28 novembre 2012

Temps de lecture : 5 min

2013 : sous le signe du monstre

Alerte, les monstres reviennent ! De récentes apparitions d’animaux inconnus plutôt hostiles nous font prendre conscience que la figure de l’inconnu et du monstrueux est toujours présente dans nos sociétés pourtant très avancées et que le monstre a une fonction...

De nouvelles espèces animales sont découvertes tous les jours par les scientifiques. L’inventaire de la faune de la planète est loin d’être achevé. Un peu moins de deux millions d’espèces animales différentes sont aujourd’hui répertoriées (dont près d’un million d’espèces d’insectes) et chaque année plusieurs milliers de nouvelles sont découvertes*. Un chiffre seulement donne le vertige : seulement 14% des espèces marines seraient connues ! ** De découvertes insolites en rencontres effrayantes, il y a de quoi se faire de vraies peur bleues.

Un monstre des abysses

Cette année, on a ainsi cru récemment découvrir le monstre mythique Chupacabra échoué sur une côte aux Etats-Unis*** et il y a quelques semaines une espèce inconnue de prédateur a attaqué des habitants d’un paisible village de Bornéo****. Certains voient aussi régulièrement ressurgir le Kraken, une créature fantastique hantant les légendes scandinaves et les mers du nord. Le Kraken est doté de nombreux tentacules et réputé capable de faire chavirer un navire, avalant les âmes et dévorant les corps.

Qu’il soit inconnu, mythique ou identifié, on voit le thème du monstre ressurgir régulièrement comme un miroir performatif d’un ordre du monde en train de changer. Car les Monstres ont toujours fait partie de notre quotidien. De tout temps et dans toutes les civilisations, l’Homme a lutté contre eux, depuis le Dragon terrassé par Saint Michel à la lutte de Thésée contre le Minotaure, sans oublier les Harpies, les Sirènes ou les Chimères combattues par les héros de l’Antiquité. Le Monstre est en fait structurant pour nos civilisations et nos imaginaires. Le Monstre apporte du sens à l’Histoire et à la vie car il a trois fonctions ontologiques : annoncer un changement, incarner le Mal et faire renaître le Monde.

Un monstre marin échoué aux US, pris pour le mythique Chupacabra

Le Monstre annonce un présage

Il est essentiel de comprendre que le terme « monstrum » signifie en latin « avertissement », « présage ». Quand il ne garde pas un trésor comme le Griffon, le Monstre est annonciateur de terribles signes divins, un événement révélateur précédant de grands troubles. Il annonce l’accident (ce qui arrive) et une perturbation. C’est pour cela (et plus que pour l’horreur de ses méfaits) qu’il doit être éliminé car il symbolise un grave dérèglement du monde et du Cosmos, de l’Univers comme système organisé.

Ce besoin intrinsèque symbolisé par le Monstre est très présent dans toutes les figures monstrueuses médiévales, antiques ou actuelles. Une des meilleures illustrations est la légende de la Bête du Gévaudan, ce monstre qui débarque dans la calme et très pauvre campagne française à l’hiver 1764. Son épopée est la première vraie terreur nationale, médiatisée par le bouche à oreille et les gazettes, jusqu’à la Cour du roi Louis XV. La Bête fait à la ville et à la cour, le sujet de toutes les conversations. Elle est révélatrice d’un malaise. Dans une France qui ne sait pas encore qu’elle est à l’aube de sa Révolution, elle est l’annonciation de grands troubles.

Gravure représentant la Bête du Gévaudan

Le Monstre incarne le mal

Il est le négatif opposé au positif, le bouleversement de l’ordre tranquille. Le Monstre dérange, déforme, et son existence ou sa révélation permet de mettre un mot, un concept, une image sur ce qui change. En cela, il permet d’incarner ce qu’il faut éliminer et cette incarnation a une réelle vertu : celle de rassembler, de fédérer. Par son existence, même il est le Ça qui permet au surmoi collectif et au conscient social de se structurer contre le Monstre, contre un état de fait jugé par la communauté comme négatif.

Le monstre a donc une vraie fonction : incarner des éléments négatifs que le Monde doit expulser, éliminer afin de rétablir l’ordre, le Cosmos ordonné, et ainsi faire renaître un nouveau cycle à la Mort du Monstre. Le héros mythique de la tradition chrétienne et de la geste Arthurienne doit purifier et sanctifier en tuant le Dragon, et faire renaître un nouveau monde, à l’image de Saint Michel.

La destruction du monstre fait renaître le monde

Les Monstres n’ont jamais disparu et chaque culture recrée les siens. Adolf Hitler était à cet égard un Monstre. Il annonçait une période terrible s’il arrivait à ses fins et à mettre en place un Reich de mille ans. La traque des anciens SS qu’il a fallu aller dénicher dans leur cachette secrète jusqu’en Amérique latine ressemble à s’y méprendre à la chasse aux Monstres perpétrée par des héros vengeurs et idéalistes au cœur pur, pourchassant le Mal absolu, ou à certains héros de l’Antiquité allant chasser les Monstres dans leur grotte.

Gilbert Durand dans « Introduction à la Mythodologie » propose même une lecture résurgente du mythe. Pour Durand, « Les dieux ont soif » et « se vengent en déchaînant obscurément dans les ténèbres des inconscients la tempête des dieux ». Parmi les causes de la montée de l’hitlérisme se trouvent bien évidemment des problèmes contemporains mais également le complexe lié à la défaite du IIIème Reich, la fin de la dynastie impériale, et la psyché sociale. Pour Durand, Hitler a tout du Wotan proto-germanique, le dieu anglo-saxon de la mort et de la « fureur » (sic). Il est « L’ouragan dévastateur des steppes » comme l’appelle Jung. L’ascension du leader nazi s’apparente à un besoin s’étant auto-généré, par-delà le rationnel et prenant sa source dans l’émotion refoulée d’un certain romantisme wagnérien traduit dans les urnes de la république allemande.

Les Monstres sont tout aussi nombreux aujourd’hui et ils resurgissent régulièrement. Certains truands ou terroristes comme Carlos ou Mesrine ont incarné également cette figure du Monstre, du perturbateur originel, du démon tapi dans les profondeurs, vivant dans des circuits underground. La dialectique souterraine, reptilienne est d’ailleurs extrêmement intéressante dans la figure du Monstre, et on la retrouve dans le contemporain avec l’histoire terrible de certains grands prédateurs sexuels ou pédophiles comme Marc Dutroux avec leurs cachettes et charniers secrets.

Durand a classé dans « Les Structures Anthropologiques de l’Imaginaire » les productions symboliques en plusieurs « régimes » successifs pour l’Humanité. La présence de cavernes, de lieux souterrains des Serial Killers (on pense au repaire d’Hannibal Lecter ou des monstres de films comme Jeepers Creepers ou de jeux vidéos comme Zelda) répond au symbolisme nocturne (symbolique de l’intimité, de la caverne, de l’intérieur, du lieu sacrée, de l’ingestion par l’Ogre) faisant suite au symbolisme diurne des premiers temps de l’Humanité et à leur imaginaire postural (imaginaire de combat debout, de lutte contre des Bêtes et des monstres à tête d’animaux).

Qu’ils soient identifiés ou non, parions que nous allons vivre sous le signe de la réapparition des Monstres. Il est probable que les années à venir verront naître bon nombre de productions culturelles, au cinéma, dans l’industrie du disque (le groupe KISS a appelé son dernier album Monster) et aussi dans l’actualité. Les monstres sont le signe d’un monde qui change et qui se recrée des rites de passage.

Thomas Jamet – Moxie – Président (Groupe ZenithOptimedia – Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever

Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur). Préface de Michel Maffesoli.

* « Découverte de 86 espèces inconnues » – Libération
** « A la recherche des personnes inconnues » – L’Express
*** « Marine monster mystery on S.C. Beach » – Discovery News
**** « Mysterious animal attacks Borneo Villagers » – Mashable

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