Rien n’échappe aux yeux du Parti. Tandis que de nombreuses entreprises chinoises se sont déjà lancées corps et âme dans la création d'univers numériques, le gouvernement chinois a dévoilé récemment un cadre réglementaire destiné à établir ses « lignes rouges » et prévenir ses dérives.
Depuis son braquage du champ lexical médiatique il y a de cela deux ans, le concept de métavers captive l’attention du gouvernement chinois par son potentiel économique… et libertaire. Étant donné que la Chine a déjà largement freiné le développement de la cryptographie sur son territoire, le métavers est de fait devenu une nouvelle frontière pour de nombreuses entreprises technologiques du pays. En mars dernier, The Paper, un média local proche du Parti communiste, rapportait que pour la première fois, le terme avait été évoqué – c’est un début – au cours du congrès national du peuple. A cette occasion, le député Kong Falong avait appelé ses pairs à la création d’un institut national de recherche sur le métavers, en spécifiant qu’il était nécessaire d’« établir des normes », de « clarifier les frontières » et de définir clairement « les lignes rouges et les zones interdites de l’industrie ». C’est maintenant chose faite.
Pour les connaisseurs de politique technologique chinoise, ce terme recouvrirait à peu près tout et n’importe quoi pour Pékin, des avatars contrôlés par les joueurs jusqu’au influenceurs virtuels dont l’Empire du milieu raffole, à l’image des pop stars numériques Ayayi et Luo Tianyi.
A la fin du mois d’août, le gouvernement municipal de Pékin a présenté son plan d’action sur quatre ans, une manière pour les autorités de communiquer et d’indiquer, (pas si subtilement), aux entreprises la bonne direction à prendre. Il s’agit avant tout de « mettre en œuvre de manière approfondie » les instructions du président Xi Jinping et « le déploiement stratégique » du 14e plan quinquennal de développement de l’économie numérique en promouvant la croissance dans les domaines clés du secteur technologique. Plus concrètement, celui des digital humans qui s’apprêtent à envahir les métavers. Pour les connaisseurs, de politique technologique chinoise, ce terme recouvrirait à peu près tout et n’importe quoi pour Pékin, des avatars contrôlés par les joueurs jusqu’au influenceurs virtuels dont l’Empire du milieu raffole, à l’image des pop stars numériques Ayayi et Luo Tianyi.
Un gouvernement averti en vaut deux
La reconnaissance par Pékin de l’impact que pourrait avoir cette industrie est tout de même à mettre à leur actif. Comme l’explique Hanyu Liu, une spécialiste des industries chinoises du métavers chez Daxue Consulting, dans une interview accordée à Rest of World : « D’autres pays, comme les États-Unis, peuvent avoir des politiques ou des programmes globaux pour le secteur technologique en général. Mais en Chine, le gouvernement s’implique spécifiquement dans l’industrie du métavers ». Si vous doutiez encore, la réputée Nanjing, Université des Sciences de l’Information et de la Technologie, a dévoilé son nouveau département Ingénierie du Métavers. Pan Zhigeng, le doyen de l’école, a déclaré dimanche au Global Times que le département serait intégré à un plus grand nombre de cours et de disciplines liés aux métavers afin de former davantage de talents, conformément aux besoins des entreprises du secteur. On ne peut pas faire plus clair.
Pour finir, les nouvelles plateformes du métavers proposent déjà aux 1,4 milliards de citoyens chinois de dépenser leur argent – réel – pour personnaliser le look de leur avatar…
Mais pour en revenir à notre sujet du jour, le plan table sur une croissance considérable au cours des prochaines années, avec par exemple un objectif de 7,3 milliards de dollars dans la seule capitale d’ici 2025. Ses auteurs prévoient également que ces avatars seront alors largement utilisés dans les banques en ligne et dans les agences de voyage, mais pas que. Alors que les VTubers, pour « YouTubers virtuels », et les influenceurs virtuels sont maintenant les garants d’une forme renouvelée de célébrité, les agences de marketing et les entreprises de divertissement investissent toujours plus dans le développement de personnalités numériques. Il faut avouer qu’elles seront toujours plus faciles à contrôler que leurs homologues organiques. De son côté, Alibaba a lancé sa propre influenceuse virtuelle pour les Jeux olympiques de 2022, présentée comme une « jeune femme au franc-parler et passionnée de sport ». Je lis dans tes lignes de code comme dans un livre ouvert…. Pour finir, les nouvelles plateformes du métavers proposent déjà aux 1,4 milliards de citoyens chinois de dépenser leur argent – réel – pour personnaliser le look de leur avatar. Le business est florissant.
Lire entre les lignes
Pour Hanyu Liu, le plan « a des idées très concrètes sur la façon de mener cette industrie au point où il veut qu’elle soit. Ils essaient de centraliser et d’isoler le métavers ou l’écosystème numérique chinois de celui de l’étranger ». C’est pour cela que les députés se concentrent avant tout sur deux thèmes fondamentaux de la politique technologique chinoise : la sécurité des informations personnelles et la promotion d’un « développement sain et ordonné de la société ». Une formule alambiquée pour dire que la censure sera au rendez-vous. Le comité signale déjà que Pékin va jouer un rôle plus actif dans le traitement des données personnelles générées par ces plateformes.
Pour Hanyu Liu, il s’agit d’un moyen de dissuasion contre les escroqueries ou la désinformation auxquelles les utilisateurs pourraient s’adonner, d’autant plus quand il s’agit d’interactions en temps réel.
Certaines des directives énoncées dans le plan exigent que toutes les entreprises du métavers soient soumises à des règles pour protéger les informations des utilisateurs … tout en continuant à les échanger sur les nouvelles bourses de données du pays. L’art du double langage. Les usagers seront peut-être amenés à lier leurs avatars à leurs documents d’identification dans la vie réelle. En effet, c’est loin d’être l’habitude du Parti que de s’en remettre au hasard. Un gouvernement averti en vaut deux. Pour Hanyu Liu, il s’agit d’un moyen de dissuasion contre les escroqueries ou la désinformation auxquelles les utilisateurs pourraient s’adonner, d’autant plus quand il s’agit d’interactions en temps réel.
Trois coups d’avance
Ce plan s’inscrit dans le cadre d’une vaste campagne de répression du secteur technologique démarrée il y a déjà deux ans. À la tête du ministère en charge du secteur technologique, Xiao Yaqing, était venu faire le point devant la presse en octobre 2021, en expliquant, je cite, que cette nouvelle politique permettrait de « résoudre les problèmes de l’économie numérique » et de favoriser un marché « équitable et ordonné ». Concrètement, il s’agit de vérifier la sécurité des données des utilisateurs, d’interdire les services divers à leur forcer la main et de bloquer ou restreindre les services concurrents. Autre point essentiel : la lutte plus générale contre les comportements anticoncurrentiels.
Pékin en a aussi profité pour pousser les géants de la tech à se tourner vers des industries qui renforcent l’autosuffisance technologique du pays, tels que les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle. Qiheng Chen, qui a analysé les politiques technologiques de la Chine pour le projet DigiChinade Stanford, explique que ce nouveau plan « est un effort pour créer un regroupement d’industries connexes telles que la réalité virtuelle, le deep et le machine learning, l’interaction homme-machine, et tous les logiciels de conception impliqués ». Les – jeunes –professionnels du métavers s’accordent déjà à dire que cet intérêt du gouvernement déclenchera forcément un afflux d’argent. Alors à tous nos amis chinois qui sont prêts à jouer selon les règles de leur gouvernement : à vos marques… prêts… gavez-vous.
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