30 mars 2017

Temps de lecture : 3 min

Regard critique sur la smart city

Louer les mérites de la "ville intelligente" est une chose. Mais pas au point d’en être aveuglé. Une nouvelle étude pointe les travers de la ville fantasmée de demain. Les mises en garde sont d'autant plus intéressantes qu'elles émanent de Joshfire, une agence conseil en innovation

Louer les mérites de la « ville intelligente » est une chose. Mais pas au point d’en être aveuglé. Une nouvelle étude pointe les travers de la ville fantasmée de demain. Les mises en garde sont d’autant plus intéressantes qu’elles émanent de Joshfire, une agence conseil en innovation

Pour la première fois, un acteur du développement technologique des villes intelligentes porte un regard moins adorateur et propagandiste sur cette cité presque utopique des temps modernes. Un espace urbain de vie en constante démarche d’innovation dont les infrastructures et habitants sont connectés entre eux -et vers l’extérieur- dans le but d’améliorer la qualité de vie, les richesses, la résilience et la durabilité. Glorifiée par l’édition 2017 du Mobile World Congress de Barcelone, où ont dominé les technologies au coeur de son avènement (l’IoT, l’intelligence artificielle et la 5G), la « Smart City » affiche « des limites à ne pas négliger » énonce Joshfire la première agence française d’objets connectés dans son étude sur les smart cities livrée en exclusivité dans INfluencia. 

L’agence, propriété depuis 2014 d’UserADgents n’évoque pas le danger des graves déséquilibres socio-culturels ni les méfaits de la sur-urbanisation, mais son regard critique mérite que nous nous y attardions. D’abord parce qu’il est trop rare dans les études serveuses de soupe à la louche. Ensuite parce qu’il pose des questions auxquelles il faudra répondre.

Big Mother remplace Big Brother

Premier méfait, la nocivité des ondes. « Face aux dangers amenés par les ondes électromagnétiques sur notre santé, et à la montée de l’intolérance au champ électromagnétique ou électro-hypersensibilité, il devient crucial de réduire leur nocivité en régulant l’activité des appareils », assume l’étude. Deuxième critique, la surveillance. Bardée de capteurs de données, entre autres personnelles, la ville est susceptible de se transformer en arme de surveillance massive. La technologie offre toute les possibilités: capteurs sur les objets du quotidien, lampadaires qui repèrent les mouvements des passants, caméras de sécurité, puces RFID…

« Il est facile d’imaginer les dérives. La police municipale du Cannet s’est équipée de caméras parlantes capables de détecter si un passant promène son chien sans laisse pour  le rappeler à l’ordre. Un dispositif controversé perçu comme une sorte d’espionnage permanent », constate l’étude de Joshfire. Autre exemple. « C’est pas Big Brother, c’est Big Mother », résume l’écrivain Alain Damasio.

Le troisième danger porte sur la vie privée. De pair avec le sentiment de surveillance et d’intrusion, la question de la délimitation de la vie privée se pose. La CNIL est un garde-fou aux pouvoirs limités, dans ses moyens comme dans ses amendes bien trop faiblardes face aux opportunités qui se chiffrent en milliards. Quatrième méfait, la sécurité. « Alors que les villes multiplient les équipements connectés, les failles béantes de sécurité apparaissent. Nous assistons en parallèle à la montée du cyber-terrorisme et sommes confrontés aux problématiques qu’engendre le stockage des données dans le cloud », énonce l’étude.

« L’histoire montre que les individus ne se ruent pas vers les villes les plus efficaces »

Pour être smart une ville doit être inattaquable. Comment y arriver ? Utiliser les systèmes de cryptage les plus avancés; disposer de mécanismes pour limiter les falsifications; mettre régulièrement à jour les systèmes et tester les solutions avant leur implémentation pour choisir la plus adaptée. Embaucher les hackers pour ne pas se faire hacker est aussi une possibilité. « Plus de 200 000 feux et panneaux de signalisation dans les grandes villes (dont Washington, Lyon et Londres) peuvent être facilement piratés. Il serait possible d’allonger ou de raccourcir la durée d’un feu vert, d’afficher des limites de vitesse fantaisistes, avec des conséquences parfois dramatiques »,  explique Cesar Cerrudo, Chief Technology Officer chez IOActive Labs.

Autre sujet de préoccupation, la démiurgie. La ville du futur se distinguera de celle du passé par le pouvoir de création et de communication qui résidera entre les mains de chaque citoyen : imprimantes 3D de plus en plus performantes, smartphones super puissants, drones et aussi robots… On peut y voir un formidable pouvoir de création dont nous pouvons facilement imaginer les dérives. Que ce soit le détournement des drones à des fins malveillantes, la programmation de robots pour construire illégalement ou accomplir des actes délictuels voire criminels. « L’homme du futur sera un citoyen-démiurge. Une réalité que les pouvoirs publics devront réguler pour canaliser cette force créatrice dans le sens du bien commun », assure l’étude.

Enfin, comment ne pas s’inquiéter de la sur-efficacité. La ville, à force de tendre vers l’efficacité, la simplicité, la fluidité, ne doit pas perdre son âme et l’amour que ses habitants lui portent. Elle doit conserver son quota de frictions et d’aspérités pour être vivante. Et le mot de la fin revient à Philippe Crist, économiste & administrateur chez International Transport Forum, cité par l’étude : « Nous parlons beaucoup de smart cities, de villes plus efficaces, plus propres, plus simples, mais l’histoire montre que les individus ne se ruent pas vers les villes les plus efficaces. Ils aiment les lieux chaotiques, désordonnés, car le but d’une ville est de faire se rencontrer des gens qui ne se seraient pas rencontrés autrement. Cela implique une part de désordre et d’incertitude. Il faut parfois privilégier la friction sur la fluidité ».

Découvrez l’intégralité de l’étude en cliquant sur l’infographie

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