Lors de la neuvième édition de China Connect qui aura lieu à Paris les 12 et 13 mars prochains, une quarantaine de témoins raconteront comment ils ont conquis les consommateurs chinois, appréhendent 2019, et comment l’Est façonne ou inspire toujours plus leurs stratégies globales . Première partie de l’entretien avec sa fondatrice Laure de Carayo
INfluencia : vous avez créé China Connect en 2011. Quels grands changements se sont produits sur le marché chinois?
Laure de Carayon : j’en citerais 6 : la modernisation du pays (infrastructure…), la naissance et la croissance de la classe moyenne, le développement supersonique d’internet (réseaux sociaux, plateformes eCommerce, OTT/plateformes de contenu) et la digitalisation parallèle de la société (paiement mobile, reconnaissance faciale, magasins sans personnel, développement technologies VR/AR), l’avènement de la Chine comme puissance technologique mondiale de premier plan. En cinquième point, je dirais l’effet conjugué des précédents : avec une confiance et une fierté retrouvées, l’influence et l’impact durables que la Chine commence à avoir et aura sur les économies à l’Ouest, en APAC, en Afrique…
Lorsque j’ai lancé China Connect en 2011, on ne mettait pas de nom sur Les Millenials, encore moins sur la GenZ, qui est en Chine le moteur de la consommation. Ces générations s’émancipent, prennent une certaine indépendance, assument le plaisir de consommer, de se faire plaisir et du bien dans une société où la pression sociale demeure forte. Les secteurs alimentaires, produits de la maison/cuisine, le tourisme, le sport, le bien être, la santé, le luxe au sens large, notamment sont en croissance. Enfin pour rendre cet exposé complet, j’ajouterais quelques faits et chiffres contextuels : En 2011, la croissance était de 9%, elle est passée à 6,6% en 2018 – un chiffre contesté, elle serait en réalité entre 3 et 4%. Le taux de pénétration d’internet a gagné 20 points en passant de 38% en 2011 à 58% en août 2018. Le taux de pénétration des smartphones était de 43% en 2013, il est passé à 59% en 2018 et devrait être de 63% en 2019. Les villes de Tiers1 (Shanghai, Beijing, …) accaparaient l’essentiel de la croissance, désormais ce sont dans les villes de Tiers inférieures (3 et +) qu’elle réside.
IN : quels sont les défis auxquels font face les entreprises chinoises lors de leur expansion sur les marchés occidentaux ? Qu’en est-il des entreprises occidentales qui cherchent à pénétrer le marché chinois ?
L de C : pour les premières, celui de la culture et de la culture du business. Certainement plus encore aujourd’hui qu’hier, alors que la Chine s’affirme toujours plus comme puissance économique et technologique, celui de faire (encore) évoluer leur image comme fabricants de marques/produits de qualité, novateurs vs cheap, copie ou faux. Plus récemment, sur certains secteurs plus particulièrement, elles doivent affronter une défiance croissante (5G, surveillance, notamment). A noter que nous leur simplifions aussi la tâche: des blocs à l’Ouest qui se disloquent, moins de contraintes d’accès à nos marchés, des moyens proportionnellement ridicules – quand il s’agit par exemple de financement de la recherche. Les entreprises occidentales, quant à elles font généralement face aux défis qu’impliquent la sophistication croissante des goûts des consommateurs chinois, la montée en gamme des marques nationales, l’hyper-compétitivité, le coût d’accès élevé au marché, les mesures de Pékin (contrôle internet, promotion de la consommation domestique, des marques chinoises, plan Intelligence Artificielle, etc), dans le contexte économique actuel (tensions sino-américaines comprises). Ainsi sont notamment exposées les entreprises des secteurs du Luxe, du Retail, de l’Automobile, de la Téléphonie, du Food&Beverages, de la Banque/Paiement, et de la Recherche/Innovation. Il faut aussi inscrire ces défis dans un contexte beaucoup plus large de vulnérabilité/fragilité de l’Occident face à la vision long terme de Pékin. Et le rêve/pari manqué de l’Ouest (des Américains plus particulièrement) qu’un internet mondial, qu’ils régiraient, fonctionnerait. La tendance est contraire, vers des pays souverains de leur internet
IN : que faut-il faire en 2019 pour capter l’attention des consommateurs chinois?
L de C : Commencer par respecter les consommateurs chinois et cela passe par la connaissance de leur culture. Ensuite, j’allais dire l’évidence : leur faire vivre, les engager dans des expériences (qu’elles soient singulières, fun, transgressives, extrêmes) et « rewarding/fullfilling » (dans le sens de l’accomplissement comme dans l’aspect marchand, les Chinois aiment gagner quelque chose…). Le cocktail « découverte / expérimentation / gains / partage » peut rapidement prendre un caractère viral et est ainsi riche de promesses. Contrairement à l’Ouest, il se produit un « phénomène internet » quasiment tous les 6 mois (nouvel acteur social, ecommerce, etc..). C’est un terreau extrêmement fertile étant donné le contexte pré-cité, pour capter l’attention. Par exemple si l’on retourne en 2012, Mercedes avait décidé de tester en exclusivité la vente en ligne en achat groupé d’un modèle de Smart. Le constructeur était précurseur en décidant de capter l’attention en répondant à une demande : l’envie d’acquérir un bien statutaire « unique » au meilleur prix. 6 ans plus tard, la plateforme Pinduodo renouvelle la recette gagnante, sur un marché où le temps passé sur les réseaux sociaux (et l’impact de ceux-ci sur le commerce) a explosé. Elle propose ainsi l’excitation de l’achat groupé/l’effet communautaire à destination d’une cible à faible pouvoir d’achat dans les villes de Tiers inférieures (certes à un niveau d’implication bien moins fort puisqu’il s’agit de produits très peu chers et quotidiens pour l’essentiel d’entre eux). Capter l’attention des consommateurs chinois, c’est leur offrir de nouvelles expériences.
A suivre demain vendredi 1er mars.