La tradition philosophique, la culture environnante et les schémas sociétaux associent l’émotion à la passion, à la sensiblerie et souvent à une faille, mais que nenni ! L’émotion c’est le mouvement, l’énergie motrice et originelle au fondement de la créativité et de l’action même. Et en entreprise comment ça marche ? Des réponses apportées par l’Evénement Accélération du Centre Pompidou : « Le Pouvoir des Emotions ».
L’émotion a t-elle droit de cité en entreprise ? Et si oui, quel est son rôle, comment s’exprime-t-il, et en quoi est-il clé dans les relations humaines, professionnelles et entrepreneuriales ? Le Centre Pompidou apporte un début de réponse à ces multiples questions et célèbre l’émotion en lui dédiant la première saison de son Evénement Accélération avec un thème qui dit tout « Le Pouvoir des Emotions ».
Deux jours de conférences, ateliers, rencontres, expériences en tout genre mettant les sens et la réflexion sur le devant de la scène. L’objectif : mettre en perspective l’émotion et ses multiples facettes, décomplexer pour mieux gérer. Parmi la foule des tables rondes : « Pourquoi s’intéresser aux entreprises quand on parle d’émotions ? ». Une mise en lumière de l’intelligence émotionnelle, le « coût » des mauvaises émotions, et l’émotion comme facteur de compétitivité en entreprise. Par ici, ce qu’on en retient.
Sans empathie, pas de bonne relation avec les publics
Si la sensibilité et les émotions de manière générale ne figuraient guère, jusqu’il y a peu, dans le vocabulaire des dirigeants d’entreprise, il semblerait que ceux-ci s’y attardent de plus en plus. On le voit depuis quelques années notamment avec le développement de la notion de bien-être en entreprise et son attirail de formations et de nouveaux métiers comme les CHO (Chief Happiness Officer, soit « responsable du bonheur ») mais aussi en termes de recrutement et de stratégie globale de communication interne.
Pour Sylvie Gleises, directrice générale Europe de Axa Art, tout manager doit prendre en considération le facteur émotion afin de mieux gérer ses équipes : « On est un bon manager quand on laisse parler ses émotions et quand on est sincère. Notamment en situation de stress. Le coaching et les formations sont importants mais la sélection du manager doit aussi avoir une dimension humaine ». De plus, dans certains secteurs plus que d’autres, savoir répondre aux émotions du client n’est pas toujours chose évidente bien qu’essentielle : « l’industrie de l’assurance a par essence une connotation négative. Nous intervenons à des moments douloureux pour les clients où les émotions dominantes sont anxiété, peur, passion, colère. Nos collaborations sont ainsi confrontées à des émotions fortes et négatives, et sans empathie, on ne peut pas accompagner correctement nos clients ».
Dimension humaine et passion
Mais pourquoi et comment la considération des émotions a t-elle changé dans l’opinion entrepreneuriale ? Doit-on parler de rupture ou simplement d’évolution ? Pour Cynthia Fleury, philosophe, psychanalyste, et titulaire de la Chaire Humanités et Santé, deux « révélations » se sont imposées aux entreprises. La première : le lean management est une bonne idée mais la dimension humaine doit s’y intégrer. « Mettre sous pression ses employés ne peut pas fonctionner sur le long terme, les êtres humains se cassent. Et quand cela coûte plus cher de réparer un homme que de le casser, on arrête », explique-t-elle « On a donc retravaillé cette notion, avec la question du bien être comme écosystème viable, l’optimisation du travail se joignant à la motivation ».
Deuxième révélation : les nouvelles générations bien évidemment. Y, Z, millennials, et autres appellations relatives aux jeunes, n’ont qu’un mot à la bouche l’engagement. Plus diplômés, plus investis dans la politique et la RSE, leurs attentes ont changé : la passion doit primer en entreprise. « La nouvelle génération de travailleurs a une culture émotionnelle différente et demande à l’entreprise de porter d’autres principes, d’autres valeurs, avec le désir d’avoir un rôle politique et/ou publique avec elle. L’entreprise doit leur apporter quelque chose d’engageant pour accéder à l’épanouissement », poursuit Cynthia Fleury. Et qui dit Y etc… dit monde digital : « les réseaux sociaux ont donné accès à une forme différente de penser la vie et contribué à la confrontation entre émotions et entreprises », affirme Antonio Damasio, médecin, professeur de neurologie, neurosciences et psychologie « Les connaissances scientifiques ont ainsi peu à peu pénétré la culture par cette intermédiaire de circulation de l’information, et les changements de mentalités opèrent doucement. L’idée qu’émotion = santé = bonheur = motivation professionnelle en est un exemple ».
Clé de l’innovation
Outre passé le caractère humain des émotions, il faut aussi comprendre que celles-ci ont un impact direct sur la puissance de l’innovation au sein même des entreprises. En effet, plus les émotions sont négatives, moins la circulation de l’information est effective, et de ce fait, moins d’innovation se crée. « Être un écosystème d’innovation, de lancement d’alerte, et tout ce qui fait d’une entreprise une puissance, tourne autour de l’émotion. Blâmer les émotions est donc contraire à la création de valeur ajoutée de l’entreprise », souligne Cynthia Fleury.
« En début de carrière, je me voyais recevoir régulièrement des conseils du type « ne montre pas tes émotions, contrôle-toi, ne laisse rien transparaître et surtout, surtout ne pleure pas ». Aujourd’hui on me recommande plutôt « sois toi-même, et tu verras que tes équipes te suivront » », confie Sylvie Gleises. Un message à faire passer.