25 octobre 2017

Temps de lecture : 5 min

« Les smileys ne sont plus juste des visages, mais de nouveaux personnages »

En 1972, Franklin Loufrani designait le premier smiley, devenu une icône des années 1980. En 1997, son fils Nicolas renouvelait le symbole en faisant une marque à 250 millions de dollars de chiffre d'affaires. Sa vision ? Remplacer les mots pour en faire une communication non verbale universelle plus ludique.

En 1972, Franklin Loufrani designait le premier smiley, devenu une icône des années 1980. En 1997, son fils Nicolas renouvelait le symbole en faisant une marque à 250 millions de dollars de chiffre d’affaires. Sa vision ? Remplacer les mots pour en faire une communication non verbale universelle plus ludique.

INfluencia : peut-on dire aujourd’hui que le smiley que vous avez relancé en 1997 est l’ancêtre de l’entertainment visuel ?

Nicolas Loufrani : pour moi, l’entertainment visuel reste le jeu vidéo, dont l’ancêtre est le Pong : deux barres et une petite boule avec lesquelles nous jouions sur un écran de télévision dans les années 1970. Le smiley est un mode de communication et d’expression plus que du divertissement. C’est un mode d’expression facile à reconnaître et sympathique – c’est plus agréable que des idéogrammes chinois. C’est aussi un langage universel : si je montre un smiley à quelqu’un dans n’importe quel pays, il le reconnaît immédiatement. C’est finalement le plus abouti de tous les systèmes logographiques. Quand je l’ai relancé en 1997, il y avait évidemment un aspect ludique. L’idée de remplacer un mot, austère, par un signe très évocateur induit une part d’amusement. Donc, oui, il y a un côté sympathique et ludique dans le smiley. L’an passé, nous avons d’ailleurs sorti les deux premiers tomes d’un roman graphique, Ma vie en smiley, et je vais lancer une bande dessinée de smileys au premier trimestre 2018.

IN : cela relèverait presque de l’expérience publicitaire !

NL : peut-être… En tout cas, nous proposons une expérience augmentée, cela va au-delà du smiley. Pour ces romans graphiques, qui s’adressent aux enfants, nous avons collaboré pour l’écriture avec une auteure très talentueuse, Anne Kalicky. Ce sera le même processus pour la BD à laquelle je travaille depuis longtemps et qui va nous permettre de créer un véritable univers dédié. L’histoire se déroule dans un monde digital, les smileys prenant vie sur le Web. Le personnage principal – qui s’appelle Nico, comme moi – devient un héros de BD qui va vivre des aventures dans le monde de l’Internet, avec des smileys.

IN : cet univers peut-il devenir un nouveau territoire de marques ?

NL : oui, complètement, car les smileys ne sont plus juste des visages, mais de nouveaux personnages. Ils pourront à terme se muer en héros de dessins animés ou de films. S’ils devenaient un succès populaire à la télé ou au cinéma, alors ils seraient susceptibles d’être commercialisés sous licence, comme « les Mignons » par exemple. Dans un avenir assez proche, c’est envisageable. Ce concept, que nous lançons maintenant, je l’avais déjà écrit en 2001, juste sur quatre ou cinq pages, mais c’était assez pour créer l’univers que j’avais bien en tête. Puis je m’étais préoccupé d’autres choses et cette idée était restée dans les placards. Un jour, j’ai rencontré les éditions Delcourt, je leur ai raconté mon histoire. Ils l’ont lue et ils ont accroché. J’en suis ravi.

IN : l’avenir du smiley comme expérience de communication ludique réside plutôt dans ce divertissement d’univers que dans les licences ou les opérations spéciales, non ?

NL : la marque telle qu’elle est aujourd’hui et telle qu’elle vit dans les industries de l’agro-alimentaire ou de la mode est une véritable marque, à part entière. Nous ne sommes pas dans un système de licence de type Disney. Aujourd’hui, licence classique signifie produits dérivés, et toutes les licences sont issues du cinéma, du dessin animé, des livres, de la mode ou d’artistes célèbres comme les Rolling Stones. C’est forcément dérivé d’une activité de divertissement. Nous sommes un cas unique ; notre marque vit par elle-même, donc nous ne pouvons pas nous permettre une « mauvaise licence ». Un dessin animé comme Peppa Pig par exemple, cela va faire un carton pendant trois ou quatre ans, puis le soufflé retombera. Nous, on est là depuis quarante-cinq ans sans jamais avoir été dérivés d’un seul univers. Cela tient parce que nous sommes créatifs et structurés dans notre gestion des partenariats. Cela dit, c’est vrai que si les bandes dessinées étaient un succès, nous ferions vivre la marque avec un autre type d’univers…

IN : est-ce le smiley qui a permis la démocratisation des émojis ou bien notre « société du divertissement » qui a demandé des modes de communication plus mobiles ?

NL : c’est avant tout la technologie qui a fait évoluer les choses. Si on se replace dans une perspective purement historique depuis l’invention de l’écriture, celle-ci est en elle-même une technologie. L’homme a commencé à en avoir besoin quand le monde s’est structuré en villes et en empires. Les premières écritures ont servi justement les empires pour leur gestion administrative. Ce nouvel outil permettait de noter qui était propriétaire de tel terrain, quelles étaient les récoltes d’une année, quelles étaient les taxes à facturer… D’ailleurs, les premières graphies ne comportaient pas d’espace entre les mots. Nous n’aurions pas pu écrire un roman avec ce type-là de notation ! C’était juste des mots les uns après les autres, en ligne et sans espace. Absolument pas fait pour être du divertissement. Le roman est apparu bien, bien plus tard.

IN : y a-t-il donc aujourd’hui besoin d’un nouveau langage non verbal, très visuel et ludique, pour restructurer notre nouvelle civilisation ?

NL : quand j’avais 20 ans en 1990, beaucoup de médias parlaient de la mort de l’écriture. Je me souviens que mes grands-parents se plaignaient que je ne leur écrivais pas assez de lettres ou de cartes postales quand j’étais en vacances, comme eux le faisaient avec leurs parents. L’écriture était en train de disparaître… mais l’Internet et les téléphones mobiles l’ont ramenée dans nos modes de communication, ce qui est assez incroyable quand on y pense. Si on m’avait dit en 1990 que je me remettrais à passer mes journées à écrire à des gens, je n’y aurais pas cru. Finalement, ce bon technologique a été autant un bond en avant qu’en arrière parce que nous nous remettons à écrire des missives à tout le monde comme au xviiie siècle. Sauf qu’au lieu de mettre des semaines à parvenir, elles sont lues instantanément. La technologie a donc remis l’écriture au centre de notre communication.

Effectivement, avec les smileys, émojis et autres formes de graphisme, une nouvelle imagerie donne encore plus de vie et de facilité à cette communication. En 1990, si je voulais ajouter un petit personnage sur ma carte postale, il fallait d’abord que j’aie le talent pour le dessiner et que j’y consacre deux ou trois minutes. Maintenant, je peux intégrer des dizaines de personnages en quelques secondes dans le message que j’envoie. C’est une simplification extrême des graphismes. Avec la communication digitale, en pressant sur un bouton, nous pouvons ajouter un personnage extrêmement sophistiqué, voire animé dans nos messages.

IN : cela colle à ce que sont devenues nos formes de communication ?

NL : oui, c’est complètement en phase avec les plateformes de communication actuelles. Le fait que cela se soit développé de manière aussi massive prouve, selon moi, qu’il y avait un besoin. Je ne crois pas dans la théorie de l’État stalinien qui aurait obligé à utiliser les icônes dans notre communication du quotidien. Nous vivons dans une économie libérale, où les supports et services doivent répondre aux envies et attentes des consommateurs. Cette nouvelle imagerie répond à un besoin humain qui est de communiquer, et ce le plus rapidement possible et de la manière la plus précise possible. Les choses arrivent de manière organique parce qu’il y a un besoin réel. En France, les anti-libéraux pensent que les grandes méchantes entreprises imposent des besoins aux gens, mais un besoin aussi massif, on ne le force pas.

Article tiré de la revue INfluencia n°22 sur l’entertainment

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