Les femmes ont longtemps été considérées comme les seules décisionnaires des achats, la fameuse « femme responsable des achats » si chère aux annonceurs. Avec l’évolution de la société, les hommes deviennent de plus en plus une cible de conquête pour les marques qui les intègrent dans les campagnes de publicité. Et l’image plaît.
« 96 % des gens pensent qu’un homme qui fait la lessive est un bon exemple pour les enfants, 68% qu’il est beau, 95% qu’il est de son temps. Et 87% que cela ne le rend pas moins viril »(1), souligne le sociologue Jean-Claude Kaufmann. Nous voilà rassurés… Pour les marques, il s’agit, pour bien parler aux hommes ou des hommes, de s’interroger – enfin – sur l’identité masculine aujourd’hui ou plutôt les identités masculines comme l’écrit Yvan Jablonka dans « Des hommes justes ». « Les archétypes évoluent et les mots de la communication également », constate Gilles Masson, Président cofondateur de M&Csaatchi.gad, agence en charge du repositionnement de Célio. Un avis partagé par Bastien Beuriot, planneur stratégique chez CLM BBDO lors des ateliers de réflexion organisés par Amaury Media dans le cadre de son étude sur les Codes et langage du masculin(2) : « Il y a plusieurs modèles de masculinité possibles et il ne faut pas enfermer les hommes dans un archétype ».
De nouveaux modèles masculins émergent
Le modèle longtemps dominant de la masculinité associée à la force physique, au pouvoir, à l’autorité morale, n’est plus admis ni par les femmes ni par la plupart des hommes, notamment les plus jeunes. L’affaire Weinstein, le mouvement #MeToo, la lutte contre les violences faites aux femmes, sont passés par là. Une polémique récente a concerné une publicité Gillette diffusée aux États-Unis sur les réseaux sociaux considérée comme très clivante, peut-être à cause de son discours jugé trop moralisateur. La marque de P&G, longtemps connue pour son slogan « Gillette, la perfection au masculin », avait décidé avec sa nouvelle communication de se lancer dans le débat #MeToo en s’attaquant à la notion commune « Boys will be Boys » qui explique et excuse trop facilement les attitudes agressives et sexistes des hommes. « Les hommes, surtout les plus jeunes, ne se reconnaissent plus dans ce type de comportements. Ils ont le sentiment qu’ils font des efforts pour bien se comporter même si ces derniers ne sont pas toujours reconnus et ils ne veulent pas recevoir de leçons », constate Laetitia Strauch-Bonart, auteure de l’ouvrage « Les hommes sont-ils obsolètes ? ». A l’inverse, la publicité Axe « Is it OK for guys ? » qui posait des questions comme « Est-ce que c’est OK pour un mec de porter du rose ? D’être vierge ? », a été très bien perçue. « Elle s’adressait à une cible teenager et posait la question : ‘qu’est-ce qu’être un homme ?’, au moment de la vie où se définit l’identité », fait remarquer Sébastien Genty, fondateur du Collectif du Planning Stratégique.
Polyphonique et polysensoriel
Ébranlés dans leurs certitudes, car rien ne les avait préparés à une société de l’égalité, les hommes, reconnait André Mazal, directeur du planning stratégique, BETC Luxe Paris(2) « veulent qu’on leur accorde de la complexité. On doit leur dire, bien sûr au second degré et avec humour : ‘assume ta fragilité mais tu as quand même le droit d’être macho’ ». Ils se reconnaissent dans une masculinité plurielle, multiidentitaire, polyphonique et polysensorielle. « Les codes de la représentation sont devenus plus ouverts en termes d’âge, de genre et nationalité, en gardant toujours en tête un défi : l’authenticité », souligne Marco Venturelli, président de Publicis Conseil en charge de la création. Le parti pris d’Intermarché et d’Ikea d’avoir mis en scène un homme aux tempes grises illustre bien ce propos. « Dans nos publicités, nous ne cherchons pas à montrer un rôle-modèle d’homme mais à prendre en compte les différents groupes cibles qui reflètent la diversité que nous voyons dans la société », renchérit Valentina Orena, Marketing General Manager Communication de Kia Motors Europe. D’où la multiplicité de looks masculins que l’on peut voir tous les jours, depuis les cheveux longs au crâne rasé en passant par la barbe, les tatouages, le streetwear, le style élégant cool… Des looks que l’on retrouve dans les publicités et notamment dans la nouvelle campagne Celio. Sur les écrans, l’homme est présenté dans des rôles-modèles nouveaux : le gentil macho, le séducteur juste comme il faut, l’apaisé dans sa relation homme/femme, le bon camarade, le gentil papa, le cuisinier en herbe convivial… En somme : le mec bien ! « Dans les publicités, il faut valoriser les hommes, par leurs actions, leurs réalisations, construire un parcours, un personnage et montrer des tranches de vie », indique Stéphane Sourdillat, directeur associé de l’agence Little Less Conversation en charge du budget Rosières. Et Guillaume Barat, directeur de la marque Kronenbourg(2) de remarquer : « Le cowboy Marlboro solitaire qui vivait pour son plaisir est dépassé. Les hommes se retrouvent dans un modèle de masculinité plus apaisée, avec plus d’authenticité dans ce qu’ils sont : un aventurier de l’ordinaire, au coeur du quotidien ». D’où une nouvelle exigence dans les castings : la recherche non pas de la « belle gueule » mais de gens atypiques, singuliers et surtout de bons plutôt que de beaux comédiens, capables de jouer authentique et vrai et d’aider à raconter une histoire.
© Figaret
Les hommes se retrouvent dans un modèle de masculinité plus apaisée, avec plus d’authenticité
Les hommes laissant l’héroïsme aux femmes, ils se veulent des « aventuriers du quotidien ». Ils sont d’ailleurs de plus en plus présents en cuisine au point que la marque Rosières vient de lancer une campagne digitale ciblant les hommes de 45 ans et plus. Ils se gardent toutefois un rôle archétypal : la transmission et la responsabilité. Mais à la traditionnelle relation père/fils s’ajoute la relation père/fille, qui apporte un supplément d’émotion. C’est le registre utilisé par Orange dans sa nouvelle campagne TV. « C’est un couple authentique, non stéréotypé, une situation qui parle aussi bien aux jeunes qu’aux parents et qui fait s’interroger sur son rôle d’exemplarité. Notre responsabilité de marque est de ne pas tomber dans les clichés et de même que nous nous attachons à faire évoluer la représentation de la femme, nous nous attachons aussi à faire évoluer celle de l’homme », explique Béatrice Mandine, Directrice Executive Communication et Marque Orange. Dont acte.
(1) étude réalisée par Ipsos (2) Participants aux 3 workshops de trois heures organisés par Amaury Media dans le cadre de sa réflexion sur les Codes et langage du masculin, et qui réunissaient 21 professionnels (annonceurs, planneurs stratégiques, créatifs, consultants, entrepreneurs, journalistes) dans une démarche collaborative.
Télécharger le digest de l’étude par ici.
crédit couverture : 2018 © Studio Canal