20 juillet 2015

Temps de lecture : 7 min

 » Il y a une relation amour-haine entre le marketing et la technologie « 

Le slogan « There Will Be Haters » de la récente campagne Adidas résume finalement assez bien le débat qui divise agences, marques et consommateurs autour de l’avenir du digital et des réseaux sociaux. L’Internet of Things, le marketing en temps réel, les objets et vêtement connectés… Les leviers de conversation, d’interaction et de CRM divisent acteurs et spectateurs. Dans son slogan pour la marque aux trois bandes, Cheil a vu juste : après tout il y aura toujours des détracteurs. C’est ce qui rend les discussions sur le marketing de demain si passionnantes et sans limites.

Le slogan « There Will Be Haters » de la récente campagne Adidas résume finalement assez bien le débat qui divise agences, marques et consommateurs autour de l’avenir du digital et des réseaux sociaux. L’Internet of Things, le marketing en temps réel, les objets et vêtements connectés… Les leviers de conversation, d’interaction et de CRM divisent acteurs et spectateurs. Dans son slogan pour la marque aux trois bandes, Cheil a vu juste : après tout il y aura toujours des détracteurs. C’est ce qui rend les discussions sur le marketing de demain si passionnantes et sans limites.

Dans le salon d’un hôtel cossu cannois, INfluencia a rencontré Peter Kim, le Chief Digital Officer de Cheil Worldwide, agence du réseau sud coréen propriété de Samsung. Entretien exclusif dans lequel il nous livre sa vision sur la transition technologique incontournable. Le puits du numérique est décidément sans fond.

INfluencia : depuis leur avènement, les réseaux sociaux et leur impact sur la société divisent pro et anti. Leur avenir sera t-il aussi manichéen ou passe-t-il obligatoirement par un juste milieu ?

Peter Kim : Nous sommes en ce moment même dans une période de transition assez inconfortable. La façon dont nous avons toujours fait les choses sur les médias sociaux ne va pas durer, c’est certain. Certaines marques commencent à comprendre le bon fonctionnement marketing et économique, mais les plates-formes changent très vite. L’environnement opérationnel est différent, notamment concernant la monétisation. Le nombre de suiveurs sur les réseaux sociaux -que ce soit des « Like » ou des « Follow »- n’est plus aussi pertinent. Il ne signifie plus grand-chose comparé à l’engagement plus concret caractérisé par un lien solide entre la marque et les consommateurs. Les marques qui ont déjà évolué pour s’adapter à ce nouveau paysage marchent bien. La clef de la bonne utilisation d’une plate-forme réside aujourd’hui dans la maximisation de ses caractéristiques purement techniques, que ce soit la data, l’intégration ou le CRM. Les coulisses sont devenues plus importantes que la scène, celle qui se voit en surface. Le marketing et la technologie commencent seulement à se comprendre donc appréhender ces nouveaux défis est difficile. Mais c’est là que résident les plus belles promesses pour l’avenir.

INfluencia : de nouveaux postes cruciaux et hybrides sont donc appelés à prendre le pouvoir chez les annonceurs et les marques ?

Peter Kim : il y a toujours eu une relation amour-haine entre le marketing et la technologie, entre le CMO et le CIO ou le CTO. Tout est différent entre eux : la stratégie, les personnalités, les budgets… Ces deux mondes doivent se rapprocher, c’est une obligation. Si je me permets de généraliser un peu, je dirai que le CTO est de nature plus prudent, conservateur et sécuritaire. C’est normal puisque c’est lui qui entretient la salle des moteurs du paquebot. Les marketeurs sont eux en quête d’opportunités, ils sont plus extravertis et plus ouverts sur le monde périphérique à l’entreprise. Ils sont là pour créer une marque. Coca-Cola, par exemple, a compris qu’il était temps de rapprocher les deux pans de leur costume, en créant un poste intitulé Chief Marketing Technology Officer. Ce n’est que le début.

INfluencia : comment expliquer au consommateur que la transition technologique que vous évoquez est positive pour lui, qu’il n’a pas à en avoir peur ?

Peter Kim : cela ne se fera pas en un jour. Mais si vous regardez dans le temps, nous avons connu l’époque où le VCR paraissait compliqué, tandis qu’au début des années 90, le codage était réservé à une certaine élite. Aujourd’hui, en appuyant sur un bouton, YouTube vous fournit un code pour partager le contenu. N’importe qui peut s’en servir, beaucoup de gens ont appris à le manipuler. Il y a dix ans, si je vous avais dit que vous seriez capable de coder aussi facilement, vous ne m’auriez pas cru et vous auriez eu raison. C’est fascinant de voir à quel point la technologie s’est démocratisée. C’est un puits sans fond mais pour aller chercher l’eau, il faut savoir en tirer le meilleur avec pertinence, pour accroître son champ de conversation et les frontières de son audience.

INfluencia : les marques sont trop souvent dans la réaction vis à vis des progrès technologiques, pas assez dans l’anticipation. C’est un handicap marketing. Sont-elles donc presque condamnées à devoir créer leur propre technologie ?

Peter Kim : oui, complètement. Dans le monde offline, les marques cherchent les ingrédients pour sentir ou installer les tendances et les modes avant la concurrence, afin d’avoir un avantage sur elle. La technologie repose sur la même quête. Il s’agit, grâce à la data, de mieux comprendre le consommateur pour mieux parler avec lui.

INfluencia : cette vision qui est la vôtre, comment l’adaptez-vous aux différentes cultures inhérentes aux marchés dans lesquelles elle est mise en pratique via des campagnes ?

Peter Kim : par nature l’être humain résiste au changement, la technologie induit le changement et le consommateur possède lui le choix de l’adaptation. Ce sont donc trois facteurs qui sont en jeu : la technologie, la société et l’économie. Comme nous l’avons vu, la technologie ouvre de nouvelles possibilités. Dans la société, les citoyens réagissent aujourd’hui différemment, ils sont plus connectés, plus interactifs, plus égocentriques. Enfin, concernant l’économie, elle est globalement plutôt bonne en ce moment. Les trois mis ensemble constituent un promoteur de changements. Mais tout le monde ne bougera pas à la même vitesse.

INfluencia : les médiaux sociaux sont-ils l’outil sexy et marrant qui peut convaincre le consommateur du changement ?

Peter Kim : (rire)… Les médias sociaux ont toujours été une méthode et des canaux pour distribuer un contenu engageant. Le contenu, le programme, la stratégie sont donc plus importants que le canal lui-même. Les canaux vont et viennent, c’est le cycle normal. Que ce soit la plate-forme de blogging de Skyrock ou My Space, elles ont été remplacées par Facebook et Snapchat. Il y a aussi Vine, Periscope, Meerkat… Combien vont survivre ? La technologie change plus vite que les désirs du consommateur.

INfluencia : dans dix, vingt ans, les multinationales seront plus puissantes que les gouvernements, ce qui engendrera, selon nous, des nouvelles relations entre les consommateurs et les marques. Etes-vous d’accord ?

Peter Kim : la pub a toujours fonctionné à sens unique, les réseaux sociaux sont, eux, à double sens. Les marques qui vont réussir à créer un lien authentique, à apporter une valeur ajoutée, à susciter la loyauté seront les grandes gagnantes. Après, est-ce que les grandes marques seront plus importantes que les gouvernements ? Je n’en sais rien.

INfluencia : le consommateur ne reviendra jamais en arrière dans son désir d’interaction. Quel contenu sera donc au centre de cette relation bilatérale avec les marques, qui ne s’affaiblira jamais ?

Peter Kim : le contenu est devenu plus court, plus instantané, plus réactif, plus visible sur un support mobile, plus pratique à lire… Les gens n’ont plus le temps, le contenu doit se concevoir comme un snack qui se grignote, il doit pouvoir être consommé rapidement et partagé le mieux possible pour créer une connexion. Si le consommateur en veut plus, il le peut car des contenus plus en profondeur existent aussi.

INfluencia : ne prend-on pas le risque de créer une société pernicieuse du temps réel, où tout est rapide, où il n’y a plus de temps pour rien, où le partage social n’a plus de valeur après cinq minutes ?

Peter Kim : le marketing a atteint certaines frontières du ridicule, c’est vrai. Le marketing en temps réel peut parfois susciter une obstination néfaste du  »tout de suite ». Mais quand la communication est pertinente et se fond dans le contexte, le consommateur l’adore. C’est la clef de ce que Cheil essaye de créer. En analysant le contenu et renforçant la présence des marques, nous avons dégagé trois valeurs cardinales : primo le divertissement, le consommateur veut rigoler, se sentir bien et partager ce sentiment agréable de bonne humeur; secundo l’émotion, le consommateur est touché quand son cœur parle, quand il peut laisser couler une larme comme avec la campagne « Thank You Mom » de P&G aux JO de Londres; tertio la célébrité, le consommateur veut être une star, être connu, comme Dorito’s l’a compris lors du dernier Super Bowl avec sa campagne participative. Quand une marque essaye d’en faire un peu trop et d’inclure deux ou trois de ces éléments dans la même campagne, c’est rarement une réussite. Il faut rester simple.

INfluencia :  finalement trop de contenu à grignoter comme un snack ne risque-t-il pas de créer un surplus néfaste d’informations, qui rendra une génération incapable de vraiment comprendre le monde ?

Peter Kim : un professeur de NYU a un jour déclaré que le problème n’était pas un excès d’informations mais un échec du filtrage. Je suis d’accord avec lui. Le consommateur n’a pas encore appris à établir et utiliser les bons filtres pour ne garder que les informations les plus utiles et pertinentes. 90% de la data mondiale a été créée sur les deux dernières années, c’est devenu tellement facile avec la technologie. Il est donc primordial de filtrer. Mais attention, à trop filtrer, le consommateur peut aussi ne garder que ce qui le conforte dans son opinion et cela pose le risque d’une ségrégation et d’une isolation encore plus importantes. La clef pour la marque est donc de réduire les risques de ce filtrage là.

INfluencia : nous sommes rapidement passés de trois à neuf écrans, la technologie répondant à une réelle demande. Peut-en envisager que cette explosion des écrans continue dans les dix ans à venir ?

Peter Kim : il faut comprendre que nous parlons ici de ce que nous pourrions appeler « l’adressabilité » de la lecture et l’affichage de contenu. Que ce soit sur une montre, une tablette, un smartphone, un ordinateur, une télévision, dans une voiture, il y a partout un écran pour diffuser du contenu qui actionne une pertinence, une connexion. La clef de l’IoT c’est la pertinence, aidée par la data générée, pour arriver au bon contenu au bon moment au bon endroit, peu importe que l’écran soit grand ou petit. Les marketeurs pour la plupart ne sont pas encore prêts à cela car ce monde là n’est pas encore arrivé. Il faut s’y préparer. Il faudra disposer de la meilleure base de données de consommateurs pour comprendre comment leur servir le meilleur contenu segmenté, mais aussi avoir le meilleur et le plus créatif CRM pour adapter le contenu aux tailles des écrans. Le marketeur ne pense pas encore le contenu en prenant en compte toutes ses diversités : la géographie, les langues, les fuseaux horaires…

   

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