Le commerce collaboratif redéfinit l’union entre les marques et le consommateur. Une certaine idée du commerce qui plait aux jeunes pousses hexagonales passées maîtres en la matière. INfluencia gratte sous la carapace en interrogeant les CEO de deux acteurs français majeurs d’un marché en plein essor.
Ne laissons pas aux hommes politiques l’apanage des petites histoires personnelles extrapolées, censées les rendre plus proches des électeurs. Vous ne doutez pas du socle terrestre sous nos pieds, pas besoin donc de tirer sur la corde de l’imagination. Il y a quatre jours, ma femme – et oui je me prends pour Columbo, me demande de jeter un œil sur la plateforme thredUP. Elle venait d’y passer une bonne dizaine de minutes sans finalement s’inscrire comme membre. Le CEO l’avait alors immédiatement contactée par un email ultra personnalisé. Il lui assurait vouloir connaître son sentiment sur son expérience et les raisons pour lesquelles elle n’avait pas rejoint la communauté après son passage sur le site.
Pourquoi vous dis-je cela ? Parce qu’en un courriel a priori anodin réside les fondements de l’avènement des plates-formes d’achats et d’échanges communautaires et sociales. Depuis deux ans INfluencia accorde à cette tendance la place et l’analyse qu’elle mérite. Du vide-grenier digital à la marketplace en passant par les plateformes de social shopping ou de mise en relation, le phénomène représente l’émanation pratique d’un changement théorique de comportement des consommateurs.
Selon une étude de 2013 du cabinet nord-américain McKinsey, les interactions digitales influencent plus de 45% des achats de produits de luxe. En économie de crise, les consommatrices cherchent des avis et des conseils communautaires avant d’acheter. Pour l’agence de Vries 23% des achats étaient influencés par un blog en 2012 aux Etats-Unis, contre 7% pour la presse féminine.
Where To Get It, la start-up française qui fait sa loi aux USA
La démocratisation du Do It Yourself pousse également les consommatrices à consommer des tutoriels online pour obtenir des tuyaux. Cette poussée du DIY explique l’explosion d’audience des chaînes Youtube dédiées à la beauté (13 milliards de vidéos publiées pour 700 millions de vues par mois) et par ricochet la croissance des réseaux de contenu de format court comme Maker Studios ou Fullscreen.
Outre-Atlantique, ce concept de commerce communautaire et social cartonne et oblige les mastodontes de l’e-commerce à ajuster leurs stratégies et messages. Preuve de cet engouement populaire, la réussite de l’application française Where To Get It chez l’Oncle Sam. En attendant son arrivée prochaine en France, elle a construit son modèle sur l’attraction des consommateurs nord-américains pour ce nouveau shopping digital. Le web permet la mise en relation instantanée de millions de consommateurs qui désormais, échangent avant d’acheter, créant une discussion d’égal à égal avec des marques obligées de se réinventer.
L’achat devient une expérience collaborative
Avec Vinted et Th Beautyst, la France possède deux fleurons européens de ce marché encore émergent sur le Vieux continent. L’un est une plate-forme communautaire dédiée aux « modeuses » permettant à ses membres d’acheter, vendre ou troquer ses vêtements en quelques clics. L’autre se présente comme le premier site de social shopping dédié à la beauté, avec un concept communautaire et nouveau : créer une expérience collaborative d’achat beauté, en plaçant le contenu social au cœur du parcours d’achat.
Vinted, c’est 6 millions de « Vinties » à travers le monde et 900 000 produits en France depuis le lancement de la plateforme de paiement sécurisée en juillet 2014. The Beautyst, c’est 250 000 membres, 15 000 produits sur la place de marché et 4 000 conseils beauté en vidéos, photos et articles partagés par la communauté sur les 360 blogs partenaires.
Pour bien comprendre les modèles et enjeux d’un marché promis à l’expansion, INfluencia a sondé Géraldine Cohen, fondatrice et CEO de The Beautyst et Rozenn Héron, responsable France de Vinted. Nous leur avons posé quatre questions identiques. Interview croisée.
INfluencia : quel est le modèle économique de The Beautyst et Vinted ?
Géraldine Cohen : nous avons imaginé The Beautyst comme un outil clé pour simplifier la recherche de produits de beauté en ligne. Après deux ans passés à développer un e-concept store de cosmétiques, nous avons réalisé que le parcours d’achat e-commerce « classique » n’est pas adapté au secteur de la beauté. Car pour découvrir un produit de beauté, on a besoin d’éléments plus qualitatifs, qui ne se trouvent pas dans les fiches produits, mais que les femmes allaient déjà chercher sur les blogs et réseaux sociaux. La beauté est en effet un des sujets les plus abordés en ligne – c’est déjà le deuxième secteur sur You Tube, mais il manquait une plateforme rassemblant ce contenu beauté et pointant facilement vers les produits. The Beautyst est donc en train de développer la première place de marché sociale dédiée à la beauté. Nous rassemblons une communauté grandissante de femmes passionnées de beauté qui échangent des conseils, tutoriels et recommandations produits. Nous proposons également à nos utilisatrices de pouvoir acheter directement les produits qu’elles découvrent sur la plateforme, auprès de nos boutiques partenaires.
Rozenn Héron : Vinted n’a pas été lancé avec un modèle économique prédéfini. Le projet est d’abord né du besoin de vendre, d’acheter des vêtements de seconde main entre copines. L’envie était et reste celle de faire de la seconde main le premier réflexe shopping, afin de renouveler sa garde-robe pour pas cher et en s’amusant! Puis, l’engouement spontané de la communauté a révélé le besoin de pérenniser le projet et de bâtir un modèle économique. Aujourd’hui, deux axes sont privilégiés: primo la commission auprès des vendeuses (10% +0.5€ par transaction en France) lorsque la plateforme de paiement et d’envoi sécurisés est utilisée ; secundo la monétisation de l’espace publicitaire.
INfluencia : les communautés fidèles et actives sont très prisées par les marques, comment monétiser les vôtres ?
Géraldine Cohen : notre vocation première est de simplifier l’achat beauté en ligne. Grâce à notre communauté et au contenu social qu’elle génère, nous parvenons à doubler les taux de conversion à l’achat, et offrons ainsi aux marques une opportunité inédite de renforcer leurs ventes en ligne via notre place de marché. Nous offrons aussi la possibilité aux marques d’animer notre communauté en proposant des concours et en créant du contenu, parfois en partenariat avec nos blogueuses partenaires, soit plus de 650 à ce jour.
Rozenn Héron : aujourd’hui, nous nous focalisons sur l’amélioration de la plateforme pour que les « Vinties » puissent se connecter et faire leurs transactions le plus facilement possible. La monétisation de la communauté auprès des marques ne peut se faire que si elle en est actrice elle-même. La communauté des Vinties peut donc être reconnue dans son rôle prescripteur des marques, en incarnant leurs valeurs, en testant les nouvelles collections et en inspirant à son tour l’esprit des marques. On pourrait même imaginer les intégrer très en amont, au cœur des collections des marques en leur demandant d’identifier les modèles phares d’une saison avant de lancer des productions de plus grande envergure.
INfluencia : Comment démocratiser le social shopping, encore très niché, et comment marketer l’entraide et les conseils communautaires ?
Géraldine Cohen : je pense que le social shopping est en train de se démocratiser grâce à la montée en puissance des blogs, et au virage que sont en train de prendre les sites média en règle générale. Il est devenu tout à fait banal d’acheter un produit après avoir lu un article sur le web ou regardé une vidéo tutorielle. Je ne pense pas en revanche que le social shopping puisse se marketer, ou s’appliquer à des secteurs sur lesquels il n’est pas « naturellement » développé. Dans le secteur de la beauté par exemple, le social shopping existe depuis des dizaines d’années : les réunions tupperware d’hier sont devenues instantanées et planétaires grâce aux réseaux sociaux.
Rozenn Héron : le social shopping recouvre plusieurs aspects, incluant du C2C – la consommation en fonction des avis d’autres consommateurs disponibles sur les réseaux sociaux – et du B2C – en fonction des informations que les marques diffusent sur les réseaux sociaux ou de leur utilisation du f-commerce ou t-commerce. Le social shopping, par ses interactions multiples entre marques et consommateur final va pousser les enseignes à ne pas se concentrer uniquement sur le marketing produit mais aussi sur le marketing communautaire. Nous avons quelques idées pour renforcer cette tendance. Primo accroître la confiance online, c’est la clé pour avoir envie de partager des idées ou des articles. Aux plateformes internet, il convient donc de proposer tous les outils de confiance, comme les évaluations entre membres, la sécurisation et le suivi des transactions, la transparence sur l’historique d’activité des membres, leur dernière connexion…
Secundo, il s’agit de proposer des espaces de libre expression et Internet démultiplie ces possibilités à travers les forums, chez Vinted autour de la mode, mais aussi chez les gamers, les mamans… Enfin tertio il faut inclure le consommateur au cœur de la stratégie produit. Les marques vont se tourner vers une communication au plus proche des consommateurs, via les réseaux sociaux et l’intégration de leurs feedbacks dans la conception et l’élaboration de leurs produits. Un enjeu pour les marques est d’ailleurs de réussir à bien collecter ses données pour ensuite réussir à les utiliser pertinemment. Plus le consommateur sera intégré à l’élaboration des produits, plus il sera participatif et aura envie de partager autour de lui son expérience de consommateur. Liberté, confiance, intégration : ce sont sûrement les conditions pour démocratiser le social shopping en plein essor.
INfluencia : le social shopping collaboratif est-il l’avenir de l’e-commerce dans la beauté et la mode ?
Géraldine Cohen : c’est un modèle qui est particulièrement adapté à la découverte de produits de beauté en ligne. Je pense en effet que la puissance du contenu social, permettant d’avoir des informations qualitatives sur les produits, associée à une optimisation big data est une clé qui va permettre de faire disparaître les barrières à l’achat cosmétique en ligne. Tous les grands du secteur sont d’ailleurs en train de s’y mettre.
Rozenn Héron : le social shopping ne va pas venir se substituer aux grossistes de la mode mais il va surement en devenir un canal de distribution et de communication indispensable. Au même titre que les investissements publicitaires, les partenariats avec des blogueuses ou égéries influentes, et l’intégration des communautés collaboratives va permettre aux marques de communiquer leur patrimoine génétique, leurs valeurs, leur image. Les tendances de consommation vont émerger sur les plateformes de social shopping et les communautés vont ainsi devenir la voix des marques qu’elles plébisciteront.
Benjamin Adler / @BenjaminAdlerLA