Baskets et tee-shirt blanc, veste foncée, Tony Estanguet, le président de Paris 2024, affiche un sourire éclatant, le 25 janvier, à l’occasion de ses vœux à la presse. C’est pour l’ex-triple champion d’Europe, triple champion du monde et triple champion olympique de canoë slalom, l’occasion de rappeler que « le début de l’aventure pour la candidature des Jeux olympiques 2024 – le plus grand événement jamais organisé par la France – a démarré il y a quasiment neuf ans, le 26 mai 2014, à la Maison des Sports. Il fallait être audacieux ! » Et l’audace a payé, semble-t-il dire, comme le démontre son nouveau point d’étape émaillé de chiffres optimistes, destiné, entre autres, à répondre aux réserves exprimées le 10 janvier par la Cour des Comptes, sur le prévisionnel de ces épreuves qui se dérouleront du 26 juillet au 11 août pour les Jeux olympiques puis du 28 août au 8 septembre 2024 pour les Jeux paralympiques.
Même si rien n’a été facile, pour employer un doux euphémisme. Depuis l’obtention des JOP (Jeux olympiques et paralympiques), le 13 septembre 2017, Paris 2024 a dû franchir une série d’obstacles éprouvante. La guerre russo-ukrainienne a entraîné une forte hausse des matières premières (blé, énergie…) et l’inflation galopante s’est révélée une mauvaise invitée. Alors que le budget initial avait été bâti, au moment de la candidature de 2016, sur la base d’une inflation à 1,4%, celle-ci s’établit désormais à 6%, contraignant Bercy à revoir ses hypothèses de recettes et de coûts…
« Alors que le budget initial avait été bâti, au moment de la candidature de 2016, sur la base d’une inflation à 1,4%, celle-ci s’établit désormais à 6%, contraignant Bercy à revoir ses hypothèses de de recettes et de coûts… »
8 milliards d’euros
Le 12 décembre 2022, une troisième révision budgétaire a dû alors être menée au siège du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (le fameux Cojop, financé à hauteur de 97% par de l’argent privé). Dans ce contexte marqué par le choc inflationniste, l’équilibre budgétaire a été réévalué de plus de 400 millions d’euros, pour s’établir à 4,38 milliards d’euros. De son côté, afin de couvrir la hausse des prix jusqu’en 2025, la Solideo (Société de livraison des ouvrages olympiques), financée à hauteur de 40% par de l’argent public et chargée de la construction et de l’aménagement des sites de compétition, a prévu une rallonge de 150 millions à son budget, censé atteindre à présent 3,8 milliards d’euros. À l’arrivée, l’addition des Jeux serait de 8 milliards d’euros et quelques, dont plus de 1,65 milliard d’argent public. Et pas plus. Car si la facture du volet « sécurité » demeure encore une grande inconnue – même si son budget a été augmenté de 50% lors de la dernière révision budgétaire – il n’est pas question pour Bercy que ces JO, guettés depuis près de cent ans par Paris, se révèlent le gouffre financier des éditions de Pékin 2008 (avec un coût final de 32 milliards d’euros contre 2,6 milliards escomptés), de Tokyo 2020 (13 milliards d’euros bouleversant un calcul initial de 2,3 milliards) ou, dans une moindre mesure, de Londres 2012 (10,9 milliards d’euros versus 4,8 milliards anticipés)*.
Organisation, construction, tourisme
L’héritage ! Un point clé qui mobilise tous les acteurs. Interrogé par Le Monde (19/10/2022), le maire d’Aulnay-sous-Bois, Bruno Beschizza (Les Républicains), ne s’est pas privé d’adresser une mise en garde pour le moins rugueuse : « Il ne faut pas que les JO soient une soucoupe volante qui arrive, elle se pose là, les habitants vont regarder ça de loin (…) et elle va repartir. » De fait, le département de Seine-Saint-Denis, largement mis en avant au moment de la candidature française de 2016, doit capter environ 80% des investissements matériels consentis dans la perspective de la compétition mondiale. Celle-ci doit servir d’accélérateur politique et social à ce département pauvre, notamment à travers plusieurs infrastructures en cours de construction, qui perdureront après les Jeux : le Village des athlètes, le Centre aquatique olympique, les sites d’entraînement…
Au moment de l’établissement du dossier de candidature à remettre au CIO le 17 février 2016, le Centre de droit et d’économie du sport (CDES), mandaté pour établir des simulations de revenus, avait opté pour un modèle économique keynésien, en se fondant sur une inflation à 1,3%. Dans ce schéma, les flux additionnels attribuables aux JOP Paris 2024 produiraient, par vagues successives, un certain nombre de retombées, directes et indirectes. Le tout dans trois principaux secteurs liés à l’organisation des Jeux : la construction (BTP), du fait de la livraison des sites olympiques et paralympiques ; l’organisation (événementiel, spectacles, sécurité privée) ; et le tourisme (hôtellerie, restauration) compte tenu de l’afflux de visiteurs. Après avoir établi ces trois scénarios, le CDES avait privilégié le plus optimiste, en tablant sur un impact global des JOP de Paris 2024 de 10,7 millions d’euros et la création de 247000 emplois.
La Seine-Saint-Denis doit capter environ 80% des investissements matériels consentis dans la perspective de la compétition mondiale. Celle-ci doit servir d’accélérateur politique et social à ce département pauvre.
Trois ans plus tard, en mars 2019, le CDES, épaulé par le cabinet Amnyos, a conservé sa méthodologie sur la base de données affinées depuis la candidature… et quelque peu nuancé son bel optimisme. Il prend désormais en compte, avec la même équanimité, les trois scénarios, estimant, dans la foulée, l’impact global des JOP Paris 2024 « entre 5,3 à 10,7 millions d’euros. Au regard de ces résultats, l’organisation des Jeux pourrait générer entre 119000 et 247000 emplois induits, directs et indirects, dont 150000 directement liés aux Jeux dans les trois principaux secteurs ». Sur ces 150000 emplois créés, le secteur organisation, lié à la filière événementielle, en concentrerait plus de la moitié avec 78000 emplois escomptés, tandis que le tourisme pourrait tabler sur 60000 emplois et la construction sur 11700 emplois. Ce sont en effet 10 millions de touristes, au minimum, qui devraient se presser pour assister aux performances des 15000 athlètes sur les 40 sites de compétitions lors des 878 épreuves, ce qui correspond à la vente de plus de 13 millions de billets.
De façon encore plus détaillée, « l’impact économique du poste organisation contribuerait à hauteur de la moitié (entre 49% et 54%) à l’impact économique des JO, tandis que l’impact du secteur du tourisme représenterait de 27% à 35% de l’impact global, selon les hypothèses ». L’année olympique devrait, on le sait, drainer plus de 10 millions de touristes, mais le CDES note que, comme pour les JOP-Londres 2012, il pourrait exister un important levier au niveau du tourisme post-olympique sur la région Ile-de-France, lié à la redynamisation de l’image et du rayonnement de Paris.
D’après les travaux d’Oxford Economics, qui portaient sur l’ensemble du territoire britannique, les JO de Londres 2012 auraient induit en total cumulé, de 2004 à 2020, un chiffre d’affaires supplémentaire compris entre 58 M£ (64,79 millions d’euros) et 83 M£ 92,71 ME), une valeur ajoutée supplémentaire entre 28 M£ (31,28 M€) et 41 M£ (45,80 M€) de 618000 à 893000 années d’emplois supplémentaires et une masse salariale additionnelle comprise entre 14 M£ (15,64 M€) et 20 M£ (22,34 M€). Les graphiques démontrent un pic des effets en 2012 et un peu moins pour 2013 et 2014.
L’héritage, un concept multidimensionnel
Mais l’héritage post-olympique que l’on imagine ne se limite pas à une série de chiffres. C’est même très exactement l’équation inverse qui est ciblée. « Alors qu’il y a quelques années, on se contentait, pour mesurer l’héritage des Jeux, d’un simple chiffre d’impact économique de court terme, l’héritage est devenu un concept multidimensionnel, dont les principales composantes relèvent de champs très différents : l’économique, le social, le politique, le culturel et le sportif », écrit le CDES, dans son rapport de 2016 sur « l’impact économique des JOP ».
À partir de là, le CDES a élaboré une réflexion s’ancrant sur deux grandes catégories d’héritage, l’un tangible, l’autre intangible. « L’héritage tangible se rapporte essentiellement à l’impact de long terme des infrastructures mises en place à l’occasion des JOP, que ce soient des infrastructures sportives ou des infrastructures non sportives. L’héritage intangible se rapporte à des bénéfices sociaux comme les éléments constitutifs de la qualité de vie des habitants, le rattrapage des territoires en retard de développement ou la promotion d’un nouveau projet de société. »
Le savoir-faire des marques
C’est précisément sur ces derniers points que se positionnent les vingt-cinq marques (dont BPCE, Accor, Danone, Coca-Cola, Procter & Gamble, Ali Baba, Orange, Enedis, FDJ…) déjà sponsors de la formidable cash-machine marketing que sont les JOP. Interdites d’affichage publicitaire depuis la création des Jeux, elles peuvent, judicieusement, communiquer sur leurs valeurs, leur RSE, et les réalisations auxquelles elles ont participé, via un budget sponsoring global dont « l’objectif initial a bondi de 1,115 milliard d’euros à 1,226 milliard », a dévoilé Tony Estanguet au moment de ses vœux. Les recettes prévisionnelles issues de la billetterie sont également en hausse. De quoi financer d’ambitieux projets. De quoi offrir, aussi, plus de moyens pour le futur héritage post-olympique, où l’intensification de la pratique du sport par les Français figure comme un point clé. La dernière étude de la BPCE, publiée le 26 janvier, a réévalué de façon importante l’apport du sport pris au sens large (événementiel, médias, services marchands, spectacles…), l’estimant désormais à « 2,6% du PIB, soit un écart de 0,9 point avec l’estimation du rapport Goulet », a indiqué Alain Tourjmann, directeur des études économiques et prospectives de la BPCE
Parmi les plus grandes marques sponsors, un acteur clé est surveillé : le géant mondial du luxe LVMH qui, au titre de partenaire premium, pourrait apporter entre 100 à 150 millions d’euros… mais n’a toujours pas signé. Si, toutefois, LVMH prononce son « oui » tant espéré, ce devrait être sous la forme d’un partenariat « hybride », soit moitié en espèces sonnantes et trébuchantes, moitié en biens et des services. Un choix plébiscité par la quasi-totalité des sponsors. Mais rien d’étonnant en soi : la démarche permet aux marques de démontrer immédiatement leur savoir-faire à l’ensemble du monde… tout en évitant de verser trop de cash.
« À partir du moment où la visibilité publicitaire n’est plus le sujet, les valeurs sont au centre de l’enjeu, et d’une certaine manière, nous utilisons et nous conjuguons les valeurs de l’Oolympisme. »
« Enedis va connecter un maximum de stades et notre métier va consister à le faire savoir par d’autres voies que l’affichage », confirment Pascal Crifo et Guillaume Cossou, co-présidents de Publicis Sport. « À partir du moment où la visibilité publicitaire n’est plus le sujet, les valeurs sont au centre de l’enjeu, et d’une certaine manière, nous utilisons et nous conjuguons les valeurs de l’olympisme. » Et de citer Carrefour, autre marque sponsor que le tandem accompagne également sur le thème : « Comment les JO peuvent permettre l’accès au “mieux manger” et modifier les modes de consommation ? » Là, une équipe d’athlètes composée de Teddy Riner, Marie-José Perec, Laure Flessel, Alexis Hanquinquant et Perle Bouge ira au-devant des jeunes de Seine-Saint-Denis, dans une démarche qui se veut d’abord pédagogique. « Nous allons mettre en scène leur hygiène de vie et ils vont être les ambassadeurs du “mieux manger” en nous appuyant sur leur parcours, poursuivent-ils. Il existe un rapport évident entre sport, alimentation, et la résistance et la résilience dont savent faire preuve ces athlètes. »
De son côté, Havas Play va accompagner ses clients dans leur démarche de sponsor en valorisant leur savoir-faire, comme le câblage à très haut débit de plusieurs dizaines de sites orchestré par Orange ou l’implication de la FDJ sur les questions sociétales : « Afin de redonner du terrain au sport, ce qui figurait comme l’un des objectifs initiaux de la candidature française, la FDJ a lancé une grande opération “Gagner du terrain”, consistant à rénover sur l’ensemble du territoire des équipements existants afin de leur donner un usage sportif avec des principes de design actif », détaille Augustin Pénicaud, le vice-président de l’agence conseil. « Ça peut être la transformation de bancs auxquels on adjoindra des agrès, ou la création d’une piste de course autour d’un stade… » En attendant, tous les acteurs de l’événement sont sur les starting-blocks…
*Source « Géopolitique du sport. Une autre explication du monde », Jean-Baptiste Guégan. Éd. Bréal.