Avec 6 millions de marques déposées chaque année dans le monde, l’invisibilité menace les entreprises et leurs nouveaux produits. Le naming devient un soft power incontournable.
Actuellement, tout tourne (trop) bien dans l’univers du naming des marques et des produits. Les méthodes sont parfaitement rôdées. La qualité est au rendez-vous. Les noms trouvés sont adéquats aux fondamentaux de l’entreprise ou du projet, incarnant des bénéfices ou des valeurs (morales ou ajoutées). La rançon à payer de ce professionnalisme est que les valeurs recherchées décalquent souvent des tendances très générales. Les savoir-faire empiriques se multiplient sur le marché et finissent par se copier au détriment de l’efficacité. Deux problèmes deviennent insolubles sur le choix d’un nom :
– La faiblesse de l’impact. Avec les mêmes process, beaucoup de créations retombent sur les mêmes noms (Créaline, Lighthouse…).Dans nos cerveaux, l’érosion menace. Sur le marché, la répétition assourdit. L’enjeu de la différenciation s’intensifie.
– La « sur-justification ». Tout devient sursignifiant pour expliquer le résultat : les sons, les lettres, les racines. Mais trop de symbolisme tue le symbole, évapore l’identité et donne des accents de charlatanisme. L’enjeu de la consistance est à poser.
Comment assurer l’impact, la consistance et la différenciation à un nom ?
Les sciences cognitives nous apprennent que le cerveau compresse l’information et se relâche avec l’habitude, s’il est familier de ce qu’il entend. Ces certitudes nous donnent le devoir de toujours surprendre. Certains secteurs innovent et savent nous interpeler sur une finalité. Prenons l’exemple des projets scientifiques ou des mouvements citoyens, reliés à des aventures humaines, à des communautés vivantes et dont on devrait s’inspirer : Time’s up, Say Yess (Economie Sociale et Solidaire), Scan Pyramids, Breakthrough listen… Ici, le mode verbal et oral prend le pas sur le simple identifiant -nom commun, sigle- pour éveiller l’attention et la motivation.
Les sciences cognitives affirment également qu’un terme se retient mieux si une image lui est spontanément associée. Pour graver un nom dans la mémoire, il vaut mieux qu’il soit adossé naturellement à une image. L’objectif devient la « totémisation », à savoir instaurer une forme prégnante dans un ménage à trois : consommateur, produit et concurrent(s). Pour rappel, en ethnologie, le totem (=marque et logo) comme les mots de la prière (= le slogan) permettent de souder la communauté et de fonder le culte sur des rituels (= fidélisation). À travers ces archétypes verbaux et imagés, une stratégie de l’impact se dégage avec l’obligation d’oser et de bouger les lignes traditionnelles. Pour échapper aux routines du bon sens marketing, le naming doit prendre une posture plus assertive, proposer de nommer les atouts inexplorés d’une entreprise (algorithme, prototype, mascotte) et se faire plus rupturiste. Ceci n’implique pas une sophistication, au contraire. Un naming rupturiste ne doit pas consister en une innovation stylistique à tout prix qui pourrait freiner la performance.
Le naming rupturiste doit d’abord privilégier une approche visuelle et comparative. Pour se différencier sur un marché, rien de plus simple que de prendre en photo un rayon ou un app store, de comprendre la norme actuelle du secteur pour conquérir l’espace disponible. Un acte fort s’impose : lâcher le brief client pour se placer d’emblée sur un espace vierge et ouvert aux bénéfices multiples pour la marque (différenciation, personnalité, attitude). Instantanément, le nom ne paraît ni suiveur ni imitateur mais « créateur » d’une image ou d’un mouvement. Ce qui ne décevra pas les brand managers, c’est que les exemples les plus simples sont les meilleurs : Apple, Le Chat Machine, la colle Cléopâtre. Si nous les comparons à leurs concurrents, nous comprenons qu’il existe à notre portée une forme de génie marketing construisant un capital émotionnel fort qui se mue en véritable actif pour la marque. À charge pour les namers d’adapter les méthodes à ces nouveaux fondamentaux et, surtout, d’affûter leurs arguments pour convaincre les entreprises.