5 septembre 2023

Temps de lecture : 3 min

« Tant que l’IA ne comprend pas ce qu’elle fait, elle sera limitée », Cyril Vart (Fabernovel)

Cyril Vart est Executive Vice-President de Fabernovel, un cabinet de conseil en transformation numérique récemment croqué par EY. Cet expert en nouvelles technologiques, qui a été directeur du développement d’Emap France et DGA de Wanadoo Portail, nous explique l’impact que l’IA a déjà et aura dans le futur sur les métiers du marketing et de la communication. A lire absolument...

INfluencia : A quand remonte l’arrivée de l’IA dans les métiers de la communication et du marketing ?

Cyril Vart : L’IA est utilisée en marketing depuis de très nombreuses années. Les premières prises de décision automatisée remontent aux années 70. Les propositions de livres à acheter sur votre liseuse, les prédictions de commandes qu’Amazon envoie à ses fournisseurs… tout cela est généré par l’IA depuis bien longtemps. Les arbres de décisions qui permettent d’atteindre une décision unique ont, quant à eux, commencé à apparaître dans les années 90. Depuis six ans, l’intelligence artificielle est utilisée dans le planning stratégique et les premiers logiciels capables d’optimiser les parcours des commerciaux sont apparus il y a trois ans. L’IA n’est donc pas une technologie récente.

IN : Pourquoi avons-nous alors le sentiment de passer un cap actuellement ?

C. V. : Plusieurs facteurs expliquent l’accélération actuelle. Les coûts technologiques ont, tout d’abord, énormément baissé. L’explosion de ChatGPT est liée au fait que ce service est pour l’instant gratuit. Les entreprises sont aussi de plus en plus nombreuses à comprendre que l’IA peut représenter un très bon business pour elles. 90% des décisions prises par Amazon sont prises par l’intelligence artificielle. Dans l’industrie automobile, une partie du contrôle-qualité des véhicules et des stress-tests sont effectués par des machines. Nous sommes également en train de passer un cap dans la qualité des réponses apportées par l’IA. Au Chili, des vergers sont équipés de drones qui sont capables de regarder l’aspect et la couleur de chaque pomme avant de définir son taux de sucre et de comparer ces résultats à ceux enregistrés dans le passé afin de cueillir uniquement les fruits les plus gouteux. Il faut néanmoins bien garder à l’esprit que les avancées actuelles sont l’aboutissement d’un processus lancé il y a de nombreuses années. On voit toutefois aujourd’hui pour la première fois à quel point l’IA peut être utile et efficace.

IN : L’arrivée de l’IA générative va-t-elle aidé les pros de la com et du marketing ?

C. V. : Sans aucun doute. L’IA va bientôt pouvoir générer des contenus pour des micro-cibles et diffuser des annonces pertinentes pour tous les types de consommateurs. Au lieu de proposer 120 assets différents, les agences vont être capables d’en générer 10.000 voire même plus en quelques clics. Si aujourd’hui, l’IA générative commence déjà à être très efficace pour créer des contenus écrits, elle est encore assez limitée pour imaginer des visuels mais ce cap va être très prochainement franchi. On peut toutefois difficilement faire des prédictions précises concernant ces avancées car nous n’avons pas de recul sur cette technologie. Elle a été lancée il y a à peine six mois mais toutes les trois semaines, elle fait de spectaculaires progrès.

IN : Ces progrès semblent infinis…

C. V. : Ce n’est pas le cas. Deux freins risquent de ralentir l’avancée de l’intelligence artificielle. Les réponses générées par l’IA génératrice coûtent beaucoup plus cher que les requêtes standards sur un moteur de recherche classique. Une simple recherche sur la nouvelle version de ChatGPT nécessite l’utilisation de plusieurs serveurs à 250.000 dollars pièce ainsi qu’énormément de mémoires et des réseaux à grande vitesse. Aujourd’hui, ChatGPT utilise plus de bande passante que Netflix et les seules demandes actuelles portent sur du texte. Imaginez les volumes requis lorsque la terre entière utilisera ce service pour créer des images ou des vidéos… La quantité d’énergie nécessaire pour faire fonctionner toutes ces machines sera énorme. OpenAI dépensait 700.000 dollars pour faire tourner ChatGPT-3 (la quatrième version vient d’être lancée) chaque… jour. A terme, utiliser l’IA génératrice pourrait coûter plus cher que de faire appel à des collaborateurs. C’est un sujet dont personne ne parle.

IN : Vous évoquiez un autre frein ?

C. V. : Oui. La qualité des réponses apportée par l’IA n’est pas encore parfaite même si elle s’améliore de semaine en semaine. D’ici trois ans, l’IA pourra produire un tableau plutôt joli ressemblant à une toile de tel ou tel peintre mais pourra-t-elle un jour créer un réel chef d’œuvre ? Je ne suis pas certain que cela soit possible. Aujourd’hui, l’IA ne comprend pas ce qu’elle produit. Je suis moi-même capable de lire l’alphabet cyrillique mais je ne sais pas ce que les mots signifient. Je ne parle donc pas russe. L’IA générative est comme ça. Elle ressemble à Rain Man. Tant que l’IA ne comprend pas ce qu’elle fait, elle sera limitée. Les dernières recherches en neuroscience nous montrent que notre cerveau est encore plus compliqué que nous le pensions. L’IA va donc avoir du mal à nous rattraper. Et rien ne sera possible sans utiliser des supers calculateurs quantiques qui n’existent toujours pas aujourd’hui.

IN : Beaucoup s’inquiètent des emplois que l’IA risque de détruire…

C. V. : Si votre job consiste à faire quotidiennement toujours la même chose, l’IA pourra, peut-être, vous remplacer un jour ou l’autre. Cela est déjà arrivé ans le passé. Ma grand-mère était standardiste et sincèrement voir ce genre de poste disparaître n’est pas forcément une mauvaise chose. Je pense plutôt que l’IA servira à faire à notre place les tâches les plus répétitives et souvent les moins intéressantes de nos jobs. Cette technologie va aussi créer de nouveaux métiers et par là-même des emplois. Les installateurs téléphoniques sont arrivés après l’apparition du téléphone. Le même phénomène apparaîtra avec l’essor de l’IA.

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