30 mars 2021

Temps de lecture : 4 min

Essentiellement hédonistes

Entre simplicité rêvée et pulsions concrètes, les Français dessinent une nouvelle ligne de crête exigeante pour les marques.

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Le jeu des prédictions est toujours risqué. Et s’il est encore tôt pour faire des projections concernant l’impact de la pandémie du coronavirus sur le long terme, il demeure crucial pour les entreprises d’observer les signaux qui émergent afin de préempter de nouveaux territoires. Ce qui m’a frappé ces derniers mois à observer les gens sur les réseaux sociaux, c’est l’hyper émotivité qui a caractérisé leurs prises de paroles. Bien sûr, ce type de média instantané et communautaire se prête à l’expression des émotions, mais depuis cette pandémie, nous avons atteint des sommets. Recherche d’accomplissement, stress, contestation, nostalgie, envie de renouveau, ce sont ces émotions qui ont dominé les conversations, ces émotions qui ont guidé les comportements de consommation. En analysant de près les données issues de Twitter et de Google ainsi que les résultats de différentes enquêtes, j’ai identifié trois grandes tendances, accélérées par la crise, qui méritent réflexion.

1. La recherche d’accomplissement a permis à chacun de redéfinir « l’essentiel »

Un inversement de la pyramide des besoins, où les valeurs de sécurité auraient pris le dessus sur celles de l’accomplissement : c’est la thèse développée pendant le confinement par de nombreux analystes. De mon côté, j’ai exploré de plus près les différents « besoins » exprimés online et à ce titre, 11 millions de conversations autour des notions « essentielles » remontent entre mars et décembre 2020 , parmi lesquels 885K publications associées à l’appartenance, 683K à l’accomplissement, 146K sur l’estime, 530K sur les besoins physiologiques et 464K sur la sécurité.

Non seulement ces données viennent mettre à mal la thèse de l’inversement de la pyramide, car on voit bien que les besoins « essentiels » ne sont pas en tête des conversations, mais il y a autre chose : ce qui est qualifié comme « essentiel », ce n’est pas l’un ou l’autre des besoins de la pyramide de Maslow, c’est bien l’ensemble de ces besoins, à des moments différents, dans des contextes différents.

« Essentiel » ce n’est pas seulement manger à sa faim, « essentiel » c’est aussi (et presque à égalité) prendre du plaisir à manger.

Ce que disent les données selon moi, c’est que la Pyramide de Maslow n’existe plus sous cette forme triangulaire, où les besoins sont hiérarchisés verticalement par ordre d’importance. Ce qui m’est apparu comme « essentiel », c’est le besoin de redéfinir personnellement son rapport à l’essentiel, de (ré)concilier responsabilité et plaisir, sans hiérarchie ni opposition.

En réalité, la pyramide de Maslow a été explosée par la pandémie. Les différents éléments de valeurs sont toujours là et interconnectés, mais reconfigurés de manière horizontale et centrés autour de l’individu et de son accomplissement. C’est ce j’ai baptisé « l’écosystème d’accomplissement » : un ensemble de besoins qui contribuent à l’accomplissement des individus, sans que certains besoins paraissent plus « essentiels » que d’autres. Les marques qui sauront jouer dans cet « écosystème d’accomplissement », servir l’ensemble des besoins « essentiels » des gens et les faire rêver pourront devenir irremplaçables.

2. Le stress comme générateur de réconfort et de nouvelles expériences

L’expression du stress a explosé sur les réseaux sociaux avec 2,9 millions de mentions de mars à décembre 2020, soit une multiplication par 10 vs 2019 qui correspond à une baisse marquée du moral des gens .
Face à cette montée du stress, deux réactions antinomiques apparaissent :
– la recherche d’un refuge et/ou de réconfort, ce qui ramène les consommateurs vers les marques qu’ils connaissent bien.
– ou bien la stimulation pour tenter de nouvelles expériences, ce qui amène les consommateurs à découvrir des produits et des marques qu’ils ne connaissaient pas.

Le « comportement doudou » :
51 % des gens se sont tournés vers les marques dans lesquelles ils avaient une confiance certaine. Pour ces dernières, c’est une opportunité : recréer des routines, des rituels, apporter de la normalité dans un monde anormal, du contrôle dans un monde incontrôlable. Cette normalité, ce contrôle, deviennent une « proposition de valeur » prisée.
Le « comportement conquérant » :
546K mentions de « découverte » exprimées sur les réseaux sociaux entre mars et décembre 2020, c’est considérable. 39% des consommateurs déclarent avoir effectué des achats auprès de nouvelles marques qu’ils ne connaissaient pas avant le confinement et ils sont 73 % à indiquer qu’ils continueront à les consommer à l’avenir. C’est la théorie de « la discontinuité des habitudes » développée par des chercheurs de l’université de Bath (UK) en 2018 : c’est quand on sort de son traintrain quotidien qu’on est le plus enclin à faire de nouvelles expériences. Dans ces moments de pivot, les marques challengers ont tout à gagner.

3. Avant – Après : la guerre des mondes

Beaucoup d’encre a coulé sur « le monde d’après ». Ce que j’observe chez les internautes, ce n’est pas un « new normal » (une utopie) où le monde aurait pu radicalement changer pour le meilleur, ni un « new strange » (abstrait) où la confusion totale règne, mais un « old normal », où l’on abandonne les bonnes résolutions pour renouer avec ses pulsions et la satisfaction de ses désirs dans un monde qui doit cohabiter avec l’incertitude. Cette même incertitude qui rend la consommation encore plus gratifiante et rassurante.

On observe également un paradoxe entre limiter sa consommation (81 % à déclarer vouloir faire moins souvent les courses) et l’envie de se faire plaisir (72 % à vouloir acheter de nouveaux vêtements post confinement) . Par ailleurs, 57% des Français estiment que le BlackFriday est négatif pour l’environnement mais paradoxalement le budget du BlackFriday a augmenté de 24% (+47 €) versus 2019 pour être porté à 245 €. Il y a certes un bouleversement inédit avec le choc de cette crise sanitaire sur le plan économique, écologique et social, mais les données observées ces derniers mois démontrent que nous resterons…imparfaits.

Une certitude : les changements observés durant le confinement, comme le patriotisme économique, ne seront pas tous durables. « Tout le monde veut du made in France mais au prix du made in China » pour citer un tweet. Il s’agit en réalité de passer des intentions aux actes. Et de faire un arbitrage marqué par trois tensions : le désir de consommer, mais mieux, l’accomplissement de soi et la baisse du pouvoir d’achat. Finalement, c’est l’émotion, le désir de satisfaction, la réponse à une pulsion, une certaine forme d’hédonisme, qui marquent les nouveaux comportements de consommation.

Ces trois grandes tendances et renversements des valeurs constituent un grand défi pour les marques : comment peuvent-elles embrasser ces transformations avec clarté, consistance et humilité, sans paraître prendre un virage brutal et opportuniste ? Car, ce n’est pas nouveau mais c’est plus que jamais devenu « essentiel », c’est à l’aune de leur authenticité qu’elles seront jugées et choisies.

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