De Londres à Séoul en passant par Bogota, Johannesburg, ou Paris, des maires du monde entier se mobilisent pour que la sortie de crise ne se résume pas à une relance effrénée de l’économie. Contrairement à leurs gouvernements, ces élus locaux refusent un retour à la normale et s’engagent dans une justice sociale et climatique.
Nous fûmes nombreux à nous réjouir de la baisse momentanée de la pollution de l’air et du retour du chant des oiseaux dans des villes trop longtemps sonorisées par le moteur à explosion. Mais cette embellie ne fut qu’un maigre répit au regard des indicateurs : la cessation globale des activités humaines durant ces deux derniers mois n’a eu qu’un impact relatif au regard du réchauffement climatique. Certes les émissions de gaz à effet de serre ont nettement baissé durant la fenêtre du confinement, mais le risque actuel est de reléguer l’urgence climatique au second plan pour se concentrer sur la reprise économique.
Une initiative qui donne le pouvoir au local
C’est pour éviter cette voie funeste que le C40, une organisation internationale de lutte contre le dérèglement climatique a lancé la « Global Majors COVID-19 Recovery Task Force ». Une équipe constituée d’une quarantaine de maires des grandes métropoles qui souhaitent impulser à leur échelle locale une reprise soutenable et verte de l’économie. À la différence d’une relance libérale qui privilégierait des indicateurs purement économiques comme le PIB au mépris du bien être humain et de la biosphère, l’initiative du C40 aspire à une politique post Covid-19 guidée par l’écologie politique et la justice sociale.
Parmi les maires signataires, on retrouve la maire de Paris, Anne Hidalgo, le maire de New York, Bill de Blasio ou encore le maire de Londres, Sadiq Khan. Au total, c’est une quarantaine de maires de grandes métropoles qui se prononcent collectivement pour « améliorer la santé publique, réduire les inégalités et régler la crise climatique » précise le communiqué du C40. On notera la présence de villes dont les territoires sont encore en voie de développement comme Freetown de la Sierra Leone ou Medellín de la Colombie. Une alliance encourageante en ce qu’elle montre la volonté de changement de ceux qui n’ont pas pu profiter de la mondialisation.
Des engagements non contraignants
Parmi les neuf engagements adoptés dans la perspective de la relance économique, on retrouve la nécessité d’investir dans les services publics, de revaloriser les « travailleurs essentiels » ou de réintégrer les sans-abri. Des principes « pour aller vers une nouvelle normalité – qui serait plus verte, plus saine pour la santé et plus prospère pour tout le monde » précise le président du C40 et maire de Los, Angelos Eric Garcetti.
Si ces déclarations d’intention ont le mérite de replacer à nouveau la transition écologique au coeur du débat, il est important de préciser que le texte ne prévoit pas d’application contraignante. Le texte n’a donc qu’une portée symbolique et sa mise en pratique n’est pas assurée notamment en cas d’alternance politique. Ceci étant dit, plusieurs maires transcrivent déjà leurs engagements en actes. C’est le cas d’Athènes qui a renforcé son réseau de tri, de recyclage ainsi que sa protection de la nature urbaine. À Londres, le maire travailliste Sadiq Khan est en train d’investir dans les transports verts, les pistes cyclables et les zones pédestres tout en se désinvestissant des énergies fossiles.
La théorie du donut
Cette volonté du C40 de créer une économie soutenable, solidaire et écologique s’inspire des travaux de l’économiste anglaise Kate Raworth. Dans son ouvrage « La théorie du donut », elle explique que le fameux beignet sucré offre une analogie étonnante avec nos modes d’organisation. Selon elle, l’anneau interne du donut représenterait le fondement social de nos sociétés et l’anneau externe le plafond écologique de la planète. Or, « en deçà de l’anneau interne se trouvent les privations humaines critiques comme la faim et l’illettrisme et au-delà de l’anneau externe se trouve la dégradation critique de la planète. Entre ces deux cercles se situe le donut, c’est-à-dire l’espace dans lequel nous pouvons satisfaire les besoins de tous dans la limite des moyens de la planète » explique-t-elle dans son livre.
L’objectif de l’humanité serait donc de se maintenir entre ses deux frontières pour atteindre un équilibre de vie optimal. Et puisqu’on peut gouverner bien de loin, mais n’administrer bien que de près, donner le pouvoir au local et aux villes pourrait être un moyen efficace de réinventer notre rapport au vivant et aux autres.
Les neufs principes directeurs :
• Pas de retour à un statu quo en matière environnementale, « parce que le monde est sur le point de connaître un réchauffement de 3°C ou plus » ;
• La reprise doit être guidée par l’expertise scientifique et la santé publique ;
• Accroître les services publics et les investissements publics pour favoriser la résilience de la communauté urbaine dans son ensemble ;
• La reprise doit faire face aux problèmes d’inégalité sociale mis plus que jamais en lumière par la crise sanitaire. Par exemple, « les travailleurs qui sont maintenant reconnus comme essentiels devraient être célébrés et rémunérés en conséquence » et les politiques publiques devraient « reconnaître » davantage les sans-abri pour mieux les réintégrer ;
• La reprise doit améliorer la résilience globale des villes, il s’agit donc d’investir dans des plans concrets prenant bien mieux en compte diverses menaces futures, dont la crise climatique, afin de protéger les personnes qui seront les plus touchées ;
• Une soutenabilité favorable économiquement : à travers les actions en faveur du climat, ouvrir des voies économiques permettant d’accélérer la reprise, comme l’utilisation de nouvelles technologies, la création d’emplois, le développement de nouveaux secteurs industriels… ;
• Faire « tout ce qui est en notre pouvoir » pour assurer une reprise favorable à la santé, l’équité et la soutenabilité écologique ;
• Dans cette même optique, s’assurer que les gouvernements nationaux soutiennent ces actions collectives et individuelles ;
• Enfin, obtenir des investissements de la part des institutions régionales et internationales en faveur de ces mobilisations pour la reprise équitable et soutenable des villes.