journaux autour de la reconstruction. Ce sera de la série d’info et du documentaire. D’autres équipes travaillent sur le « rail d’actualité », c’est-à-dire une verticale d’actualité avec le Top News avec des formats qui rassembleront les grands thèmes d’actualité. Tout cela est encore en devenir mais on verra si ces projets trouvent leur issue une fois que le MyTF1 refondu sera prêt.
On teste des offres qui permettent de faire exister l’info et de créer de nouveaux usages sur écran et dans un MyTF1 refondu, avec une série sur Notre-Dame de Paris et une verticale d’actualité sur la plateforme
IN : quelles sont vos actions en matière de lutte contre la désinformation ?
T.T. : cela prend plusieurs formes. Notre service de documentalistes a été formé pour « bebunker » les vidéos et informations manipulatoires, faire du sourcing… Il y a quatre ans, nous avons créé une marque transverse Les vérificateurs, sur TF1, LCI et le digital. Une trentaine de journalistes des deux rédactions ont été formés à des techniques de fact-checking. Tout cela est très bien mais on ne sera pas quitte avec ce combat car les logiciels, la technologie, l’IA, le deep fake qui fabriquent ces fausses informations vont très vite et nous moins vite. Il nous faut en permanence renforcer notre capacité à lutter contre la désinformation. Défensivement en élargissant notre spectre de connaissances et offensivement en se déployant sur les réseaux sociaux avec nos contenus estampillés TF1 Info. C’est indispensable pour le rayonnement du Groupe TF1 mais aussi pour pouvoir y proposer des informations certifiées et un travail rigoureux. On a beaucoup progressé sur ce point.
IN : les Etats généraux de l’information doivent être lancés en septembre. Quels points vous semblent essentiels à aborder ? Vous avez récemment dénoncé le mélange des genres entre divertissement et information autour de TPMP…
T.T. : on sera ravis d’y participer, notamment sur cette thématique de la manipulation de l’information et de la désinformation. Je ne veux pas reprocher à TikTok de faire ce qu’il fait ou à des talks de traiter d’actualité si cela marche pour eux… Il est important, pour nous qui sommes des responsables de rédaction, de constater que cela existe et que cela nécessite des réponses opérationnelles et politiques. Comme je ne crois pas que l’on puisse interdire ou restreindre les usages, il faut réguler pour que les règles de fonctionnement des réseaux sociaux se rapprochent de celles de l’information. L’Arcom devrait régulier les réseaux sociaux comme le sont les journaux télévisés, les talks d’actualité, les radios… Il faut qu’on sache d’où vienne l’information et quelles sont les sources. C’est l’un des grands axes du travail qui devrait être engagé lors des Etats généraux de l’information. Entre rien du tout sur les réseaux sociaux et la régulation qu’on peut imaginer, il y a peut-être une zone de compromis qui permettrait de mettre un peu d’ordre dans le désordre des réseaux sociaux. Il me semble aussi important que les autorités nous aident un peu pour ne pas mettre les grandes rédactions au même niveau que les influenceurs. Même si cela ne règle pas la question du public et que celui-ci considère mieux les influenceurs que les journalistes. Je suis aussi attaché à la notion de transparence, que l’on développe peu. Il faut expliquer comment on fabrique une information, avec quelles règles et quelles contraintes. Quand on ouvre nos portes au public, on est frappés à quel point ils sont estomaqués de voir comment un journal télévisé se fabrique.
Entre aucune régulation sur les réseaux sociaux et ce que l’on peut imaginer, il y a peut-être une zone de compromis qui permettrait de mettre un peu d’ordre dans le désordre des réseaux sociaux. Il est aussi important que les autorités nous aident un peu pour ne pas mettre les grandes rédactions au même niveau que les influenceurs
IN : cela ne passe-t-il pas par plus d’éducation aux médias ?
T.T. : je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas, à l’école et le plus tôt possible, un enseignement dédié à l’éducation aux médias, en particulier à l’audiovisuel et au décryptage de vidéos… On est très en retard là-dessus. En Finlande, cela existe dès l’école primaire pour habituer les enfants à reconnaître ce que raconte une vidéo, son danger… En France, cette éducation aux médias est faite par des professeurs volontaires mais devrait être une matière en tant que telle car c’est presque de l’instruction civique. J’aimerais aussi qu’on en parle dans les Etats généraux de l’information car ce n’est pas juste une question pour les professionnels mais d’éducation bien plus large. Ce n’est pas encore une cause nationale mais ça devrait l’être parce que cela vient sapper un des fondements de la démocratie. C’est un enjeu démocratique majeur. Il faut donner aux citoyens la capacité de faire le tri dans ce qu’on voit sur les réseaux sociaux d’autant qu’il est faux de penser que c’est seulement grâce aux journalistes qu’on y arrivera.