on a besoin de croire dans la culture, de croire qu’elle est la meilleure façon de faire grandir les gens, de donner du sens, sinon on se retrouve à parler data et pognon, et c’est mort.
INfluencia: drôle de monde actuellement, un peu irréel, violent, et plus précisément, nous concernant pas un patron qui ne se plaigne de l’absence de désir pour la pub de la part des jeunes générations. Qu’en dites vous?
Stéphane Xiberras: il y a réellement un questionnement sur le sens en général et encore plus du côté de la pub. Est-ce que c’est nous qui vendons de l’automobile, des vêtements? Il y a une confusion sur notre rôle, sur nos entreprises. Il y a ce que représente notre industrie et la façon dont on appréhende la jeunesse. Est-ce que moi-même je retournerai en pub aujourd’hui? Je ne sais pas… En tout cas pas n’importe où, sûrement chez BETC. S’il n’y a pas de gens qui me donnent envie, je n’aurais pas envie d’y aller. Nous sommes des industries créatives, et nous devons faire coïncider les aspirations personnelles et le travail. Nous sommes dans le monde de la culture, tout comme le cinéma. A un moment donné du coup, on a besoin de croire dans la culture, de croire qu’elle est la meilleure façon de faire grandir les gens, de donner du sens, sinon on se retrouve à parler data et pognon, et c’est mort.
IN. : vous évoquez Marie-Catherine Dupuy spontanément pour parler de sens, de désir, de croyance…
S.X. : Marie-Catherine était une femme pétrie de musique, de culture, son allant donnait envie de la suivre, il suffit de voir le monde, les générations et l’émotion lors de ses obsèques, c’était impressionnant. Nous avons besoin de personnalités comme la sienne, de ce courage, de gens qui ne se couchent pas dès qu’on émet une idée. Je me dis qu’elle aurait pris cette cérémonie avec beaucoup de légèreté car elle a su insuffler l’envie de faire des choses de manière respectueuse, avec de la grâce, et sans cynisme… Elle avait cette force, et sa disparition m’a soudain mis en face de nos situations aujourd’hui… Car c’est bien à nous créatifs qu’il revient d’impulser, de donner le rythme, le mouvement. Si un jour on se dit BETC à quoi ça sert, toutes les raisons sont réunies pour que ça s’arrête.
On n’est pas à l’église, mais à un moment il faut que les gens puissent avoir l’occasion de se réconcilier.
IN. : le jugement porté sur la pub est toujours aussi violent, dès que cela ne va pas…
S.X.: on est le miroir de la récession mais c’est notre devoir de continuer, d’essayer en tout cas et d’imprimer le sens car nous sommes dans l’univers de la création. Que se passe-t-il entre nous, créatifs de 55 ans et les jeunes? Il nous faut créer de l’adhésion et pour les jeunes, créer cette adhésion cela passe par la cohérence. Le discours qu’on leur propose, il faut se l’appliquer à soi. C’est assez incroyable d’observer ce que les médias tentent de faire aujourd’hui. Montrer des clashs en permanence, mettre en scène la mésentente… C’est douloureux parce que cela relève vraiment d’une instrumentalisation, nous sommes les marionnettes d’un système qui fait exister la discorde, qui monte les gens contre les voisins. On n’est pas à l’église, mais à un moment il faut que les gens puissent avoir l’occasion de se réconcilier.
IN. : justement comment avez-vous embarqué ces 21 jeunes créatifs dans une aventure publicitaire, disons-le, moins sexy que par le passé?
S.X. : nous sommes quatre à décider des recrutements collectivement, Nicolas Lautier, Olivier Apers, Olivier Aumard (tous les 3 executive creative directors) et Elise Herfort (creative ressources & talent acquisition director). Cette dernière, notamment repère des talents chez nos petits copains, ou dans les écoles, elle organise des rencontres, essaye de comprendre les affinités que nous pouvons avoir. On ne regarde pas que le talent, on discute, on partage, des goûts pour la culture ou la sous culture, ce qui est primordial. En fait c’est assez naturel comme forme de recrutement. C’est beaucoup de discussions, de prise de température… Ensuite, une fois engagés, ils savent que 70% de leur temps sera consacré à des sujets entendus par avance, à eux d’aller travailler sur des projets spéciaux, des compétitions, filer des coups de main… Ces nouveaux venus ne sont pas balancés sur des sujets qui ne les intéressent pas, c’est la base de ce métier… C’est comme si toi journaliste, tu confiais un article sur les pneus Michelin, à un pigiste passionné de petits plats, de cuisine… C’est impossible.
C’est très compliqué pour les créatifs d’exister au milieu de 1200 personnes, ils se demandent comment ils vont émerger.
IN. : qu’est-ce qui pourrait constituer un obstacle pour eux d’intégrer BETC?
S.X. : ce qui est dur, je pense, c’est la taille de l’agence. C’est très compliqué pour eux d’exister au milieu de 1200 personnes, ils se demandent comment ils vont émerger. C’est pour cela que je suis là, présent, ils sont mes premiers clients, eux qui me nourrissent, c’est d’être avec les créatifs qui est jouissif. Si je ne suis pas avec eux, je fais mon âge. Ce sont eux qui me permettent de m’alléger de 20 ans! Un peu comme les enfants. Et ce sont eux qui me donnent envie de regagner la coupe du monde aujourd’hui. C’est tellement facile dans ce métier d’avoir une posture…
IN. : vous vous nourrissez de la jeunesse et vice et versa, c’est plutôt gai?
S.X. : (rires) je crois que j’ai réussi à conserver l’envie de m’amuser que j’avais à mes débuts. Or aujourd’hui, il faut remettre la barre droite entre labeur et humain, au moins quand tu vis au sein de l’entreprise. On parle beaucoup de crise de confiance, mais à l’intérieur des agences ça a toujours été très dur, ce n’est pas une raison pour baisser les bras. Il faut sortir de l’entre soi, il y a des boulots créatifs incroyables à travers le monde. A Cannes, on voit des choses tellement bien! Bref, si tu es Didier Deschamps et que tu as peur pour ton pognon, t’es mort. Tu ne peux pas te mentir sur ton envie.
IN. : qu’est-ce qui est toujours vrai aujourd’hui dans la pub?
S.X. : notre rôle en tant qu’industrie créative c’est de proposer. Que les annonceurs nous censurent c’est normal, mais nous, nous sommes là pour être dans l’audace, il ne faut pas s’empêcher d’être disruptifs, sinon ce n’est plus le même métier, c’est triste.
IN. : qu’entendez-vous par autocensure?
S.X. : en fait, c’est quoi notre objectif in fine ? (comme auparavant mais avec la folie des réseaux sociaux), de créer des objets qui retiennent l’attention… Alors imagine si on s’autocensure! On a un sujet, c’est d’émerger.
IN. : vous étiez l’agence qui brille, qu’on envie, vous êtes soudain devenue celle qui perd des budgets. Comment l’avez vous vécu?
S.X. : pendant la covid nous avons perdu Peugeot, Air France qui sont allés rejoindre des réseaux américains… Ça a entamé la confiance, la façon dont cela s’est produit était inattendue. Disons qu’on le comprend, mais on n’avait pas l’habitude de perdre des clients. On était habitués à la fidélité. En fait, c’est la vie de toute agence, mais nous avions été préservés jusque là. Et puis nous sommes en France, il y a ceux que cela amuse de voir le voisin perdre…
La tech nous a sauvés moralement, mais ce n’était pas pareil pour des gamins qui étaient dans 18m2, pour eux c’était réellement une perte d’équilibre.
IN. : cela fait douter?
S.X. : comme on n’était plus ensemble physiquement et que nous sommes très « bande » au sein de BETC, on a vite fait de perdre la confiance… Ce qui nous a sauvés c’est que nous avions anticipé le télétravail depuis longtemps, ordi, portable, travail à distance. La tech nous a sauvés moralement, mais ce n’était pas pareil pour des gamins qui étaient dans 18m2, pour eux c’était réellement une perte d’équilibre. Depuis les gens sont revenus à l’agence, il y a de la bonne bouffe à la cantine… A nous de prouver que l’expérience est meilleure à Pantin que chez soi !
En résumé
BETC RENFORCE SES RANGS AVEC L’ARRIVÉE D’UNE NOUVELLE VAGUE DE TALENTS CRÉATIFS
Bienvenue à :
Chloé Thivel & Elisa Bernard, Jean-Baptiste Soumier & Jonathan Portefin, Zawe Capro-Placide, Matthieu Hamon & Guillaume Denis, Joachim Touitou, Valentin Gourmel & Léo Rodriguez, Erine Robineau & Léa Boileau, Marie-Zélie Duchet, Anthony Tavares, Ulysse Lagriffoul, Lucie Caranjot, Florian Padilla, Xinxin Su, Natan Ritaly & Raphaël Sold et Julien Sens.