1 juillet 2024

Temps de lecture : 5 min

« Au-delà d’un chômage massif, de nouveaux métiers émergeraient, principalement liés à la maintenance, la programmation et la supervision des machines », Dan Guez (Open Sourcing)

Père de famille, entrepreneur, chef d'entreprise, mi-geek, mi-commercial, Dan Guez est tombé dans le recrutement digital par hasard en 2001. Entrepreneur toujours en action, il co-fonde en 2008 OpenSourcing, société de conseil spécialisée dans le sourcing, le recrutement et la présélection digitale. Un excellent poste d'observation pour visualiser l'avenir.

Influencia : la société allemande éditrice de logiciels S.A.P a licencié plus de 8000 personnes pour les remplacer par des intelligences artificielles spécifiques. Quels métiers sont-ils remplacés ?

Dan Guez : d’après mes recherches, ces suppressions de postes étaient réparties dans plusieurs départements de l’entreprise, incluant des rôles dans le support technique, le développement de logiciels, ainsi que des fonctions administratives et de gestion. Cette décision faisait partie d’une restructuration visant à améliorer l’efficacité opérationnelle et à réorienter les investissements vers des technologies émergentes comme l’intelligence artificielle (IA).

IN. : quel avenir pour ces licenciés ?

D.Gu. : ces employés ont un savoir-faire bien particulier dans une belle entreprise, je pense qu’ils sauront rebondir dans d’autres sociétés qui recherchent ces expériences.

IN. : si tous les métiers licencient et remplacent l’homme par la machine, comment imaginez-vous la suite ?

D.Gu. : si tous les métiers remplaçaient l’homme par des machines (sachant qu’il y a une palette de métiers qui sont loin de se faire remplacer) , cela entraînerait plusieurs conséquences majeures. Tout d’abord, au-delà d’un chômage massif, de nouveaux métiers émergeraient, principalement liés à la maintenance, la programmation et la supervision des machines. En parallèle, une réduction du temps de travail pourrait devenir nécessaire pour ceux qui resteraient employés. La société connaîtrait des transformations sociales et économiques, avec un possible accent accru sur le bien-être et les loisirs. Enfin, les systèmes éducatifs devraient être réorientés massivement vers des compétences technologiques et créatives.

IN. : la grande phrase d’aujourd’hui est : « la machine ne remplace pas l’homme, elle l’assiste »… et si c’était l’inverse qui se produisait au final ?

D.Gu. : je reste persuadé que le l’Homme doit continuer pour avoir un rôle central et ascendant sur les machines, mais si les machines venaient à remplacer l’homme plutôt que de l’assister, cela nécessiterait une réorganisation majeure de notre économie et de notre société. Ce serait un tout autre monde, avec de nouveaux codes et de nouvelles règles. La question serait : comment tirer parti des opportunités de ce nouveau monde tout en évitant des crises sociales et économiques voire des guerres.

IN. : l’autre grande phrase est, « non ce n’est pas pour aujourd’hui il faudra attendre 15 ans… »

D.Gu: l’idée que les machines remplaceront les hommes dans 15 ans est souvent exagérée. Les avancées technologiques progressent graduellement (même si on peut avoir l’impression que ça va vite parfois) et leur adoption à grande échelle prend du temps. De nombreux métiers nécessitent des compétences humaines complexes que les machines ne peuvent pas reproduire. L’automatisation entraînera des transformations économiques et sociales, nécessitant une adaptation de nos pratiques. L’histoire montre que les nouvelles technologies créent aussi de nouveaux emplois et opportunités. Il est donc peu probable que les machines remplacent complètement les travailleurs humains dans un avenir proche. En tout cas c’est un scénario qui me glace le sang.

IN. : l’autre phrase aussi c’est celle des seniors : « Les jeunes verront, je suis vieux je n’assisterai pas à cet enfer »… qu’en pensez-vous ?

D.Gu.:  bien que les seniors puissent penser qu’ils ne verront pas les effets complets de l’automatisation, la technologie peut grandement bénéficier à leur santé. Les innovations technologiques en matière de santé, telles que la télémédecine, les appareils de suivi à domicile et les aides robotiques, peuvent améliorer leur qualité de vie. De plus, les seniors peuvent contribuer en partageant leur expérience et leur sagesse.

IN. : si dans les métiers de l’industrie on parle beaucoup de l’impact de l’IA générative, il en va de même dans les métiers de la création, du cinéma, de la photographie, dans l’industrie du disque, etc. ? Comment expliquez-vous que l’on lance l’IA comme ça auprès du grand public, sans aucun garde-fou ? Alors que les dérives sont déjà immenses…

D.Gu. : le déploiement rapide de l’IA générative dans des secteurs tels que l’industrie, le cinéma et la musique est principalement dû à une course à l’innovation et à des pressions économiques. Ce bouleversement nous a pris de court, nous obligeant à faire un bond significatif vers le futur sans période de transition adéquate. Souvent, cela se fait sans les garde-fous nécessaires, car les régulations peinent à suivre le rythme effréné des avancées technologiques, comme on l’a vu avec les réseaux sociaux. Les risques comprennent des violations de droits d’auteur, la manipulation de l’information (fake news) et d’autres dérives.

IN. : par ailleurs, un licenciement de 217 personnes au sein de la société Onclusive est toujours en cours afin de remplacer ces employés par de l’IA. Pas très « on clusive », non ?

D.Gu. : c’est une triste réalité, mais il ne s’agit pas de garder les salariés uniquement pour être inclusif, mais de trouver des moyens de les intégrer dans l’évolution technologique de manière constructive et équitable quand on le peut. Cela nécessite des investissements dans la formation, la création de nouveaux rôles et une approche progressive de la transition vers l’automatisation.

IN. : pour vous s’agit-il d’un phénomène passager ou du début d’une transformation en profondeur du monde du travail ?

D.Gu. : je pense que croire qu’il s’agit d’un phénomène passager est faux. Tout comme Internet, le téléphone portable ou encore les réseaux sociaux, nous vivons une véritable transformation, voire une révolution du monde du travail. Il va falloir tout mettre en place pour accompagner les différents acteurs de la vie économique à réussir cette transition.

IN. : existentiellement, nous sommes formatés par le travail pour une grande partie, pensez-vous pouvoir changer les mentalités en claquant des doigts ?

D.Gu. : bon, le travail ne va pas disparaître, il va changer comme il a évolué après chaque révolution industrielle. Afin de changer les mentalités sur le travail dans le contexte de l’IA nécessite un effort collectif et soutenu. Ce processus implique l’éducation, la sensibilisation, des politiques adaptées et le leadership pour guider la société vers une nouvelle compréhension et adaptation au monde du travail transformé par l’IA. En revanche, les entreprises qui ne souhaitent pas embrasser cette voie auront certainement du mal à se démarquer.

IN. : l’angoisse de chacun est soumise à rude épreuve, le progrès à tout prix est-il de bannir les humains les plus fragiles de leurs tâches (même pénibles) ? Que peut-on imaginer d’autre pour eux ?

D.Gu. : l’angoisse liée aux progrès technologiques et à l’automatisation est compréhensible, surtout pour ceux dont les métiers sont en voie de disparition. Cependant, chaque révolution industrielle a non seulement fait disparaître des emplois, mais a également créé de nouvelles opportunités et perspectives en termes de nouveaux métiers. Pour ceux qui voient leur métier disparaître aujourd’hui, il est crucial de mettre en place des programmes d’accompagnement et de formation. Ces initiatives doivent être axées sur des métiers en demande et adaptés aux compétences des individus concernés. De plus, il est essentiel de fournir un soutien psychologique et social pour aider les travailleurs à traverser cette transition. Encourager une culture de l’apprentissage continu et offrir des aides à la reconversion professionnelle peut transformer cette période de changement en une opportunité de croissance et de développement personnel.

IN. : tout comme en politique, l’industrie semble menée par les intérêts de quelques-uns qui exploitent les masses, cela ne vous semble-t-il pas un peu cynique ?

D.Gu. : il est facile de percevoir l’industrie comme étant menée par les intérêts de quelques-uns au détriment des masses, mais adopter une perspective optimiste et constructive est crucial. Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer vivre sans internet ou sans smartphone. La technologie fait désormais partie intégrante de notre quotidien. Se voiler la face et croire que l’IA n’est pas là serait une erreur. Au lieu de cela, nous devons reconnaître son impact et apprendre à nous adapter. Bien que nous puissions toujours nostalgiquement penser que c’était mieux avant, il est plus constructif de s’adapter aux changements et de saisir les opportunités qu’ils offrent. En nous adaptant et en avançant ensemble, nous pouvons non seulement surmonter les défis, mais aussi tirer parti des innovations pour améliorer nos vies.

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