Une étude exclusive de Sociovision s’intéresse aux conséquences du choc digital dans le monde du travail et dresse quatre profils de salariés que les entreprises ont intérêt à suivre de près.
Intelligence artificielle, objets connectés, robotisation, « smart data », « digital natives »… Depuis quelques années, notre environnement quotidien est transformé par l’émergence et la diffusion de nouvelles technologies, de nouvelles méthodes, de nouvelles générations. « Une lame de fond est en train de modifier en profondeur les fondements de la relation client et l’organisation des entreprises dans de nombreux secteurs : distribution, banque et assurance, télécoms, hôtellerie, santé, services… », constatent Anne Madelin et Rémy Oudghiri, auteurs d’une étude fraîchement sortie des laboratoires de la société d’étude Sociovision, titrée de façon provocante : « les salariés sont-ils devenus obsolètes ? ».
Et ce n’est qu’un début, les acteurs de la « vieille économie » n’ont pas fini d’être bousculés par l’apparition de modèles « disruptifs ». De nouveaux métiers vont émerger dans un avenir proche et des emplois vont disparaître. D’après le World Economic Forum (WEF), 5,1 millions d’emplois seront supprimés d’ici à 2020. Le cabinet Roland Berger prévoit la perte de 3 millions d’emplois en France d’ici à 2025. Le choc digital (choc de la dématérialisation, de la robotisation, des objets connectés, de l’open data) constitue aujourd’hui une réalité qu’il est impossible d’occulter. Alors comment s’y préparer ? Les salariés sont-ils prêts à suivre le mouvement et à contribuer à la « métamorphose » de leur entreprise ? Comment envisagent-ils les changements en cours ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre Sociovision.
Premier constat -et c’est une bonne nouvelle- contrairement aux idées reçues, et aux craintes que certains nourrissent sur la capacité d’adaptation des salariés français, ceux-ci se sont largement et rapidement approprié les nouveaux outils technologiques mis à leur disposition :
– l’abolition des frontières de l’espace et du temps. 59% apprécient de pouvoir gérer leur vie professionnelle, sociale et privée, à tous moments de la journée, quel que soit l’endroit où ils se trouvent (+7 points depuis 2013).
– la démultiplication des possibilités d’apprentissage et d’entraide. 62% trouvent qu’Internet leur permet de développer des connaissances et acquérir des compétences qui leur sont utiles professionnellement (+12 points depuis 2013).
– la souplesse des espaces de travail. 49% ne seraient pas gênés de ne pas avoir de bureau attribué s’ils pouvaient avoir accès à un espace de travail avec tous les outils dont ils ont besoin.
– la meilleure gestion de leur trajectoire professionnelle. 48% des salariés pensent qu’être sur un réseau social professionnel est aujourd’hui indispensable pour sa visibilité professionnelle (+15 points depuis 2013). Chacun apprend désormais à se définir par ses compétences et à devenir son propre « marketeur »
– une capacité d’influence inédite
38% des salariés communiquent directement avec certaines personnes pour court-circuiter les voies officielles. « Ce qui entraîne d’ailleurs un nouveau risque pour les responsables de la communication qui doivent apprendre à gérer de nouveaux communicants informels de l’entreprise sur lesquels ils ont moins de prise », préviennent les auteurs de l’étude.
Des craintes subsistent
Deuxième constat : jusqu’à tout récemment, l’appétence pour les nouvelles technologies et leurs possibilités avait minoré les craintes. Mais l’étude de Sociovision montre que ces dernières sont de retour et progressent. Maintenant que les technologies sont davantage maîtrisées, les salariés découvrent le revers de la médaille :
– l’empiètement sur la vie privée et le droit à la déconnexion. Si la majorité des salariés sont heureux de pouvoir gérer leur vie personnelle à distance, un grand nombre s’inquiète néanmoins : d’une part ils ont peur pour leur vie privée, et d’autre part, ils n’apprécient guère d’être dérangés par leur employeur quand ils ne sont plus au travail
– les difficultés de concentration et la peur de l’isolement. Un tiers environ de la population salariée est concernée, et ces niveaux atteignent un niveau maximal aujourd’hui. Difficile désormais de s’attaquer à un travail de longue haleine sans être sur-sollicité et dérangé. Mais par ailleurs, la réduction des contacts humains peut rapidement générer du mal-être.
Quatre profils de salariés face au choc digital
Comment accompagner les collaborateurs face aux transformations digitales qui s’annoncent ? Sociovision a identifié quatre profils-types de salariés qui se retrouvent dans tous les types d’entreprise et de secteurs.
– les leaders enthousiastes (17%) : nombreux chez les cadres, les managers et les chefs d’entreprise, ils sont à l’aise avec les nouvelles technologies dont ils perçoivent les bénéfices. Ils sont très favorables à leur développement et à une transformation rapide de leur entreprise. « Parfois aveugles aux difficultés des autres, les entreprises ont tout intérêt à leur faire prendre conscience de leur rôle d’accompagnement et de transmission aux autres salariés », soulignent Rémy Oudghiri et Anne Madelin.
– les dépassés (28%) : moins diplômés que les précédents, ces salariés sont plus inquiets de leur avenir. Conscients des enjeux qui se nouent, ils ont néanmoins un usage limité des nouveaux outils qu’ils délèguent volontiers à d’autres. « Guettés par le pessimisme et l’isolement, ils ont vraiment besoin d’être accompagnés et aidés pour faire le point sur leurs connaissances et leurs compétences, si possible se former, voire se réorienter », commentent les experts de Sociovision.
– les Geeks frustrés (19%) : très friands de pratiques émergentes, comme le collaboratif, ils en connaissent les apports mais aussi la face plus obscure : les risques pour la vie privée, les difficultés à se déconnecter… « Leur potentiel n’étant pas forcément mis en avant dans leur entreprise, ils souffrent de ne pas être considérés en interne et de ne pouvoir se stabiliser professionnellement. Et pourtant, véritables leaders culturels, ils ont tout intérêt à être identifiés, impliqués dans l’accompagnement de la transformation, et valorisés », recommande Sociovision.
– les désinvestis (26%) : peu impliqués dans les transformations sociétales actuelles, ils sont assez réfractaires aux changements annoncés. Leur usage des nouvelles technologies reste très basique, et ils montrent peu d’intérêt pour les potentialités qu’elles ouvrent. « Ne pas changer » semble être leur credo, d’autant qu’ils ne se sentent nullement menacés dans leur univers professionnel. « Ces salariés plutôt tranquilles sont une population à risque dans certains secteurs menacés. Une prise de conscience est nécessaire pour qu’ils se réinvestissent », remarquent les auteurs de l’étude.
Alors, les salariés « sont-ils devenus obsolètes » ? Non, mais à condition de les accompagner dans le changement, de renforcer leurs compétences digitales, et de lutter contre la fracture numérique… « Les transformations ne vont pas au même rythme, conclut Rémy Oudghiri, et les entreprises ont un véritable rôle à jouer ». Ainsi 83% des Français estiment qu’il est « indispensable qu’elles renforcent les compétences des salariés en nouvelles technologies ». « C’est l’occasion de revaloriser le lien à l’entreprise et d’alimenter la fierté d’appartenance… tout en évitant une casse sociale », concluent Anne Madelin et Rémy Oudghiri. Un beau challenge.
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