27 avril 2020

Temps de lecture : 7 min

366 : De la distance à la défiance. Une génération no norme…

COURT-CIRCUITS / CIRCUITS COURTS : 10 tendances, expliquées, décryptées et illustrées pour la 5ème édition de "Français, Françaises" par 366 et BVA au prisme d’un corpus de plus de 100 millions d’articles et 30 milliards de mots, soit 10 ans de PQR. Aujourd'hui la septième tendance: une génération no norme, avec laquelle on ne plaisante pas.

COURT-CIRCUITS / CIRCUITS COURTS : 10 tendances, expliquées, décryptées et illustrées pour la  5ème édition de « Français, Françaises » par 366 et BVA au prisme d’un corpus de plus de 100 millions d’articles et 30 milliards de mots, soit 10 ans de PQR. Aujourd’hui la septième tendance: une génération no norme.

Diversité normative

Les normes sociales définissent, théoriquement, ce qu’il est socialement acceptable de faire et d’être. Elles posaient aussi, traditionnellement, le cadre des aspirations, sinon du désir : on aspirait à être dans la norme ou au contraire, à se revendiquer de la transgression. Mais, comme le déclarait récemment Olivier Saillard, historien de la Mode, « Aujourd’hui, la diversité devient normative, la différence devient le standard ». Une diversité normative … L’oxymore, en l’occurrence, s’appliquait aux défilés de mode, qui ne se conçoivent plus sans représentation de la « diversité » : mannequins de toutes origines, de toutes morphologies, de tous âges, de tous types de beauté et de tous genres.

La marque Fenty Beauty », créée par Rihanna

Le monde de la cosmétique propose également une bonne illustration du phénomène. Sous l’impulsion de la marque « Fenty Beauty », créée par Rihanna, les nuanciers de fonds de teint sont ainsi passés de 10 à 50 teintes, et plus une publicité ne se conçoit qui ne mette en scène cet éventail. Dans le même ordre d’idée, l’équipe des égéries de l’Oréal ou la « Séphora Squad » se sont enrichies de personnalités multiples. Les membres, recrutés via Instagram, comptent ainsi, outre des personnes de toutes carnations, une activiste « Acne Positivity », plusieurs représentants de la diversité des genres, non binaires ou transgenres et quelques « beautés bizarres », voire « ugly beauty ». Le message porté par ces influenceurs est clair : toutes les formes de beauté sont à égalité et méritent la même exposition, la même valorisation. Car différence n’entend plus rimer avec marginalité. Il ne s’agit pas de tolérer des écarts à une norme mais bien d’accueillir et de célébrer la multiplicité des modèles. De cette révolution, dont Instagram est la vitrine et le vecteur on ne peut qu’observer qu’elle manie le paradoxe à chaque instant. La plateforme met chacun en position de fabriquer mais aussi d’exposer, d’assumer et de revendiquer son image. Elle est, de ce fait, devenue le laboratoire mondial, de cette diversité normative. Souvent montrée du doigt comme le lieu du narcissisme exacerbé, Instagram est désormais une agora politique magnifiant l’inclusion, lieu des militantismes et des activismes les plus divers. Ce qui s’exprime ici, au-delà des problématiques liées à l’apparence physique, c’est la revendication d’une reconnaissance, d’une « normalisation » de tous et de tout. Autrement dit à la fragmentation, quasi infinie, de la norme.

Tous les genres sont dans la nature

Les champs de la sexualité, du genre, de la procréation et, partant, de la famille sont ceux où ce mouvement de remise en question de la norme unique, et d’explosion des modèles alternatifs, est probablement le plus profond et le plus spectaculaire. C’est aussi là que le débat est le plus vif, l’affrontement entre les points de vue s’y faisant parfois violent, convoquant tout à la fois des questions de libertés individuelles, d’égalité, d’éthique ou de croyances religieuses.

Normalisation pleine et entière

L’ouverture du mariage aux couples de même sexe avait ainsi, en 2013, provoqué un bruyant mouvement de protestation, et révélé une fracture entre une majorité de Français favorables à la loi et une minorité, extrêmement mobilisée, qui voyait dans cette normalisation la fin d’un modèle de civilisation. La « Manif pour tous » a d’ailleurs, elle aussi, largement usé des réseaux sociaux pour structurer une communauté agissante. La possibilité désormais donnée aux couples de femmes, de recourir à la PMA a réactivé les mêmes clivages. Mais dans un cas comme dans l’autre, les enquêtes d’opinions successives attestent de l’adhésion grandissante de nos concitoyens à la normalisation de pratiques ou de situations qui, dans un passé encore proche, semblaient inconcevables. En effet, ce sont, en 2019, 52 % de nos concitoyens qui sont favorables à l’ouverture de la PMA à tous les couples, homosexuels comme hétérosexuels. La dépénalisation de l’homosexualité ne remonte, après tout, qu’à 1982 ! Cette inscription dans la loi nous dit à la fois l’évolution  des mœurs mais aussi, une fois de plus, la volonté de chacun d’accéder, quelle que soit – en l’espèce- son orientation sexuelle, non pas à un « droit à la différence » mais bien à une normalisation pleine et entière : la même reconnaissance, les mêmes symboles, les mêmes droits qu’une famille « traditionnelle ». C’est d’ailleurs souvent le cœur des revendications. Les couples de parents homosexuels existent, c’est un fait. La question posée est donc bien celle de leur inclusion dans la normalité, telle que définie par le législateur, pas seulement celle de leur acceptation par la société.

Un phénomène générationnel

La forme sociologique de ce mouvement est bien celle de la cohorte, c’est-à-dire d’une montée inéluctable portée plus massivement chaque année par la génération suivante. Si ce mouvement qui prône une inclusion totale des modes de vie dans la société, sans place pour la réprobation morale ou « naturelle », semble si puissant aujourd’hui, c’est aussi qu’il relève d’une tendance très partagée dans les jeunes générations de tolérance, de bienveillance et d’inclusion. Chez les plus jeunes, on parle de « demiboy » ou de « demigirl », de « polygenre » ou de « cisgenre » mais on est également à fleur de peau sur la grossophobie, le mouvement #metoo, le racisme et toutes les formes de cruauté ou de stigmatisation, y compris vis-à-vis des animaux. Ce mouvement se lit également à travers l’évolution de l’acronyme LGBT, devenu LGBT+ et, plus précisément LGBTQIA+ (Lesbienne Gay Bi Trans Queer Intersex Asexuel et +), et même, aux Etats Unis une version plus complète encore : LGBTTQQIAAP (lesbian, gay, bisexual, transgender, transsexual, queer, questioning, intersex, asexual, allies, and pansexual !). Ces termes un peu barbares ont, pour la génération montante, le mérite de représenter l’ensemble des identités, sexuelles et de genres possibles rassemblés (au moins) par un point commun : elles ne correspondent pas à la sexualité majoritaire qui confond sexe biologique et genre.

On ne nait pas femme, on le devient

Si la notion de genre apparait dès les années 30 dans les travaux d’anthropologues comme Margaret Meade, elle ne se vulgarise réellement qu’à partir des années 60/70 aux Etats Unis, période à laquelle elle est notamment utilisée par les féministes pour dénoncer « l’injonction normative » dont font l’objet les femmes, et démontrer que les inégalités entre femmes et hommes sont issues de facteurs sociaux, culturels et économiques plutôt que biologiques. Le célèbre « On ne nait pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir (Le Deuxième sexe. 1949) ne disait pas autre chose. Le genre, le sexe et l’orientation sexuelle sont trois concepts distincts. La loi Française en est d’ailleurs le reflet qui permet, depuis Novembre 2016, de mettre en conformité son état civil et son genre « ressenti » (et non biologique). Il faut, pour ce faire, apporter la preuve que le sexe « revendiqué » correspond bien au genre social du demandeur (son mode de vie, le sexe sous lequel il est connu de son entourage, le fait qu’il ait changé de prénom). Aucune investigation de l’intimité n’est requise.
Les notions de genre sont, évidemment, au cœur de la question du rapport à la norme et témoignent particulièrement de son évolution. Quoi de plus « normal », en effet (c’est-à-dire quoi de plus universellement traditionnel) que la partition binaire de l’humanité entre hommes et femmes et, si l’on en croit – pour ne citer qu’eux- les travaux récents d’Ivan Jablonka (Des Hommes Justes. 2019) que l’organisation des sociétés autour de la domination du masculin sur le féminin ? C’est pourtant cette double normalité qui est aujourd’hui questionnée.

Homme, femme, autre ?

Comme le révèle notre sondage, 51% des Français sont désormais favorables à l’inscription d’un troisième genre (ou genre neutre) à l’état civil. La fluidité de genre est donc un phénomène reconnu, bien que rare, et son acceptation va grandissant. Au point d’avoir généré, comme par contraste, l’apparition du vocable « cisgenre » pour désigner… les non transgenres. Le mot de l’année au Etats Unis, selon le Webster Dictionnary est d’ailleurs le pronom « they », utilisé pour désigner les personnes non binaires. En Français, certains militent pour l’usage du pronom « iel » (ni « il », ni « elle ») mais le moins que l’on puisse dire est qu’il ne semble pas encore s’imposer. La déconstruction des stéréotypes de genre va de pair avec celle des rapports hommes / femmes. Au-delà des luttes, désormais classiques mais plus actives que jamais, pour l’égalité ou contre les violences faites aux femmes, se pose aujourd’hui la question de la transmission, de la reproduction des stéréotypes de genre et de relations hommes / femmes, donc de l’éducation. C’était l’objectif des désormais célèbres « abécédaires de l’égalité », violemment combattus en leur temps. C’est aussi celui des nombreuses initiatives pour « dégenrer » l’éducation. Ainsi la « Charte d’engagements volontaires pour une représentation mixte des jouets » promulguée en Septembre 2019 par le Gouvernement encourage fabriquant et distributeurs à proposer et mettre en scène des jouets « non genrés », sortant des caricatures filles/ garçons qui semblaient structurellement associées à cet univers. Intermarché s’est, par exemple, engagé dans cette voie. La littérature et le cinéma jeunesse se sont, eux aussi, engouffrés dans cette brèche, proposant de nouvelles figures d’identification qui reflètent cette « nouvelle normalité » et encouragent garçons et filles à construire leur identité loin des injonctions traditionnelles. Et, ce dans tous les domaines : si 28% des Français se disent « indifférents aux normes », ce chiffre culmine, selon notre enquête, à 56% chez les 22/23 ans.

Gare au « diversity washing » !

Nouvelles normes ou fin de la notion même de normes, les Français sont, en ces matières comme en bien d’autres, à la recherche d’une nouvelle définition du contrat social, qui inscrive paradoxalement dans la loi cette diversité de fait et trouve l’équilibre entre égalité de droits et droit à la différence. Pour les marques, le challenge consiste à inclure la diversité sans la souligner et à trouver des modèles d’identification qui se détachent à tout prix des stéréotypes. Car si le sens de l’histoire est à l’inclusion et à la bienveillance, les erreurs de casting peuvent se payer cash et provoquer une mise au ban extrêmement rapide par les consommateurs. On ne plaisante pas avec l’inclusion !

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