12 mai 2016

Temps de lecture : 4 min

L’e-citoyen : ce renouveau démocratique

Que représente aujourd'hui la voix d'un individu dans le paysage numérique ? La démocratie participative est en train de voir le jour et avec elle une nouvelle forme d'influence citoyenne...

Que représente aujourd’hui la voix d’un individu dans le paysage numérique ? La démocratie participative est en train de voir le jour et avec elle une nouvelle forme d’influence citoyenne…

La démocratie libérale est-elle à bout de souffle ? Abstention tenace, montée du populisme et du vote vers les extrêmes en Europe, émergence de nouvelles formations politiques dites « alternatives » comme Podemos (Espagne) et le Movimento 5 Stelle (Italie)… La fracture entre les citoyens et leurs dirigeants n’a jamais semblé aussi grande ! Selon le CEVIPOF (2014), 85% des Français ne font pas confiance à la classe politique. De multiples causes, notamment économiques, peuvent expliquer ce désamour; néanmoins, l’un des facteurs majeurs est le sentiment d’abandon ressenti par une partie des électeurs face à des « politicards » coupés du peuple et des réalités. Le vote, pourtant une revendication majeure des siècles précédents, semble aujourd’hui inutile et sans effet pour ces citoyens qui se sentent dépossédés de leur souveraineté.

Thérapie digitale citoyenne ?

Que faire face à ce constat terrible ? Comment « revitaliser » la citoyenneté ? Certains parient sur le digital comme début de solution. En effet, des innovations comme Internet ont changé la donne quant à nos habitudes de consommation : le consommateur a plus de pouvoir qu’auparavant, le rapport de force avec les marques s’est rééquilibré. Pourquoi n’en serait-il pas de même avec la citoyenneté ? À l’identique, elle pourrait être réinventée. Que ce soit l’adhésion à une association ou à un syndicat, la participation à la vie de la cité ou encore le vote, le digital est appelé à transformer presque toutes les composantes de la citoyenneté.

Évidemment, la digitalisation a déjà commencé : les politiques ont massivement investi les réseaux sociaux, l’électeur s’informe aussi sur Internet, et les campagnes électorales intègrent de plus en plus le digital. Néanmoins, cette tendance va s’accroître dans les prochaines années, notamment sous l’impulsion des « Civic Tech ». Ces start-up prônent l’utilisation du digital afin de renouveler et réaffirmer le rôle du citoyen dans la société. Comment ? En s’attaquant à certaines barrières qui empêchent l’individu de vivre pleinement sa citoyenneté.

La limpidité de l’information ?

Par exemple, celle de l’information, souvent incomplète ou à l’inverse surabondante, partisane ou encore complexe à appréhender selon la source. Qui plus est, dans un monde politique friand de la « petite phrase » ! Dur dans ces conditions de faire un choix totalement éclairé. Pour remédier à cela, beaucoup d’applications mobiles et de sites offrent compilations et décryptages des programmes politiques. L’app américaine, Politomix, propose un agrégateur d’informations, classées selon l’orientation politique (gauche/droite ou neutre) du média.

Autre exemple, Questionnezvoscandidats.org et Questionnezvoselus.org permettent aux électeurs d’interroger directement les politiques. En recueillant et en rendant public ces échanges, ces deux sites français agissent pour plus de transparence. C’est aussi le cas de l’État français qui multiplient les initiatives d’open data (ouverture des données publiques) : nomination d’un administrateur général des données, refonte du site data.gouv.fr ou encore adhésion au partenariat international « pour un gouvernement ouvert », qui œuvre pour plus de transparence dans la prise de décision et la mise en place des politiques publiques.

Ériger des espaces de dialogue

Par ailleurs, beaucoup de « Civic Tech » promeuvent la démocratie participative. Pour rendre possible cette forme de partage et cet exercice du pouvoir, le digital est par essence un atout majeur : il facilite et l’implication des citoyens, et la communication avec les élus. Ainsi, l’app mobile, eDémocratie, est un réseau social dédié, sur lequel les e-citoyens peuvent débattre entre eux et avec des figures politiques. Et le digital crée aussi les conditions d’un espace de co-décision, comme avec le « Budget Participatif de la Mairie de Paris », à l’initiative d’Anne Hidalgo. Chaque année, les Parisiens peuvent voter en ligne pour le projet qu’ils souhaitent voir financé par la ville. L’enveloppe correspond à 5% du budget d’investissement de la mairie et chacun est libre de proposer un projet, validé ensuite par la municipalité. Le maire de Paris a également un profil « décideur » sur la plateforme de pétitions change.org, sur laquelle des politiques et des entreprises peuvent être interpellés.

Soutenir une cause, stimuler le débat

Mais cette participation à la vie de la cité ne se limite pas à donner seulement son avis derrière un écran. Le crowdfunding, traditionnellement destiné aux artistes ou aux start-up, s’ouvre à d’autres champs d’application. Citizinvestor, semblable à Kickstarter, permet aux particuliers de financer directement des projets publics d’aménagement urbain (rénovation, construction d’un parc…), abandonnés par des municipalités pour des raisons budgétaires. Le digital stimule aussi l’engagement citoyen autre que financier. Sean Parker, célèbre « serial entrepreneur », a lancé la version bêta de son réseau social mobile, Brigade : en répondant à des questions sur de grands sujets de société, l’utilisateur rejoint une communauté d’intérêts, dont les membres partagent les mêmes idées. L’app va être enrichie au fur et à mesure de contenus et fonctionnalités pour que ces communautés citoyennes agissent concrètement, « dans le monde réel » et particulièrement à l’échelle locale.

Repenser le vote papier

Enfin, le vote, pan le plus symbolique de la citoyenneté, reste à digitaliser. Dans beaucoup de démocraties libérales, le format papier est toujours de rigueur. Néanmoins, les avancées technologiques autour de l’authentification en ligne (ex : empreinte digitale) laissent à penser que le vote électronique sera une pratique courante à moyen terme. S’il est aujourd’hui possible de consulter son compte bancaire depuis son mobile, pourquoi pas voter ? En facilitant le processus, la dématérialisation fera peut-être baisser l’abstention, voire démultipliera les occasions de consulter l’électorat…

En attendant, certaines initiatives normalisent cet usage, notamment dans le monde physique. Ainsi, lors du Google Impact Challenge (concours récompensant des start-up innovantes), les habitants de la Silicon Valley pouvaient voter à l’aide d’affiches interactives « cliquables », positionnées dans des lieux publics. De même, à l’occasion de la COP21, l’application GOV (qui permet d’exprimer son point de vue à propos de différentes questions politiques, de société…) a installé aussi 1600 panneaux interactifs en France. Les utilisateurs pouvaient voter dessus et voir les résultats de ces consultations en temps réel.

Réanimer l’engagement citoyen

Comme le rappelle Armel Le Coz (cofondateur du collectif citoyen, Démocratie Ouverte et de l’association Smart Gov), « être un citoyen connecté, c’est d’abord être un citoyen tout court » ! Le digital offre les conditions d’une meilleure expression de la citoyenneté, qui apparaît en crise dans le contexte actuel avec une classe politique plutôt hermétique. Le e-citoyen peut tout d’abord mieux s’informer. Il est en mesure de communiquer plus facilement avec ses pairs mais aussi avec les candidats et les élus. À l’avenir, il pourra probablement même voter en ligne. Mais la citoyenneté ne se réduit pas au seul suffrage : l’e-citoyen peut prendre part à la vie de la cité, que ce soit avec la démocratie participative ou le financement d’un projet public. La digitalisation est donc vectrice d’empowerement pour le citoyen. Et à terme, peut-être sera-t-elle facteur d’un intérêt et d’un engagement renouvelés, notamment chez les plus jeunes…

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