11 octobre 2022

Temps de lecture : 7 min

Michèle Benzeno : « Webedia veut créer des passerelles entre le Web2 et le Web3 »

Webedia renforce son positionnement de producteur de contenus et étend le spectre de ses activités sur le social, dans les médias et désormais dans le Web3. Sa directrice générale Michèle Benzeno explique les enjeux de ces évolutions qui font écho à la transformation du marché et offrent aux marques de nouvelles opportunités.

Michèle Benzeno

INfluencia : Webedia s’est réorganisé cet été selon un nouveau triptyque « networks-creators-studios ». Quelles évolutions cela traduit-il par rapport à la précédente organisation en « médias-talents-production » adoptée seulement un an et demi plus tôt ?

Michèle Benzeno : cette évolution marque la poursuite du cycle de vie du groupe et permet de clarifier son positionnement. Webedia est un des publishers les plus puissants sur le digital avec 60 marques médias dans le monde, déclinées sur toutes les plateformes sociales qui représentent 200 millions de pages de fans dans le monde et plus de 60 millions en France. Le groupe a été un pionnier de l’influence sur YouTube avec des talents qui lui ont permis de faire sa révolution vidéo et avec lesquels nous avons évolué sur toutes les plateformes. En passant de « média » à « network », nous accélérons les développements dans la production audiovisuelle et digitale pour suivre l’explosion des plateformes, du nombre de créateurs, des investissements des plateformes de streaming… Jusqu’à présent, nous produisions des contenus diffusés sur nos écosystèmes propriétaires. Aujourd’hui, l’ambition consiste à produire et à distribuer des contenus originaux sur tous les canaux, quels que soient les formats, et à être un producteur incontournable pour les jeunes quels que soient les écrans sur lesquels ils les regardent. Nous sommes en ordre de marche pour que tous nos formats soient multi-diffusés et multi-monétisés.

Nous sommes en ordre de marche pour que tous nos formats soient multi-diffusés et multi-monétisés

IN : comment cela s’organise-t-il ?

M.B. : nous produisons à la fois des contenus longs – par exemple avec du live sur Twitch – et des formats courts réalisé par des journalistes issus de nos médias ou via nos créateurs. Nous avons développé une activité « upcycling » pour remonter nos contenus sous forme de pastilles courtes et les diffuser sur Facebook, en les monétisant via AdBreak. Nous nous rapprochons aussi des ayants droit (Banijay…) pour développer cette activité et distribuer leurs contenus sur nos pages sociales, ce qui redonne vie à un stock de contenus un peu dormant. Grâce aux accords que nous avons noués avec les différentes plateformes sociales, les marques peuvent étendre leur couverture. Cet été, Guerlain a par exemple sponsorisé un « Event » qui regroupait tous les contenus consacrés au Festival de Cannes sur la page Twitter d’allociné.

IN : pourquoi investir aujourd’hui le Web3 avec une structure dédiée ?

M.B. : il y a quelques mois, un groupe de travail s’est constitué avec des éditeurs et des créateurs pour voir de quelle manière investir le Web3. Cette structure dédiée va nous permettre de voir comment intégrer nos marques dans le métavers – notamment allociné ou JV – en gardant des logiques de gamification, construire des actifs dans cet univers décentralisé pour nous-mêmes et pour les marques, et aussi intervenir comme conseil en accompagnant les marques et les agences dans leurs réflexions. Dans cet univers où il y a encore peu d’audience, nous voulons être l’acteur qui créera des passerelles entre le Web2 et le Web3 car, là aussi, l’audience restera un sujet central. En s’appuyant sur tous les sites et les pages sociales de nos chaînes, nous pourrons amplifier l’audience et drainer du trafic sur le Web3.

IN : le conseil est aussi un élément de la proposition de l’agence Noisy Room, lancée à la rentrée 2022 et dédiée à TikTok

M.B. : Sur TikTok, on voit émerger tous les jours des créateurs à plus d’un million d’abonnés sur une multitude de thématiques : sport, santé, voyage… Noisy Room est une agence tiers de confiance qui veut aider les marques et leurs agences à comprendre les codes de cette plateforme sociale, proposer des dispositifs créatifs et sourcer ce marché, par exemple en détectant en un temps très court les créateurs émergents sur la thématique qu’une marque veut préempter. Nous nous rapprochons aussi de TikTok pour créer, si possible début 2023, des offres communes qui amplifieront les contenus. C’est également une agence pour les créateurs qui arrivent sur cette plateforme et que nous aidons à se développer comme nous l’avons déjà fait avec d’autres réseaux sociaux. Aujourd’hui, Webedia est certes organisé par plateforme mais nous proposons à nos créateurs, qui sont toujours plutôt natifs de YouTube, Twitch, TikTok…, de se développer sur l’ensemble des plateformes pour déporter leurs communautés partout où c’est possible.

Noisy Room aide les marques et leurs agences à comprendre les codes de TikTok, propose des dispositifs créatifs et source ce marché, par exemple en détectant les créateurs émergents sur la thématique qu’une marque veut préempter

IN : quelles est votre approche sur Twitch ?

M.B. : au moment où les formats courts sont devenus très stratégiques, Twitch s’est élargi à des talk-shows qui se rapprochent de la télé en live avec, en plus, une dimension interactive. Webedia y contribue en produisant des contenus qui durent 4 à 8 heures, plus engagés, plus impliquants et plus interactifs. C’est une offensive qu’il faut suivre à côté de celle des contenus courts. Les chaînes de télé ont commencé à s’y intéresser, les ayant-droit vont s’y mettre. C’est pour cela que nous avons acquis il y a quelques mois la société de production de Domingo, PAB Prod, avec laquelle nous coproduisons Popcorn. Nous avons restructuré un pôle live stream pour devenir le premier producteur européen sur Twitch, développer d’autres formats que Popcorn, attirer de nouveaux talents et, demain, détenir des droits pour organiser des événements. Avec le champion de MMA Ciryl Gane, nous produisons un talk-show que l’on aurait pu retrouver sur une chaîne de la TNT mais où, à la fin, il joue à des jeux vidéo avec les personnalités reçues en plateau. Les marques et les diffuseurs ont compris que Twitch était de la télé interactive. La plateforme va entrer dans les mêmes modèles économiques et les mêmes codes que la production audiovisuelle.

IN : et avec la même responsabilité éditoriale ? Twitch a souvent été pointée pour des dérives dans les commentaires ou des polémiques…

M. B. : par essence, Twitch reste un média de l’interactivité avec un nombre impressionnant de messages. Cela reste tellement hétérogène d’une chaîne à l’autre qu’il n’y a pas encore vraiment de jurisprudence mais cela va se professionnaliser. Ce que fait Domingo avec Popcorn reste toujours très authentique et très interactif mais, en tant qu’éditeur, nous sommes responsables de nos contenus. Nous sommes donc très vigilants à garder de l’authenticité, tout en ayant une vraie ligne éditoriale. Nous avons recruté en interne des personnes qui modèrent la conduite d’antenne et s’assurent aussi que les plateaux soient mixtes.

Aujourd’hui, on trouve des créateurs à plus d’un million d’abonnés sur l’automobile, la tech, le sport, l’éducation, la parentalité… Nous avons organisé notre entité talents sous forme de labels thématiques

IN : comment évoluent les relations du groupe avec son vivier de talents qui, pour certains, prennent leur indépendance et vous désintermédient ?

M.B. : le marché de l’influence étant désormais mûr et professionnalisé, nous entrons dans une économie de formats originaux avec des créateurs hyper-puissants qui ont accès aux marques et veulent devenir des animateurs-producteurs. Nous avons réduit notre portefeuille de talents exclusifs pour évoluer vers des modèles de collaboration hybrides. Même s’ils prennent leur indépendance, ces talents reviennent parfois vers nous car nous les aidons à se développer artistiquement sur des formats que nous coproduisons ensemble ou que nous mettons à leur disposition nos infrastructure pour créer des événements que nous monétisons ensemble. Les pionniers (Natoo, Norman, Cyprien…) s’étaient lancés sur l’humour, le jeu vidéo et l’entertainment. Aujourd’hui, on trouve des créateurs à plus d’un million d’abonnés sur l’automobile, la tech, le sport, l’éducation, la parentalité… ce qui nous a amenés à organiser notre entité « creators » sous forme de labels thématiques : l’humour avec différents talents, la santé avec Michel Cymès autour de la marque Dr. Good, la connaissance et l’éducation avec Jamy Gourmaud (Les Epicurieux), l’automobile avec POG… Avec ce youtubeur, nous avons même codéveloppé avec RMC Découverte une émission de prime time Fast & Supercar : au cœur de la Gumball avec POC sur le Gumball 3000 [rallye organisé sans l’accord des autorités des pays qu’il traverse, ndlr].

IN : quel est le sens de la prise de participation dans Le 10 Sport ?

M.B : nous avons toujours abordé le sport sous le prisme du divertissement, mais sans avoir d’actif. A l’aune des coupes du monde de foot et de rugby, puis l’arrivée des JO, il nous fallait un démonstrateur qui allie le publishing, l’influence et les créateurs. Cette prise de participation en est un exemple. Nous produirons plus de 500 contenus entre novembre et décembre au moment de la coupe du monde de foot. Sur le site du 10 Sport, un journaliste animateur connu va arriver prochainement avec une section qui lui sera dédiée, ce qui lui permettra de créer sa marque.

Sur le site du 10 Sport, un journaliste animateur connu va arriver prochainement avec une section qui lui sera dédiée, ce qui lui permettra de créer sa marque

IN : malgré l’échec de la fusion TF1-M6 puis l’abandon de la vente de M6, le marché des médias est en pleine recomposition. Quel est votre regard sur les évolutions en cours ou à venir ?

M. B. : le momentum est assez passionnant. L’accélération sur la production, audiovisuelle ou digitale, nous incite à devenir agnostique. Dès qu’un nouvel entrant arrive sur le marché – une plateforme, une chaîne de télé ou un ayant droit – c’est l’opportunité d’avoir un canal de plus en distribution et en monétisation. Les groupes de production qui cherchent à devenir des champions mondiaux y contribuent. Au sein de Webedia, Eléphant (cofondé par Emmanuel Chain, ndlr) est un acteur national qui accélère son développement de contenus sur la fiction pour les plateformes. Il a été le premier producteur référencé chez Disney+ avec Week-End Family et, sur Netflix, le film Sous emprise a fait 40 millions de vues… C’est une manière de s’acheter un peu moins de dépendance aux diffuseurs, qui restent toutefois très prégnants dans leur modèle, et une internationalisation via les plateformes.

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