3 février 2020

Temps de lecture : 5 min

« Chaque ville devrait avoir son designer, chaque ministère aussi »

Citoyenneté, mobilité, urbanisme : un monde mouvant, dont les codes, usages et pratiques se construisent et se transforment dans un flux continu d’innovation et de partage. Pour affronter ses changements et s’emparer d’une ville aux mille possibles, le design prend place. Quel rôle et quel impact sur la cité ? Rencontre avec Olivier Saguez, visionnaire, président-fondateur de l’agence Saguez & Partners à la Manufacture Design.

Citoyenneté, mobilité, urbanisme : un monde mouvant, dont les codes, usages et pratiques se construisent et se transforment dans un flux continu d’innovation et de partage. Pour affronter ses changements et s’emparer d’une ville aux mille possibles, le design prend place. Quel rôle et quel impact sur la cité ? Rencontre avec Olivier Saguez, visionnaire, président-fondateur de l’agence Saguez & Partners à la Manufacture Design.

INfluencia : mobilité, modes de vie, transformation des usages et prise en compte des urgences sociales comme environnementales : comment le design s’inscrit-il dans les enjeux territoriaux actuels ?
 
Olivier Saguez : dès que l’on parle « usages », il faut sortir son designer. On n’a jamais autant parlé d’usages – des nouveaux – plus responsables pour la planète et pour l’homme. Et il y a urgence, il nous faut préserver la
planète et ses ressources, et donc modifier notre façon de vivre et de consommer. Globalement, les attentes des Français vont dans le même sens : un mode de vie ancré sur un territoire de proximité, favorisant les liens sociaux et associé à une consommation qui fera la part belle aux produits locaux, souvent bio. Ces trois attentes sont partagées par
 56% de la population, qui veut
consommer mieux, voire pour
 26 % moins, mais mieux ! Ces chiffres issus de cette nouvelle étude Obsoco* sont réjouissants, car ils positivent l’attitude écologique.

Le design est surtout une manière de penser, d’aborder les sujets, en écoutant et en observant les individus. On s’est adressé trop longtemps à des consommateurs en omettant les usagers, citoyens de la planète et de leur village. Les deux échelles qui comptent aujourd’hui, ce sont mon quartier ou mon village, et ma planète. C’est ici et là que je veux agir.

IN : en quoi la Manufacture Design symbolise-t-elle le renouveau d’un design plus intégré aux problématiques sociales et entrepreneuriales ?

O.S. : dans l’urgence, il faut soigner, corriger, faire vite et autrement. Les designers du bla-bla et de la théorie ne sont pas les mieux placés pour faire le design. Avec beaucoup d’autres, je me range dans la catégorie d’une pratique du faire et donc de l’action. Un designer comme
un architecte se doit de vivre la vie qu’il imagine, étudie, prescrit pour demain. Et c’est dans cette vie du futur que la nouvelle Manufacture Design s’est immergée, dans un nouvel éco-quartier responsable de 100 hectares qui représente un quart de la ville de Saint-Ouen-sur-Seine, dans le 93.

Sur ce bout de ville nouvelle, où tout est à faire, nous avons construit un lieu hybride de développement et de pratiques durables, ouvert sur la ville, avec son passage urbain, son école, son café-restaurant
et bientôt son marché. À la
 fois campus, laboratoire, atelier, 
espace de coworking, café, hôtel
aussi, la Manufacture comprend
tous lieux de travail ou d’hospitalité, avec des services pour les
 visiteurs comme pour les collaborateurs. Elle est en perpétuel
mouvement : elle reçoit, se nour
rit, imagine, teste, respire la vie et
la ville de demain. Nous travail
lons en lien étroit avec les administrations locales et régionales 
– le nouveau siège de la Région
Ile-de-France installé en face de
chez nous a été aménagé par nos
équipes Workstyle® –, mais aussi
 les associations et des entreprises
que nous accompagnons dans leur développement ou avec lesquelles nous collaborons pour construire une nouvelle vie en ville.

IN : là où la ville et son évolution furent longtemps aux mains des autorités publiques, il semblerait, qu’en 2019, les entreprises aient aussi leur rôle à jouer. Comment le design contribue-t-il à les intégrer dans un aménagement durable et responsable du paysage urbain ?

O.S. : le maire veut se faire réélire, l’entreprise veut gagner de l’argent… La ville appartient aux gens d’abord, et les solutions sont en eux. Les seuls objectivement concernés par un mieux-vivre ensemble, ce sont eux. Aujourd’hui, ils parlent, tweetent, conversent, comparent, évaluent. Ils se regroupent, comme à Saint-Ouen-sur-Seine, en associations sans subvention (comme notre association de quartier Mon Voisin des Docks). L’entreprise, elle, a de l’argent et des méthodes pour faire. Elle peut aider la ville, qui n’en a plus, et prendre le relais pour réaliser des nouveaux modes de vie. Je crois aussi que l’entreprise – qui n’est pas toujours un modèle de vertu – bouge non seulement sous la pression des consommateurs, mais aussi sous celle de ses propres collaborateurs, qui sont aussi usagers et consommateurs dans la cité.

C’est un même combat social et écologique pour un mieux-vivre ensemble. Après le sociologue, le philosophe, le psychologue ou le médecin parfois… et l’urbaniste toujours, il faut aussi embarquer dans l’Arche de Noé le designer! Le plus important n’est pas ce que fait un bâtiment, une voiture ou un téléphone, mais ce que moi je vais faire avec, et tous les usages que les individus imagineront. Ceux qui pensent utile, usage, économie, durable, lisibilité, praticité, frugalité et beau à la fois s’appellent a priori des designers! Chaque ville devrait avoir son designer, chaque ministère aussi… les entreprises qui durent l’ont compris depuis belle lurette, en engageant des designers à l’intérieur et à l’extérieur.

IN : transformation des usages citoyens : comment répondre aux attentes des consommateurs par le design ?

O.S. : les attentes du citoyen,
du collaborateur et du consommateur – qui sont in fine une seule
 et même personne – concernent
 autant sa vie quotidienne (ses
  courses, ses transports, son logement, son travail, ses loisirs) que
 sa vie de proximité et sur la planète. Le designer a une approche
 globale de tous ces enjeux. Il associe l’utile à l’esthétique et à l’éthique pour repenser les parcours, les usages, et aider les industries, les commerces et les collectivités à se transformer, pour rendre la vie plus fluide, plus belle et plus responsable. Le design intervient sur tous les grands enjeux de l’actualité : l’économie collaborative, l’hyper-mobilité, la santé, travailler autrement, la transition écologique, les constructions et les pratiques de développement durable… tout ce qui sera utile à la vie dans la ville de demain.

IN : design thinking, design sprint, creative thinking : une ribambelle de nouveaux intitulés de postes fleu- rissent en entreprise. Too much?

O.S. : là encore, c’est un effet de mode et ce sont souvent ceux qui en parlent le plus qui agissent le moins. Évidemment qu’il faut embarquer tout le monde. Évidemment qu’il faut écouter les usagers, les citoyens, les consommateurs, les collaborateurs, sans oublier les administrations et le pouvoir politique. Mais une excellente synthèse n’est toujours pas un plan d’action concret. Je suis pour agir vite, le test and learn, on teste, on avance en marchant, on évalue, on peut se tromper, mais on se corrige vite ! On perd un temps infini en France à vouloir avoir raison sur le papier ou à vouloir convaincre avant tout le monde. Je préfère un professionnel qui essaye – quitte à se tromper et à se corriger – et progresse, à des théoriciens du «y a qu’à- faut qu’on »! On est en guerre pour la planète et, bonne nouvelle, c’est en guerre que les ingénieurs et les designers ont le plus d’innovations ou de trouvailles utiles pour la vie quotidienne !

*Lu dans une Tribune du Monde (23/11/2019) de Philippe Moati : « L’utopie écologique séduit les Français ». Étude menée par l’Observatoire société et consommation (Obsoco), avec le sou- tien de l’Ademe, de Bpifrance et de la chaire ESCP-Édouard-Leclerc, auprès d’un échantillon représentatif de 2 000 personnes âgées de 18 à 70ans.

Cet article est tiré de la Revue INfluencia n°31 : « Art de Ville ». Cliquez ici pour découvrir sa version digitale. Et par là pour vous abonner.

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