5 octobre 2022

Temps de lecture : 5 min

Victoria’s Secret change drastiquement sa vision de la beauté féminine… un peu tard ?

Undefinable, la dernière campagne de Victoria’s Secret, marque un changement stratégique majeur pour la célèbre marque de lingerie. Le temps où elle imposait sans gène aucune ses diktats de beauté ultra rigide aux corps des jeunes femmes du monde entier est officiellement révolu, mannequins grande taille et transgenre à l’appui. Espérons, pour eux, que le train ne soit pas définitivement passé.

Tout va très vite aux royaumes de la mode et de la beauté. En novembre 2018, Victoria’s Secret s’empêtrait dans un bad buzz largement évitable par la voix de son directeur du département marketing d’alors, Edward Razek. Le malheureux – non pas qu’on le plaigne – avait répondu à un journaliste de Vogue qui déplorait l’absence de mannequins grandes tailles et/ou transgenre que ce n’était pas le rôle de sa maison, loin de là, car, je cite, le défilé doit rester de l’ordre du « fantasme ». Bien joué l’artiste.

A peine, quatre ans plus tard, Victoria’s Secret cherche désespérément à enterrer ses vieux démons et à s’afficher comme une marque inclusive et respectueuse de ses clientes. Pour se donner les moyens de ses ambitions, la marque signe définitivement ses adieux aux « anges », le sobriquet donné à ses mannequins aux mensurations ultra stricte – mesurer au minimum 1m75, avoir 86 cm de tour de poitrine, 60 cm à la taille et 87 au niveau des hanches –, condition sine qua none pour défiler pour cette dernière. Ce faisant, elle a dévoilé ce lundi Undefinable, sa nouvelle campagne venue confirmer son engagement – nouveau donc – à défendre les voix – plurielles – de la gente féminine.

Rien ne va plus au « paradis »

Le spot inclut les voix des mannequins Bella Hadid, Paloma Elsesser et Valentina Sampaio, tout en mettant également en lumière l’artiste Brittany Spencer, la paralympienne Femita Ayanbeku et le mannequin et activiste Bethann Hardison. Un film réalisé par Harley Weir en partenariat avec l’agence créative LOOK et stylisée par Camilla Nickerson. Le joyeux petit groupe est invité a donner de manière individuelle sa propre définition de la féminité, l’occasion de faire exploser tous les stéréotypes du genre. « On m’a toujours appris que le « sexy » était véhiculé par le corps, l’apparence des seins dans un soutien-gorge push up », explique Bella Hadid, qui a défilé plusieurs fois pour la marque par le passé.

Brittany Spencer ajoute alors : « Je ne voyais pas beaucoup de personnes qui me ressemblaient. Je m’en voulais beaucoup de mon apparence ». Le texte affiché dans la vidéo symbolise cette volonté d’empowerment en affichant par exemple : « Rien ne peut nous définir. Ni vos normes. Ni vos stéréotypes. Ni vos fantasmes, plus jamais ». Vous voyez l’idée. L’opération est bien évidemment destinée à « cimenter le positionnement de notre marque et notre engagement envers notre révolution – esthétique – et notre transformation », a résumé Raúl Martinez, directeur créatif de la griffe. Avant de poursuivre : « Cette campagne a vocation d’exister bien au-delà d’une seule saison. Nous ne sommes plus là pour dicter notre définition de la beauté à qui que ce soit. Au contraire, nous sommes là pour célébrer la façon dont les femmes définissent la beauté selon leurs propres termes ».

L’importance de marteler son discours

A l’occasion de ce lancement en grande pompe, Amy Hauk, la PDG de la marque, a déclaré : « Le consommateur de Victoria’s Secret est au cœur de tout ce que nous faisons et nous continuerons à utiliser notre plateforme pour célébrer l’individualité et la diversité étant donné notre volonté d’être le premier défenseur des femmes dans le monde. Le casting de cette campagne représente les multiples facettes, l’honnêteté et la beauté, en constante évolution, de la féminité – un voyage qu’il n’appartient qu’à chacun d’entreprendre ». Un peu fumeux comme éléments de langage mais 7 sur 10 pour l’effort. Au moins, la dirigeante peut compter sur les déclarations de ses modèles pour faire passer la pilule.

« Undefinable honore ce qui rend nous rend unique. C’était très inspirant de participer à cette campagne aux côtés de femmes aussi fières de leur individualité. Je suis très heureuse de m’associer à Victoria’s Secret pour partager ce message important tout en encourageant les femmes à travers le monde à embrasser leurs propres histoires », s’est enthousiasmé Paloma Elsesser. Brittney Spencer n’a elle aussi pas hésité à prendre la parole pour souligner à quel point elle était « fière de participer à cette redéfinition de ce qu’est la beauté féminine selon Victoria’s Secret en rendant le glamour et le confort accessibles et inclusifs pour de nombreuses morphologies ».

Les efforts de la marque pour devenir plus inclusive ont été reconnus pour la première fois en février 2021, lorsque Paloma Elsesser avait défilé pour sa collection de maillots de bain. Il y avait définitivement du chemin à faire, comme le prouve une récente interview donnée par Bella Hadid qui déclarait qu’il lui avait fallu un certain temps pour accepter de participer au rebranding de la marque : « Rejoindre ce mouvement était fondamental pour reprendre le pouvoir sur mon corps. Quand nous nous asseyons sur le plateau, nous sommes désormais reconnaissants de nous sentir soutenus. Avant, nous avions juste l’impression qu’il s’agissait d’une entreprise de lingerie dirigée par et pour des hommes », avait-elle déclaré au magazine Marie Claire en décembre 2021. « Au moment de tourner le spot,  je me sentais bien plus en confiance habillée en lingerie, au lieu d’avoir l’impression que mon corps n’était rien d’autre qu’une machine à gagner de l’argent ».

Le sens – un peu moisi – du timing

Vous l’aurez compris, Victoria’s Secret se devait de changer son fusil d’épaule au risque d’être totalement ringardisée, ou pire, dévalorisée. Mais est-ce définitivement trop tard tant les scandales ont écorné l’image… et le chiffre d’affaires de la marque ces dernières années. Au moment de faire les comptes, on se doit de mentionner le scandale lié à l’affaire Jeffrey Epstein visant l’ancien président de la marque, Les Wexner, accusé d’être le premier client de l’homme d’affaire coupable de trafic de mineurs. Même s’il a toujours réfuté ces accusations, l’image de l’enseigne avait été considérablement touchée. Autre affaire particulièrement sensible : en 2019, une pétition avait été signée par une centaine de mannequins afin de réclamer à John Mehas, le PDG de l’époque, de les protéger contre la culture misogyne et abusive qui sévissait au sein de la marque.

Presque pour leur donner raison, le New York Times avait publié une enquête quelques mois plus tard qui pointait du doigt une dizaine de cas de harcèlements sexuels survenus au sein de l’entreprise. Le cas le plus médiatisé ? Celui où l’on avait demandé à Bella Hadid « d’oublier » sa culotte pendant un essayage. Une cascade de scandales qui avaient notamment conduit Victoria’s Secret à arrêter définitivement ses fameux défilés depuis 2019 car, selon Stuart B. Burgdoerfer, le directeur financier et vice-président exécutif de L Brands, la société mère de la marque de lingerie, il fallait « faire évoluer [son] message, par respect pour l’évolution des moeurs ». Un discours renouvelé, que la marque cherche donc aujourd’hui à cimenter dans notre imaginaire collectif afin, -c’est du moins ce que ses dirigeants espèrent-, mettre fin à la spirale négative dans laquelle elle s’est empêtrée. En 2021, ils ont ainsi pris la décision de se séparer de 250 magasins en Amérique du Nord. Un choix fort motivé par un chiffre d’affaire en net recul – près de 6% – à la fin de l’été 2022.

 

 

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