Les relations des Français vis à vis des villes se transforment. Nos compatriotes ont de nouvelles aspirations. La deuxième édition de l’Observatoire des usages et représentations des territoires livre des clés pour repenser lieux de vie et manières de faire la ville, converger vers les nouveaux désirs et aspirations des habitant(e) s et créer les conditions d’une bonne, voire d’une meilleure, qualité de vie.
C’est un fait : le modèle de la ville en général et de la métropole en particulier perd de son attrait auprès des individus tant il est pour beaucoup associé à un espace de toutes les concentrations (congestions, stress, pollution…). Alors que plus des trois quarts de la population française habitent en ville, ce constat interpelle. Plus encore, ce modèle urbain trouve ses limites dans les déséquilibres du territoire. Le mouvement des Gilets Jaunes a pris racine dans la distance croissante entre les habitants et les ressources. La deuxième édition* de l’Observatoire des usages et représentations des territoires souligne l’influence de l’aménagement du territoire sur ce mécontentement et révèle le désir de “proximités” – accessibilités du travail et des aménités et qualités des voisinages. Un sujet que traite la toute nouvelle revue d’INfluencia (« L’odyssée des territoires »)** qui sort cette semaine**. Guénaëlle Gault, directrice générale de l’ObSoCo répond à nos questions.
INfluencia : plus d’un Français sur deux souhaite aller vivre ailleurs et cette envie se renforce d’année en année. Comment expliquez-vous ce résultat ?
Guénaëlle Gault : en effet, s’ils en avaient la possibilité 53% des Français voudraient aller vivre ailleurs et cette proportion gagne 5 points en 2 ans. Ce chiffre fait d’ailleurs écho à ce que l’on observe dans un autre de nos Observatoires*** qui soulignait fin 2019 que 56% de nos concitoyens aspiraient à consommer autrement, en progression de 10 points en 5 ans. Ces évolutions disent une chose : notre organisation économique et sociale héritée de la modernité est décidément en question. Et cela se manifeste jusques et y compris dans la façon concrète de vivre et d’habiter. Le rejet de la métropole est patent : celle-ci ne constitue le lieu de vie idéal que d’une minorité de Français (12% aimeraient y vivre, 7% dans sa périphérie). Désormais l’hyper-ville se trouve donc autant décriée que l’hypermarché et l’hyperconsommation pour les déséquilibres de plus en plus difficilement soutenables qu’elle provoque, en son sein mais aussi sur l’ensemble du territoire. L’envie de vivre ailleurs est en effet très corrélée à la densité réelle et perçue : elle est avant tout le fait de ceux qui vivent une trop forte ou, à l’inverse, une trop faible densité, l’une comme l’autre impactant négativement la qualité de vie.
IN: comment interpréter ce paradoxe qui fait que les gens recherchent un environnement plutôt rural (38 % aspirent au « contact avec la nature »), mais le même pourcentage souhaite aussi les bénéfices et promesses urbaines que sont la proximité de leurs amis et famille et celle des commerces et services (respectivement 37% et 34%) ?
G.G: il me semble que ce n’est un paradoxe que dans la mesure où nous l’avons conçu et sommes habitués à le penser comme tel. D’un côté les métropoles, espaces soustraits de l’écosystème naturel et organisés de manière fonctionnelle, de l’autre des territoires qui bénéficient de la nature mais souffrent du manque de connexions et accessibilités. Aujourd’hui, cette dichotomie s’exacerbe et se rappelle à nous. Les tensions s’exaspèrent. Le mouvement des Gilets Jaunes a révélé le malaise des habitants de nombreux territoires qui se sentent relégués (si 33% des Français ont par exemple le sentiment que le nombre de services publics auxquels ils ont accès au sein de leur commune a diminué, ils sont 48% dans les petits et moyens pôles urbains et 59% dans les communes isolées). Dans le même temps, la montée en puissance des préoccupations écologiques s’incarne ici et maintenant dans leur lieu de vie chez les urbains qui l’articulent désormais très concrètement à leur santé.
Pour tous, ce dont il est question c’est donc surtout d’une forme de rééquilibrage. Et si l’imaginaire du village est privilégié, ce qui n’est pas nouveau en soi car il représente notre héritage historique, ce qui est nouveau en revanche est qu’il se trouve précisément réinvesti de ce désir de ville à taille humaine, à portée de main et marchable.
IN: quels sont les autres enseignements principaux de votre étude ?
G.G: notre Observatoire déplie toutes les dimensions de ce que serait une “bonne” proximité. De celle qui contribuerait à une meilleure qualité de vie. Une question de distances, de mobilités et d’accessibilité. Mais également une question de lien social, de diversité et de gouvernance. La ville ne se fera plus sans ses habitants. C’est d’ailleurs à l’échelon local que leur désir d’implication est le plus fort : 60% aimeraient avoir la possibilité de s’impliquer davantage dans les grandes décisions concernant le développement de leur commune (pour 43% au niveau du pays).
Une autre dimension qui me paraît essentielle est celle qui concerne le numérique. Alors que ces technologies pourraient palier un certain nombre des difficultés observées dans notre Observatoire, en articulant harmonieusement proximité physique et accessibilité numérique, on observe des réticences voire une méfiance certaine sur ce terrain. Dans une approche de plus en plus réflexive quant à des usages qui se sont très rapidement répandus, les Français semblent de plus en plus sensibles aux contreparties que ces technologies impliquent. Et l’échange de valeur ne leur paraît pas ou plus optimal. Ainsi, 76% estiment que communiquer leurs données personnelles ne leur permet pas vraiment de bénéficier d’une offre plus adaptée à leurs besoins. Là encore, la ville ne sera « intelligente » ou « smart » que dans la mesure où elle prouvera un surcroît de bien-être pour ses habitant(e)s.
* L’Observatoire des usages et représentations des territoires L’ObSoCo-Chronos réalisé en partenariat avec l’ADEME, La Banque des Territoires, Bouygues Construction et La Poste s’appuie sur une enquête en ligne conduite sur le panel de Respondi du 13 au 29 novembre 2019, auprès d’un échantillon de 4000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 à 70 ans.
** pour se la procurer, c’est ici
*** L’Observatoire des Perspectives utopiques, L’ObSoCo avec le soutien de l’ADEME, Bpifrance et la chaire Edouard-Leclerc de l’ESCP Europe, novembre 2019