12 janvier 2023

Temps de lecture : 4 min

« Faut-il voyager pour être heureux ? », une exposition en phase avec les questionnements de ses visiteurs

Après avoir attisé la curiosité de 60 000 visiteurs uniques depuis le 20 mai dernier, la Fondation groupe EDF annonce la prolongation jusqu’au 2 avril 2023 de « Faut-il voyager pour être heureux ? », une exposition inédite en France illustrée par les oeuvres de 32 artistes contemporains, français et internationaux.

On ressent tous à un, ou plusieurs, moment de notre vie, ce que les beatniks de la génération Kerouac appelaient grossièrement « l’appel de la route ». Que l’on cherche à se faire violence pour bouleverser un quotidien dans lequel on s’empêtre, à partir à deux pour mieux se reconstruire ensemble ou plus simplement à se mettre entre parenthèse le temps d’un road trip de quelques mois, chaque aventure comprend un risque, celui de se perdre dans une fuite en avant. Avant de laisser l’envie du départ nous happer, il est essentiel d’analyser les raisons qui nous poussent à mettre les voiles et de comprendre si elles sont justifiées… ou non.

Dans un contexte où le coût pour la planète de chaque vol, chaque trajet en voiture ou même en train est de plus en plus difficile à justifier, cette introspection s’impose avec force et devoir. Pour vous faire – bêtement – une idée, être vegan correspond à une réduction de 850 kilos de CO2 par an. Ne pas prendre un vol de Madrid à Rio de Janeiro correspond à 5 100 kilos de CO2. Difficile de rivaliser. En bref, pour les classes moyennes et supérieures des pays développés, le flygskam, ou la honte de prendre l’avion, n’est jamais bien loin. Le moindre des maux, comme vous pouvez l’imaginer.

 

 

La destination qu’il manquait

C’est pour répondre à tout cela, et bien plus encore, que la Fondation groupe EDF organise depuis le 20 mai dernier l’exposition « Faut-il voyager pour être heureux ? » dans ses locaux situés au 6 rue Juliette Récamier, Paris 7ème. Pour y répondre, la Fondation a fait appel à une trentaine d’artistes qui ont pondu « près d’une cinquantaine d’oeuvres – installations, peintures, vidéos ou encore photographies – ».

Née d’un commissariat collectif réunissant Nathalie Bazoche de la Fondation groupe EDF, Alexia Fabre anciennement directrice du MAC VAL et Rodolphe Christin sociologue, l’évènement a déjà séduit 60 000 visiteurs uniques depuis son vernissage le 20 mai dernier. De quoi pousser ses commissaires à la prolonger jusqu’au 2 avril prochain et ainsi laisser le temps aux derniers retardataires de prendre le train en marche. Précision, l’entrée est gratuite mais uniquement après avoir effectué une réservation.

 

 

Un voyage artistique – et personnel –

Laurence Lamy, Déléguée Générale de la Fondation, explique dans le livret dédié à l’exposition que : « c’est en plein confinement que nous est venue cette idée d’exposition sur le voyage. Tandis qu’émergeait chez les plus gâtés de nos sociétés occidentales cette plainte : « Si je ne peux plus bouger, je vais craquer ». Et que surgissait parallèlement son versant contraire : et si cette immobilité contrainte s’offrait comme une chance pour la préservation de la planète ? ». Pour elle, il tout simplement impossible de répondre de façon binaire à cette grande interrogation qui sert de fil rouge de l’expo. « Nos désirs comme nos pratiques révèlent nos contradictions. D’un côté, la nécessaire transition écologique, les impacts de la « mise en tourisme » de la planète ».

Sans oublier les « nouveaux freins aussi, géopolitiques ou sanitaires, qui contredisent l’image d’un monde ouvert à tous les voyageurs. De l’autre, ce désir anthropologique irrépressible de franchir la colline. Le voyage révèle nos paradoxes individuels : le voyageur est objet de l’industrie touristique, mais le voyageur est aussi sujet de ses désirs de découvertes et d’expériences ». Un voyage qui dépend également de l’identité de celui ou celle qui s’y risque. Entre faire un tour d’Europe pour fêter la fin de son diplôme et être contraint et forcé d’abandonner son pays et/ou sa famille pour des raisons climatiques et/ou géopolitiques, il y a trois mondes d’écart.

 

 

Une société en quête de sens

Il est très compliqué pour les statisticiens de quantifier les migrations environnementales en raison des multiples facteurs liés à ces mouvements et de l’absence de normes en matière de collecte des données. Si l’on prend en compte spécifiquement les migrations résultant de phénomènes environnementaux à évolution lente, tels que la sécheresse ou l’élévation du niveau de la mer, la plupart des données existantes sont de nature qualitative et basées sur des études de cas, avec peu d’études comparatives. Ce que l’on sait pour sûr : à la fin de 2022, environ 5,9 millions de personnes dans 84 pays et territoires vivaient en déplacement à la suite de catastrophes survenues non seulement en 2020, mais également les années précédentes, selon un rapport de l’IDMCInternal Displacement Monitoring Center – publié fin 2021.

Comme l’attestent les deux rapports Groudswell, publiés par la Banque Mondiale, les processus à évolution lente tels que les sécheresses ou l’élévation du niveau de la mer affectent également de plus en plus la mobilité des personnes dans le monde. Selon les auteurs, ces évènements climatiques pourraient conduire 216 millions de personnes dans six régions du monde – Afrique subsaharienne, Asie du Sud, Amérique latine, Asie de l’Est et Pacifique, Afrique du Nord, Europe de l’Est et Asie centrale – à se déplacer à l’intérieur de leur pays d’ici 2050 si aucune mesure urgente n’est prise pour réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Une ultime manière de nous rappeler que notre voyage qui commence ici aura forcément – toute proportion gardée, évidemment, les vrais responsables sont ailleurs – un coût là-bas.

Laurence Lamy conclue parfaitement sa préface en expliquant que l’intention de l’exposition « ne se veut pas conseil de bonne vertu ni mode d’emploi du bien voyager. Quelle serait notre légitimité par exemple à intimer aux classes moyennes émergentes des pays du Sud de rester demain chez elles, comme Chateaubriand déplorait l’arrivée des classes populaires anglaises sur les ruines du Parthénon ? Ce qui est proposé ici n’est pas leçon de morale mais matière à penser et à ressentir, à questionner le voyageur que nous sommes dans son statut de sujet complexe aux motivations multiples (…). Les imaginaires sont pluriels. Laissons la trentaine d’artistes invités nous inspirer sans dessiner de solution prête à l’emploi ».

 

 

 

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