21 avril 2016

Temps de lecture : 6 min

Le journalisme doit-il être instantanéité ?

Le culte du présent et de l’immédiateté semble être une caractéristique de nos sociétés. La vitesse s’impose comme une évidence. « Hyper connectés », nous serions entrés pleinement dans la société de l’information et du « real time ». Mais tout doit-il pour autant être instantanéité ?

Le culte du présent et de l’immédiateté semble être une caractéristique de nos sociétés. La vitesse s’impose comme une évidence. « Hyper connectés », nous serions entrés pleinement dans la société de l’information et du « real time ». Mais tout doit-il pour autant être instantanéité ?

Selon Adeline Wrona, professeure des Universités au CELSA, l’instantanéité existe depuis toujours et se transforme sans cesse. Déjà au XIXème siècle l’écrivain, Emile Zola, dépeignait le rythme de l’information en ces termes : « Le goût de l’actualité aidant, nous en sommes arrivés à cette fièvre d’informations immédiates et brutales ». En rappelant cette citation, la chercheuse pointe combien la société recycle certaines peurs et croyances à l’égard de l’information et de sa production. Mais également la façon dont le journalisme doit évoluer structurellement : repenser ses propres standards, ses pratiques et ses formats en fonction de la société qu’il prend pour cadre.

Culte de l’instantané

Le journalisme fait l’objet d’un débat sur l’accélération. La polarisation du travail éditorial au travers des notions de « fast » ou de « slow » démontre à quel point le corps de métier se questionne sur les transformations médiatiques, sur les modalités de production et de consommation de l’information. Le magazine Society s’est par exemple, parmi beaucoup d’autres, illustré récemment en s’inscrivant à contre-courant du fast journalisme en proposant de longs dossiers thématiques.

Selon le philosophe Bernard Stiegler l’information est « ce qui n’a de valeur que parce qu’elle la perd » : le temps s’inscrit directement dans une logique de valorisation de l’information. Toutefois, le fast et le slow journalismes apparaissent néanmoins comme des représentations fantasmées du travail journalistique. Ces concepts reposent tous deux sur une prétention communicationnelle, celle d’avoir une pleine maîtrise sur la temporalité.

Au-delà du cadre temporel de l’information, être un journaliste c’est avant tout savoir observer, vérifier les informations pour mieux les assumer. Appréhender les modalités permettant de produire, consommer et faire circuler l’information. Les discours portant sur l’instantanéité prennent pour appui le développement des médias numériques, selon l’idée reçue que désormais « tout communique »… De son côté, Michèle Léridon, directrice de l’Information de l’AFP, l’informatisation n’est pas un phénomène récent; elle existe depuis les années 70 au sein de l’agence de presse. Le changement vient des individus désormais munis de smartphones et producteurs de contenus. Ces derniers s’improvisent reporters lorsqu’ils assistent à des événements. Ils détiennent souvent l’information avant les médias.

Le culte de l’urgence presse ainsi le monde du journalisme d’adopter des dispositifs toujours plus rapides pour médiatiser l’information. Twitter, et maintenant Périscope s’inscrivent dans une fascination pour le live, pour le « streaming informationnel » : l’information deviendrait re-présentation, c’est-à-dire résurrection du réel. Et comme le souligne Erik Orsenna, l’instantanéité et la « profusion » de l’information demandent un certain recul : « Il y a une boulimie d’information générale sans choix. Plus que jamais nous avons besoin de journalisme, de hiérarchie, de tri ». L’une des composantes du travail du journaliste serait alors de prendre du temps pour analyser ce qui se passe et ce qui se déplace.

Le journalisme, c’est prendre son temps

Le journalisme est confronté aux exigences impérieuses de l’immédiateté. À son époque le sociologue, Baudrillard, avait déjà analysé ce fantasme de l’instantanéité dans son livre « La société de consommation » : « Partout, c’est le cinéma vérité, le reportage en direct, la photo choc, le témoignage-document qui est recherché, c’est le cœur de l’événement, le cœur de la bagarre, le in vivo, le face à face, le vertige d’une présence totale à l’événement, le grand frisson du vécu (…). Ce qui compte c’est donc le fait d’y être sans y être ».

Face au discours sur le « real time » qui met dans l’urgence la profession de journaliste, il faudrait prendre son temps pour délivrer l’information. Les journalistes sont investis d’une responsabilité sociétale, comme l’explique Michèle Léridon : « lors des attentats du Bataclan les journalistes de l’AFP ont pris du temps pour parler des événements. Seul un effort de recul et de distanciation permettait de se prémunir de tout type de rumeurs pouvant circuler sur les réseaux sociaux. Mais la profession ne peut pas ignorer ces individus munis de Smartphones qui médiatisent à leur manière les événements ».

Citizen journalism

Avec plus de 2 milliards de smartphones dans le monde, les agences mondiales de presse ne peuvent rivaliser avec la somme de citoyens en terme de couverture d’événements. Pourtant, ces producteurs d’informations n’ont pas de formation spécifique au journalisme : « Ils n’ont pas les valeurs éthiques, le professionnalisme, la rigueur, c’est par cela qu’on se sauvera. La solution c’est de ne pas changer », explique la directrice de l’AFP.

Sont ils véritablement des « producteurs d’informations » ? Témoigner sans véritablement rendre compte de ce à quoi on assiste est-ce produire ? Le terme « citizen journalism » est problématique. Il est, par un imaginaire démocratique de la participation, la promotion d’un nouveau genre d’agora informationnelle. La captation d’événements ne signifie pas que les individus sont aptes à produire de l’information en adoptant une posture journalistique. Pour Marc Feuillée, directeur général du groupe Figaro, l’idée d’un « citizen journalist » semble aussi improbable que si nous nous mettions à consulter un « citizen dentist ».

L’enjeu journalistique réside alors dans la capacité à récupérer, traiter et médiatiser ces contenus. En effet, face à la profusion d’outils dont sont dotés les citoyens français, le journaliste doit faire preuve de recul, il certifie l’exactitude de l’information en adoptant un certain regard. Toutefois, des contraintes économiques qui pèsent sur la profession mettent souvent les journalistes dans l’urgence.

Contraintes économiques

D’après Frédéric Filloux nous sommes dans « un système économique qui nécessite des choix et des arbitrages. Avec les contraintes budgétaires, il faut rationaliser le travail ». Par exemple, certaines agences de presse se dotent de robots pour écrire des brèves. « Cette automatisation de l’écriture n’a pas pour volonté de remplacer les journalistes », explique la directrice de l’AFP. Il s’agit plus de libérer du temps pour que les journalistes puissent traiter des sujets de fond que de la volonté de tout automatiser, l’objectif serait d’allouer davantage de budget aux reportages.Ce type de choix stratégique permet d’avoir davantage de personnes sur le terrain pour garantir la qualité de la production éditoriale mais également sa créativité. Le journalisme a toujours été confronté à l’évolution de ses propres standards, la valeur rédactionnelle est là, toutefois la rentabiliser économiquement semble être une tâche plus ardue.

Les médias font face à des acteurs économiques qui ne produisent pas à proprement parler d’informations mais qui les drainent sur leur plateforme et créent de la valeur. En effet, d’après le chercheur en sciences de l’information et de la communication, Yves Jeanneret, les industries médiatiques telles que les journaux investissent de l’argent pour produire des contenus originaux alors qu’une industrie médiatisante comme Facebook qui ne diffuse pas de contenus, permet aux marques de rencontrer leur public. Les industries de passages que sont les réseaux sociaux s’inscrivent dans des logiques de monétisation alors que les médias dits « classiques » peinent à être viables économiquement en produisant du contenu qui nécessite à la fois temps et argent.

Le journaliste, un sculpteur d’information ?

Le rôle du journaliste, c’est aussi d’approfondir la perspective de certains événements. Comme le souligne Antoine Guelaud, directeur de la rédaction de TF1 : « 98% des téléspectateurs du 20h sont déjà informés des grandes actualités de la journée ». L’enjeu est alors de permettre aux spécialistes d’aller plus loin dans la production d’information. Par exemple en mettant en place davantage de formats longs pour faire preuve de didactisme dans la transmission d’informations.

Le futur du journalisme passerait-il par une sorte de reconquête du public à travers des investigations, des articles de qualité et une déontologie exemplaire ? Le travail du journaliste est de « lire » mais également de « dire » le monde. Autrement dit, avoir les outils et connaissances nécessaires pour pouvoir traiter les événements avec une posture journalistique, ce qui demande à la fois du temps et des moyens financiers mais également une vision sur la formalisation de l’information. La stratégie des titres de presse pour assurer leur pérennité économique passe également par la création de productions journalistiques innovantes. Comme l’exprime la chercheuse, Adeline Wrona : « Il faut réinventer une écriture, une nouvelle rhétorique, l’information c’est d’abord une façon d’écrire, c’est l’injonction à la créativité ».

Le journaliste, Patrick Bourrat, disait souvent : « Nous sommes les instituteurs de l’actualité » en parlant du rôle et de la responsabilité du journaliste dans la société. Plus que de céder à l’impératif de l’accélération, le rôle du journaliste serait de prendre du recul et ne pas s’inscrire dans une logique de l’urgence pour permettre aux lecteurs de comprendre l’actualité plus clairement.

Enfiin, certains journalistes nourrissent l’idée que « c’était mieux avant ». Ce discours nostalgique gagnerait toutefois à être nuancé. Face à l’impératif de l’instantanéité, les journalistes nourrissent la volonté de délivrer un travail authentique, de qualité, permis par une enquête de terrain. Selon le directeur de la rédaction de TF1 : « Les journalistes n’ont pas à rougir de la façon dont l’écriture évolue, le professionnalisme et la qualité journalistique sont bien meilleurs qu’autrefois ». Le corps de métier ne doit pas voir les évolutions de la profession et du mode de la production d’information comme une menace mais véritablement comme une opportunité. Il y a une progression permanente dans les modes d’existence du genre journalistique. Face à ces défis de taille et à cette injonction à la créativité permanente, le journalisme est appelé à se réinventer.

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